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Lifestyle - Photo-roman

« Tout cela est un coup monté par Daech, c’est clair »

Quand un père tripolitain sombre dans la folie et laisse sa fillette place al-Nour, c’est toute la condition de Tripoli qu’il raconte dans son geste.

« Tout cela est un coup monté par Daech, c’est clair »

Photo Ayla Hibri

C’est une photo retrouvée sur un groupe WhatsApp, dans l’averse de messages et photos envoyés la veille, ce soir du 26 janvier où Tripoli commençait à s’embraser. Ladite photo est suivie d’une note vocale visiblement enregistrée dans la hâte, 8 secondes seulement, hachurées de cris et de tirs, par le Tripolitain qui aurait aussi pris la photo. « Cette fillette, son père l’a jetée sur la place al-Nour. Sur la place al-Nour et il a dit : Moi, je n’en veux plus. Je ne peux plus m’en occuper. » Je crois que depuis octobre 2019, hormis les drames liés à la double explosion au port, c’est la chose la plus effroyable que j’aie entendue.

Daech ou marxistes ?

De semaine en semaine, j’ai du mal à inventer d’autres mots, à trouver de nouvelles formules, pour décrire la même tristesse, l’éternelle confusion et la dévorante solitude qui se voient sur les visages des Libanais dont il ne reste plus que des regards à déchiffrer.

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Mais cette fois, il s’agit d’autre chose. La fillette abandonnée par son père sur la place al-Nour, puis déposée par un secouriste sur le siège avant d’une ambulance de la Croix-Rouge libanaise, attendant sans doute de trouver un peu de temps pour s’en occuper, n’a pas les yeux perdus d’un enfant qui ne sait pas ce qui se passe. Au contraire, agrippée à sa petite bouteille d’eau, son paquet de lingettes désinfectantes, « plutôt décemment habillée », commente l’un des membres du groupe WhatsApp, elle a un air résigné, presque en colère, qui me laisse penser qu’elle a tout compris de ce qui lui arrive. D’un coup, cette enfant, cinq ans à tout casser, a perdu son père et son enfance. Le pire, c’est qu’elle le sait, alors elle accueille presque son malheur et n’y gaspille même plus ses larmes ou ses cris. Toutes proportions gardées, cette fillette, c’est nous. Dans les messages qui suivent et que j’avais manqués la veille, puis sur Facebook et Instagram, je cherche la suite de l’histoire, j’attends le dénouement heureux, ce genre de happy ending auquel nous a habitués la fabuleuse chaîne de solidarité, formée par magie au lendemain du 17 octobre 2019, à chaque fois qu’un drame du genre survient. Quelqu’un aurait-il retrouvé le père ? Un riche Libanais exilé au Brésil lui aurait-il signé un gros chèque substantiel pour subvenir aux besoins de sa petite ? Une ONG se serait-elle chargée du cas de l’enfant, lui aurait-elle trouvé un lieu où passer la nuit loin des combats de rue, en attendant de la ramener chez elle ? Rien de cela. Cette histoire est d’autant plus triste qu’elle n’a même pas de fin. Je trouve juste quelques émojis en pleurs, des mains qui ne savent plus quel Dieu implorer, vite balayés par des images indicibles d’hommes qui se font tirer dessus, des balles réelles, qui se font battre et tuer au motif d’avoir osé crier qu’ils meurent de faim.

En lui, Tripoli

Je tombe aussi sur des commentaires qui me retournent l’estomac, publiés par des internautes réagissant (depuis leur sofa) à la casse de Tripoli : « Il y a des gens dans cette révolution qui ont une tendance marxiste, léniniste, trotskiste » ; « Tout cela est un coup monté par Daech, c’est clair ». Ou, pour faire plus fort dans l’ignominie : « Il y a une pandémie et ils sont dans la rue, sans masque ! » Je ne comprendrai jamais pourquoi à chaque fois que Tripoli frappe du pied, à chaque fois que cette ville se soulève et fait ce qu’on reproche à Beyrouth de ne plus avoir la force de faire, on ne trouve rien de mieux que de lui imputer une ingérence étrangère, une infiltration suspecte, voire des tendances terroristes. Non, la plupart de ceux qui ont saccagé Tripoli ne sont ni financés par Daech (regardez la faim qui leur bouffe les joues) ni les marionnettes d’un obscur gourou, ils ne sont pas dupes. Pareil pour ce père qui a abandonné sa fillette sur la place al-Nour et qu’une armée électronique sur les réseaux sociaux a traité de tous les noms sans même connaître le sien. « Quel porc. » Dans quel état émotionnel et psychologique devait-il se trouver au moment où il a pris la main de sa fillette, toute petite main, où il lui a donné une bouteille d’eau, des lingettes désinfectantes, puis l’a déposée au cœur de la place al-Nour, s’est retourné puis éloigné de son minuscule corps ? À défaut de nous avoir tous tués, des fous nous ont poussés dans la folie, la violence, parfois même la psychose. Voilà ce qui arrive à Tripoli, sa peine, son manque de tout, que personne n’a voulu écouter, si bien qu’elle a muté en monstre.

