Rechercher
Rechercher

Culture - Cinéma

Septième art et épidémies, les témoignages d’un flirt poussé

Au cinéma, les virus et autres sources de contagion n’ont pas toujours endossé le rôle de comparse et joué seulement de mauvais tours, mais se sont érigés aussi en mauvais génies, en inspiration pour des milliers de kilomètres de pellicules.

Septième art et épidémies, les témoignages d’un flirt poussé

Gwyneth Paltrow dans « Contagion » de Steven Soderbergh.

Sinistre et lugubre vedette de l’information, ce changeant et imprévisible Covid-19 terrorise une planète entière en jouant les prolongations depuis un an déjà. Sa cape destructrice sape les fondements de l’économie mondiale. L’industrie du cinéma, pratiquement suspendue, est éreintée par les assauts du virus. Si Hollywood est en berne, les plateformes de diffusions de films, à l’instar de Netflix ou Apple TV, font florès. Et parmi les films les plus vus, tenez-vous bien, ceux qui parlent de pandémie, de catastrophes planétaires, de virus affolés, de vampires sexy et d’apocalypse zombie. Les spectateurs confinés cherchent-ils à apaiser leurs angoisses ou à les exacerber ? La terreur, la décomposition du corps, la mort aveugle, la lutte pour la (sur)vie contre des maux qui fragilisent et déciment la collectivité humaine, le 7e art en a fait son pain bénit, son terreau, sa force visuelle apocalyptique. Et ce depuis des décennies déjà.

Par-delà son pouvoir de divertissement et son amour pour la science-fiction, le cinéma, industrie à part entière et art populaire par excellence, est un très bon atout d’information, de témoignage, de tentative d’explication, de mise en garde. Ne dit-on pas que « le cinéma est dans la vie et la vie est dans le cinéma » ? Langage d’une force exceptionnelle, la pellicule cinématographique, nantie d’une super sophistication technologique, délivre, comme une caisse de résonance, un message qui donne à réfléchir. Elle retranscrit à la fois une certaine réalité, tend vers la fiction et caresse l’évasion. Avec ses images en mouvements et ses alliés (la musique et les bruitages) elle offre, avec panache, par-delà sa subtile captation du pouls existentiel, un reflet de l’humanité.

Avec ses innombrables productions, le cinéma a un passé glorieux pour cerner le chapelet des multiples virus qui ont marqué de leur funeste sceau l’histoire. Des moins connus aux plus notoires et qui ont fait des ravages, que les vivants ne sont pas près d’oublier.Entre le cinéma, les épidémies et les pandémies, et cela depuis des lustres, c’est un flirt poussé…


Jouer aux échecs avec la mort, dans « Le Septième Sceau » de Bergman.


Chapelet de catastrophes pour films inoubliables

Contagion de Steven Soderbergh, avec une kyrielle d’acteurs de premier plan (Matt Damon, Jude Law, Gwyneth Paltrow, Marion Cotillard, Kate Winslet), pulvérise actuellement le record de streaming et de téléchargements sur les plateformes. Le film, tourné en 2011, sonnait déjà l’alarme sur les pandémies si mal prévues du côté de la structure sanitaire et hospitalière par tous les États du monde ! Et la carence s’est révélée partout fort juste. Et l’on se demande qui a fourni à si bon escient, comme un redoutable avertissement, au réalisateur de Sex, lies and videotapes (Palme d’or à Cannes en 1989) cet impressionnant scénario d’anticipation, une sorte de frappante prémonition pour ce renversement et changement hallucinants des lois de la nature, avec tant de pertinence, d’acuité, de morts et malheurs annoncés ?

Innombrables sont les films qui ont, à travers la propagation d’une infection incurable, d’un virus, d’un machin, d’une chose, conjugué horreur, suspense, trame policière, thriller, action ou science-fiction. Sous divers aspects, souvent parfaitement commerciaux et sans grande conséquence si ce n’est pour flatter le spectaculaire. Par-delà toute curiosité, la cause virale a grimpé, souvent dans un pervers voyeurisme, les inexplicables échelons du succès…

Mais il y a aussi des films qui ont marqué leur temps à travers de grands réalisateurs ou en portant à l’écran des œuvres littéraires déjà célèbres, qu’ils ont magnifiées et popularisées. La peste et le choléra sont au-devant de la caméra, avec des comédiens remarquables et dans des narrations loin d’être creuses ou tombant dans le fastidieux des scènes misérabilistes ou simplement ébouriffantes.

En ce sens on nomme The plague de l’argentin Luis Puenzo (avec l’excellent William Hurt et Sandrine Bonnaire) d’après le roman La Peste de Camus, Love in the time of cholera de Mike Newell, adaptation réussie de l’œuvre de Gabriel Garcia Marquez (avec Javier Bardem), La mort à Venise de Luchino Visconti, d’après une nouvelle de Thomas Mann, un film culte et grandiose non à cause des amours interdites entre un homme vieillissant et un jeune éphèbe mais à cause d’une Venise, cité lacustre de frivolité, de fête et de plaisir, plongée dans la noirceur du choléra que les autorités tentent de cacher… Dans cette atmosphère insoutenable et délétère, Dirk Bogarde fait une de ses dernières compositions bouleversantes. Et les quelques rares apparitions de la belle Sylvana Mangano sont des rayons de soleil dans ce monde étouffant.

