L’ONG internationale Human Rights Watch (HRW) a déploré hier l’absence de justice à la veille des six mois depuis la gigantesque double explosion au port de Beyrouth qui a fauché la vie de plus de 200 personnes et en a blessé plus de 6 500 autres, tout en ravageant des quartiers entiers de la capitale libanaise.
« Les autorités libanaises ont échoué durant les six derniers mois à rendre une quelconque forme de justice après l’explosion catastrophique au port de Beyrouth le 4 août 2020 », déplore HRW dans un rapport. « L’enquête locale bloquée et minée par de sérieuses violations sur le plan procédural ainsi que les tentatives des dirigeants politiques de mettre un terme à l’investigation renforcent le besoin d’une enquête internationale indépendante », estime l’ONG. Le juge Fadi Sawan, en charge de l’enquête sur l’explosion, a déjà inculpé le Premier ministre sortant, Hassane Diab, et trois anciens ministres pour négligence. Mais l’enquête fait du surplace depuis plusieurs semaines face aux ingérences de divers responsables politiques, au grand dam d’une large frange de la population qui réclame une enquête indépendante. Les anciens ministres et députés (Amal) Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, mis en accusation, ont ainsi déposé un recours contre le juge, ce qui a forcé la suspension temporaire de l’enquête en décembre dernier. Le procureur a été autorisé, mi-janvier, à reprendre ses investigations, mais rien n’a jusque-là filtré sur d’éventuels nouveaux interrogatoires qui auraient été menés. Les appels à une enquête internationale ont été rejetés par les autorités libanaises qui ont toutefois été épaulées par des experts internationaux lors des premières investigations sur le terrain.
Le rapport dénonce le fait que l’enquête soit gelée depuis le 17 décembre, après le recours présenté par MM. Khalil et Zeaïter. « Il n’est pas clair quand cette enquête devrait reprendre, poursuit le texte. (Le juge) Sawan a, depuis août, engagé des poursuites contre 37 personnes, dont 25 semblent être détenues dans des conditions qui paraissent en violation de leurs droits légaux. Ces détenus sont en majorité de petits ou moyens fonctionnaires des douanes, du port ou des forces de sécurité. Leurs familles et leurs avocats affirment que la justice n’a pas encore présenté des preuves ou porté une accusation spécifique contre eux. » « Les autorités libanaises ont publiquement promis que l’enquête prendrait cinq jours. Mais six mois plus tard, le public attend toujours des réponses », regrette Aya Majzoub, chercheuse sur le Liban au sein de HRW. « De plus, le tribunal en charge du dossier semble avoir malmené les droits des détenus dans l’affaire », signalant par là qu’il n’est pas prêt ou ne veut pas rendre justice, ajoute-t-elle. « Priver les accusés d’un procès équitable ne contribue pas à rendre justice aux victimes de l’explosion », prévient la chercheuse. « Une enquête internationale indépendante ainsi que des réformes urgentes au sein du processus juridique libanais sont les meilleures garanties afin que le peuple obtienne les réponses qu’il mérite », conclut-elle. En octobre dernier, HRW affirmait déjà que l’enquête menée par les autorités libanaises n’était « ni transparente ni indépendante ».
En violation de traités internationaux
HRW révèle avoir rencontré les familles et les avocats de quatre détenus dans cette affaire, précisant qu’ils sont tous « détenus au siège de la police militaire à Rihaniyé depuis leur arrestation en août ». « Les avocats assurent que leurs clients ainsi que les 21 autres personnes arrêtées sont accusés de la même litanie de crimes, malgré leurs rôles et leurs responsabilités diverses, ajoute le rapport. Les crimes comprennent l’homicide avec intention probable (c’est-à-dire que l’accusé a prévu la survenance du crime et accepté le risque de sa survenue), l’homicide involontaire, la provocation d’une explosion, le stockage de marchandises dangereuses, la perturbation de la sécurité du port et du pays et la pollution de l’environnement. Les avocats assurent que le juge ne leur a pas précisé quelles accusations pèsent sur leurs clients et de quelles preuves il dispose. Ils n’en auront connaissance qu’à la fin de l’enquête, selon eux, quand il suspendra les poursuites ou inculpera les accusés. Or, vu que l’enquête est gelée, les inculpations ne devraient pas être pas imminentes. »
À ce propos, poursuit HRW, les avocats assurent que le juge n’a interrogé leurs clients qu’une seule fois en août, avec deux gardes dans la pièce, et qu’ils étaient détenus 10 à 16 jours avant qu’un mandat d’arrêt ne soit émis. Le rapport rappelle que le code pénal libanais donne au juge le droit de détenir des accusés indéfiniment avant le procès, affirmant que cela « viole » leurs droits élémentaires de personnes en détention. « Sous le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par le Liban, les accusés ont droit à un interrogatoire dans un délai convenable », poursuit l’organisation, estimant que « les délais augmentent les risques des détentions interminables, ce qui est contraire à la loi internationale des droits de l’homme ». « Le Liban ne peut pas invoquer une loi domestique pour justifier la violation de traités internationaux qu’il a ratifiés », poursuit le texte.
L’indépendance de la justice remise en cause
Le rapport de HRW qualifie par ailleurs la nomination du juge Sawan au poste de juge d’instruction près la Cour de justice de « processus opaque et entouré d’allégations d’ingérence politique ». « Le Conseil supérieur de la magistrature a rejeté la nomination de deux autres juges que la ministre de la Justice avait initialement proposés, tout en refusant d’avancer des explications, prétextant que les délibérations sont confidentielles », poursuit le texte.
L’organisation voit également dans le refus du Premier ministre Diab et de deux des ministres de comparaître devant le juge une « ingérence politique dans l’enquête ». Elle note aussi que l’enquête reste au point mort malgré le feu vert de la Cour de cassation, auprès de laquelle les deux ministres avaient présenté leur recours. Elle cite des avocats qui mettent en doute la capacité du juge Sawan et de son équipe à poursuivre l’enquête efficacement, du fait de « la contestation persistante de leur rôle » et « leur capacité technique » incertaine, selon eux.
commentaires (3)
COMME L,ASSASSINAT DE FEU RAFIC HARIRI LE RESPONSABLE DE L,EXPLOSION DU NITRATE AU PORT DE BEYROUTH EST BIEN CONNU, MEME SI L,EXECUTEUR S,AVERERAIT ETRE UN ETRANGER. ATTENDRE DE LA PRETENDUE JUSTICE AU LIBAN DE RENDRE JUSTICE C,EST ATTENDRE QUE LES POULES METTENT BAS DES POUSSINS.
LA LIBRE EXPRESSION
14 h 37, le 04 février 2021