
Les présidents Aoun (au centre), Berry et Hariri, en réunion à Baabda, en 2019. Photo d’archives AFP
Depuis que le président français, Emmanuel Macron, s’est à nouveau manifesté sur la scène libanaise, en reprenant les choses en main, une brèche s’est ouverte. Le mot d’ordre externe a été donné : la France ne lâchera pas le Liban, mais le gouvernement doit être incessamment formé et le plus tôt possible. En même temps, la sonnette d’alarme a été tirée de l’intérieur. Les incidents dramatiques de Tripoli ont suffi pour prouver que la situation avait assez dégénéré.
Bien que les prémisses d’un déblocage prochain ne soient pas tout à fait clairs pour le moment, les indicateurs de la journée d’hier démontrent toutefois une volonté, quoiqu’encore timide, de mettre un terme au marasme politique, pendant que des proches du Hezbollah affirment que ce dernier va encore tenter une ultime démarche dans l’espoir de rapprocher les points de vue entre le président de la République et le Premier ministre désigné.
« Il faudra des centaines de camions de remblais pour pouvoir combler le fossé entre Michel Aoun et Saad Hariri », commente pour L’Orient-Le Jour une source proche du président de la Chambre, Nabih Berry. Quoi qu’il en soit, pour l’heure, le Hezbollah aurait, semble-t-il, échoué à obtenir un assouplissement de la position du camp aouniste, déterminé à ne pas renoncer au principe de l’unification des critères dans la formation du gouvernement, encore moins sur le tiers de blocage. Lequel principe a, soit dit en passant, été rendu nécessaire aux yeux des aounistes par le fait que le tandem chiite Amal-Hezbollah avait obtenu, lui, ce qu’il voulait dans la formule gouvernementale à l’étude.
« Le Hezb tente de réhabiliter un tant soit peu la confiance entre Baabda et la Maison du Centre et pousser l’un et l’autre à faire des compromis chacun de son côté », confie une source proche du parti chiite. Selon lui, les conditions de ce compromis ne sont pas encore claires et la tâche s’avère difficile. Hier, des médias proches du parti chiite ont laissé entendre que le Hezbollah cherchait à convaincre le président Aoun et le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, de renoncer à obtenir un tiers de blocage, allant jusqu’à leur proposer l’appoint des voix des ministres chiites, de telle sorte qu’un tiers de blocage puisse être généré autour des questions stratégiques. Mais selon ces mêmes médias, le camp aouniste, malgré ses précédentes dénégations à ce sujet, aurait rejeté cette proposition, voulant garantir un tiers de blocage pour lui tout seul. Toutes ces informations ont cependant été démenties par une source proche du Hezbollah à L’Orient-Le Jour.
À Aïn el-Tiné
Quoi qu’il en soit, cette question du tiers de blocage a fait l’objet hier d’une sortie inhabituelle de M. Berry, qui a déclaré qu’ « absolument personne » ne pouvait obtenir le tiers de blocage et que l’obstacle qui empêchait la formation du gouvernement était « bien de chez nous ».
« L’accord était de former un gouvernement de technocrates, qui n’appartiennent à aucune formation. Des personnes qui ne sont “ni contre nous ni avec nous” », a souligné M. Berry dans un communiqué, affirmant que le groupe parlementaire du mouvement Amal, qu’il dirige, s’était conformé à ces critères lorsqu’il avait présenté les noms de ses ministrables. « Ce critère doit être respecté par tout le monde sans exception », a encore insisté M. Berry. Le chef du législatif, qui s’est entretenu hier avec l’ambassadrice de France, Anne Grillo, a donc rejeté la balle dans le camp du CPL. Ironiquement, le communiqué de Aïn el-Tiné évoque le principe des « critères unifiés », sachant que c’est précisément cette revendication que martèle le camp aouniste. Pour celui-ci, le communiqué du président de la Chambre « est un aveu clair que c’est lui finalement qui a désigné ses ministres », alors que Saad Hariri prétendait le contraire. « Ce qui vaut pour les autres vaut pour nous », lance le député Eddy Maalouf.
Une source parlementaire du courant du Futur s’est aussitôt dépêchée de rectifier le tir en précisant, sur le site al-Moustaqbal, que M. Berry a choisi les noms de ses ministres parmi une liste que lui avait soumis Saad Hariri.
Baabda réplique
La présidence n’a pas tardé à réagir aux accusations lancées par M. Berry, affirmant ne jamais avoir voulu obtenir le tiers de blocage.
« Certains milieux politiques et médiatiques s’obstinent à affirmer que le président Aoun demande à obtenir le tiers de blocage dans le prochain cabinet et que c’est cela qui provoque le retard dans sa formation », a regretté Baabda dans un communiqué.
Le chef de l’État « n’a absolument jamais demandé ce tiers de blocage, mais il tient par contre à son droit de nommer des ministres technocrates et compétents, qui auront la confiance aussi bien interne qu’internationale », ajoute le bureau de presse de la présidence.
De source proche du Hezbollah, on affirme que ce n’est pas le président qui réclame explicitement le tiers de blocage, mais son gendre Gebran Bassil. Ce qui, bien entendu, revient au même.
Le Conseil supérieur chiite a publié hier un communiqué qui va dans le même sens que celui de M. Berry et soutenant la position de ce dernier, notamment un gouvernement de « technocrates qui puisse avoir la confiance de la communauté internationale et de l’intérieur », précise le texte.
commentaires (8)
Plutôt foncer la tête haute, tout en ayant renoncé à l'habitude de choisir ses ministères en plus de ses ministres.
Esber
18 h 27, le 02 février 2021