La procureure générale près la cour de cassation du Mont-Liban, Ghada Aoun, a engagé des poursuites, jeudi, contre le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, pour "négligence professionnelle et abus de confiance", dans le cadre de l’enquête sur la distribution controversée de dollars aux changeurs agréés. Maya Dabbagh, la présidente de la Commission de contrôle des banques (CCB), un organe dépendant de la BDL, se voit également poursuivie pour les mêmes chefs d'accusation. M. Salamé avait été interrogé par la procureure Aoun sur cette affaire, dans le courant du mois de décembre 2020. La juge Aoun a par ailleurs engagé des poursuites contre le propriétaire d'une agence d'importation de dollars et un changeur pour "violation de décisions administratives". Elle a ensuite envoyé le dossier devant le premier juge d'instruction du Mont-Liban, Nicolas Mansour, qui sera chargé d'interroger toutes les personnes mises en accusation. Elles seront convoquées dès la semaine prochaine, selon l'Agence nationale d'Information (Ani, officielle).
Riad Salamé est soupçonné d’avoir contribué à manipuler le taux dollar/livre dans les bureaux de change en alimentant les caisses des agents agréés. Depuis le début de la crise financière et économique au Liban, à l'été 2019, la monnaie nationale, indexée sur le dollar, a connu une forte dévaluation. Il faut dernièrement en moyenne 8.800 livres pour un dollar au taux du marché noir. Toutefois, le taux de change officiel, en vigueur avant la crise, n'a pas bougé et reste de 1.507 livres pour un dollar. Des dollars, distribués par la BDL, sont par ailleurs disponibles au taux de 3.900 livres auprès de changeurs agréés, mais seulement à certaines conditions très limitées. Cette dépréciation a entraîné une envolée vertigineuse des prix des produits alimentaires dans un pays où, selon l'ONU, plus de la moitié de la population vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté et près du quart dans l'extrême pauvreté.
Mme Aoun a pris cette décision après avoir constaté des irrégularités dans l'application d'un mécanisme mis en place en mai par la Banque centrale pour fournir des dollars aux importateurs de produits alimentaires et limiter l'inflation, selon une source judiciaire citée par l'AFP. "Les dollars n'ont pas tous atterri au bon endroit", échouant notamment dans les poches d'agents de change qui les ont revendus au marché noir, a-t-elle ajouté. "Le montant qui a fini dans les poches d'agents de change et d'institutions financières dépasse les cinq millions de dollars" (environ 4,1 millions d'euros), selon la source judiciaire.
Cette source fait un lien entre le mécanisme de subventions aux importations alimentaires mis en place à partir de mai par la BDL et celui que cette dernière a mis en place le même mois pour tenter de contrôler le taux de dollar /livre sur le marché des changes. La source explique en effet qu'une partie des dollars qui étaient destinés aux importateurs concernés a fini dans les poches de certains changeurs.
Depuis le soulèvement populaire du 17 octobre 2020, Riad Salamé, qui dirige la BDL depuis 1993, est une figure particulièrement conspuée par les protestataires, qui l'accusent d'avoir couvert pendant des années la corruption des responsables libanais, un fléau pointé du doigt comme étant l'une des causes de l'effondrement économique et financier du Liban.
Enquête suisse
M. Salamé fait en outre l'objet d'une enquête lancée par la Suisse pour "blanchiment d’argent aggravé en lien avec de possibles détournements de fonds au préjudice de la Banque du Liban". Dans ce cadre, une demande d'entraide judiciaire avait été envoyée par Berne à Beyrouth et le gouverneur a été entendu par le procureur général, le juge Ghassan Oueidate. Aucun élément de ce dossier n’a été officiellement communiqué, ni par la Suisse ni par le Liban. Si certaines sources évoquent des transferts incriminés de 240 ou 400 millions de dollars vers la Suisse, des montants qui auraient été gelés par les autorités helvétiques, Riad Salamé, a rejeté à plusieurs reprises depuis mardi dernier toute implication. Le gouverneur de la BDL a estimé qu’il s’agit d’une campagne lancée pour lui porter préjudice. Il aurait toutefois décidé de répondre directement aux autres questions posées par les autorités suisses, selon certaines sources.
Le député Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), a à ce propos estimé jeudi que l'enquête diligentée par la Suisse constituait "un précédent" pour le Liban, espérant que d'autres pays lanceraient des procédures similaires sur des versements effectués à partir du Liban. M. Bassil, qui fait partie, à l'instar de Riad Salamé, des figures les plus conspuées par la rue, a encore appelé la justice libanaise à "suivre l'exemple" de la justice suisse et à ne pas rester un "simple spectateur". "Toutes les personnes impliquées (dans des affaires de corruption, ndlr) seront poursuivies", a-t-il affirmé, indiquant que les Libanais "comptent sur certains juges courageux pour récupérer les fonds qui leur ont été volés". L'ancien ministre des Affaires étrangères a dès lors appelé le gouvernement à "agir diplomatiquement" et à charger des avocats d'effectuer un suivi de ces affaires éventuelles tout en réitérant l'importance de l'audit juricomptable de la BDL. Le leader du CPL a encore demandé à la Chambre de se pencher sur différents textes de lois présentés par le groupe aouniste, et relatifs notamment au contrôle des virements effectués à l'étranger, à la récupération des fonds transférés après le 17 octobre 2019 et à la création d'un tribunal spécial pour les crimes financiers.
Quel culot ce Gebran, élève de son beau-père mais qui le dépasse considérablement, en matière de populisme, démagogie, et incompétence. Pauvre Liban...
16 h 47, le 29 janvier 2021