Car ce père raconte tous les pères de Tripoli, parfois affublés de six, sept enfants, dont chacun lui est une rezka, une bénédiction, et qui n’ont jamais rien demandé de plus que de pouvoir nourrir ces enfants. Pas même osé espérer l’accès à l’électricité, l’éducation, la santé, la sécurité sociale dont ils savent que, pour eux qui sont nés du mauvais côté de ce pays, c’est peine perdue. Juste nourrir leurs enfants, c’est tout ce à quoi qu’ils aspirent. Ces pères à qui des chauffeurs de députés ne venaient rendre visite qu’une fois tous les quatre ans, avant les élections, avec une misérable enveloppe et un ton humiliant : « Lek, fais attention quand tu votes, et n’oublie pas de prendre toute la famille avec toi. » Et qui regardent désormais les mêmes milliardaires de cette ville sans le sou arpenter des pistes poudreuses alors qu’ils crèvent de faim et de froid. Ces pères, ces hommes de Tripoli qui, au prix de leurs vies, au prix de la vie de leurs propres enfants, au prix de leur propre tête avant de sombrer dans la folie, ont compris une chose : plus jamais ils ne prendront cette misérable enveloppe, et surtout plus jamais ils ne « feront attention en votant ».

Chaque lundi, « L’Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ est une photo. C’est un peu cela, une photo-roman : à partir de l’image d’un photographe, on imagine un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c’est selon...

C’est une photo retrouvée sur un groupe WhatsApp, dans l’averse de messages et photos envoyés la veille, ce soir du 26 janvier où Tripoli commençait à s’embraser. Ladite photo est suivie d’une note vocale visiblement enregistrée dans la hâte, 8 secondes seulement, hachurées de cris et de tirs, par le Tripolitain qui aurait aussi pris la photo. « Cette fillette, son père...

commentaires (1)

Je m’attends toujours à un souffle patriotique qui sauvera notre pays de tous les complots. J’imaginais le Liban entier affluant avec sa population désœuvrée et humiliée pour prêter main forte aux Tripolitains et faire tomber les clichés avec lesquels les zaims abreuvent leurs partisans. Je ne perds pas espoir. Les libanais se rassembleront et sauveront leur nation malgré les menaces qui pèsent sur le pays concoctées par les vendus. Un pays sans peuple est un terrain vague et non une nation où tout le monde vient mettre son grain de sable pour gripper la machine en marche. Libanais unissez-vous et sauvez votre pays. Une solution française qui n’en est pas une va bientôt voir le jour pour les remettre en scène, alors anticipons les mauvaises solutions et chassons les fossoyeurs avant qu’il ne soit trop tard. Personne n’a le droit de monopoliser l’amour et le sauvetage de notre pays car en premier lieu c’est notre pays, et c’est notre seul refuge.

Sissi zayyat

14 h 40, le 01 février 2021

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Commentaires (1)

  • Je m’attends toujours à un souffle patriotique qui sauvera notre pays de tous les complots. J’imaginais le Liban entier affluant avec sa population désœuvrée et humiliée pour prêter main forte aux Tripolitains et faire tomber les clichés avec lesquels les zaims abreuvent leurs partisans. Je ne perds pas espoir. Les libanais se rassembleront et sauveront leur nation malgré les menaces qui pèsent sur le pays concoctées par les vendus. Un pays sans peuple est un terrain vague et non une nation où tout le monde vient mettre son grain de sable pour gripper la machine en marche. Libanais unissez-vous et sauvez votre pays. Une solution française qui n’en est pas une va bientôt voir le jour pour les remettre en scène, alors anticipons les mauvaises solutions et chassons les fossoyeurs avant qu’il ne soit trop tard. Personne n’a le droit de monopoliser l’amour et le sauvetage de notre pays car en premier lieu c’est notre pays, et c’est notre seul refuge.

    Sissi zayyat

    14 h 40, le 01 février 2021

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