Classique du cinéma mondial, et un des plus grands films de tous les temps, est Le Septième Sceau du Suédois Ingmar Bergman qui révèle l’immense talent de Max von Sydow et la force créatrice d’un réalisateur qui sera un des patriarches les plus vénérés du septième art. Au cœur de cette pellicule dense, en noir et blanc, aux relents métaphysiques, la peste noire en Suède au temps des croisades au XIVe siècle. Un chevalier et la Mort devant une partie d’échec, le temps de trouver des réponses. Film incontournable pour tous les cinéphiles, il demeure à jamais une puissante œuvre de réflexion sur les maux secrets, trophées sans concession de la Grande Faucheuse. Jamais l’homme et la mort n’ont eu un tel face-à-face nu, puissant, d’une intimité aussi troublante.


Dustin Hoffman dans « Outbreak » de Wolfgang Petersen. Photos DR


De Dracula à Cassandra Cros en passant par Philadephia….

Metropolis de Fritz Lang a bien montré la ville du haut et celle du bas, sous terre. Des mondes parallèles, des classes antinomiques qui ne sont pas supposés se croiser. Et pourtant l’inévitable va arriver ! De même que le monde du visible et de l’invisible vont se croiser. Ce virus, rongeur tenace, prédateur arrogant et goulu, quitte ses miasmes, sort de sa tanière. Il fraye son chemin vers la lumière, les espaces libres et se nourrit de chair, indifféremment, fraîche ou flétrie…

La contagion remonte à plus loin encore. On la retrouve chez les vampires dans le chef-d’œuvre immortel Nosferatu de Friedrich Murnau. Chauve, blême, le nez crochu, les ongles en éteignoir de cierge, la morsure profonde, cette créature monstrueuse, hors norme tel tout virus échappé à la vigilance humaine, est le point de départ de toute infection…

Soixante-dix ans plus tard, en cinémascope et technicolor, le roman de Bram Stoker Dracula est porté à l’écran d’une manière magistrale par Francis Ford Coppola avec un brillant quatuor d’acteurs : Gary Oldman, Winona Ryder, Anthony Hopkins et Keanu Reeves. Mais ce personnage inquiétant et maléfique avait fait déjà l’objet d’une multitude de versions vampiriques où se sont illustrés, avec des poses démentes d’incurables assoiffés de sang, Bela Lugosi, Christopher Lee, Udo Kier, Frank Langella, Klaus Kinski, Dominic Purcell… Et même, dans le sillage de ces atmosphères crépusculaires et lugubres, comme une ravissante parenthèse comique, une délicieuse et inoubliable parodie de Roman Polanski !

Le baiser de la mort, en cette succion au cou, est certainement emblématique mais il faut regarder, pour ce comte de Transylvanie parti guerroyer contre les turcs, son attelage. Une ribambelle de rats en garde prétorienne qui inonde les soutes de son bateau et une nuée de chauves-souris stridulantes qui hantent les caves de son palais glacial. Deux authentiques sources de propagation de tous les maux de tous les temps : la peste et une large palette de coronavirus.

Les rats, réservoir de bactéries ou du virus de la peste, et les chauves-souris, génitrices des infections de la rage ainsi que de ce chapelet de virus émergents à couronne dont Ebola, SRAS-cov, MERS-Cov… Et toute cette joyeuse farandole de méchanceté a été sous les feux des sunlights, avec plus ou moins de bonheur…

À titre d’exemple, et jamais dans une liste exhaustive car elle est bien longue, on égrène juste une sélection, c’est-à-dire la crête de ces films à l’audience particulière car il s’agit d’atmosphères anxiogènes, de relations toxiques, d’horreur et de panique. Alors en première ligne vient, en 1976, The Cassandra crossing de George Pan Cosmatos avec une pléiade de vedette dont Sophia Loren, Richard Harris, Burt Lancaster et Ava Gardner. Film catastrophe qui a titillé le grand public et dont le nerf moteur était le danger mortel d’une maladie contagieuse incontrôlable.

Et suivent, sans ordre chronologique, avec des titres souvent explicites, Pandémie du Sud-Coréen Kim Seong-su, World War X de Marc Forster (avec Brad Pitt) suivi de Outbreak de Wolfgang Petersen (avec Dustin Hoffman, Morgan Freeman, Kevin Spacey, Donald Sutherland).

Plus raffiné est un Le hussard sur le toit de Jean-Paul Rappeneau, d’après une œuvre de Jean Giono qui dévoile le choléra en 1832, avec trois acteurs lumineux Juliette Binoche, Olivier Martinez et Isabelle Carré.

La série télévisée The rain agace et passe juste pour une défense à se battre contre les maux tenaces inconnus. Virus de John Bruno, s’inspire d’une bande dessinée. Ce qui revient à évoquer le célèbre Alien de Ridley Scott et ce mal viral obscur et indéchiffrable incarné par un monstre polymorphe aux mille visages grimaçants en prise violente avec Sigourney Weaver ! À noter l’extraordinaire force visuelle de ce monstre créé par l’artiste suisse Hans Ruedi Giger. Et on ne parle pas des débordements de l’imaginaire avec les zombies, authentiques chars d’infections ambulantes ou de la « chose », The Thing de John Carpenter. Avec Infected de Glenn Ciano la contamination dans les bois entre chasseurs se transforme en exercice de tir. Et avec 28 days later, le britannique Danny Boyle dénonce les attaques virales venues des singes d’Afrique…

En parlant de singe, voilà que déferle la vague du sida qui a généré des montagnes de pellicules aux nuances contrastées et multiples. Et d’une bouleversante humanité sur l’immunodéficience. Petit flashback sur un combat de plus de trente ans qui n’est pas encore terminé et qui pourrit la vie de toute sexualité libre non protégée…

Philadelphia de Jonathan Demme transgresse les normes et traite avec courage homosexualité et sida, sujets alors tabous en 1993. Tom Hanks obtient pour ce rôle son premier Oscar, et Denzel Washington et Antonio Banderas ont toutes les faveurs du public pour leur prestation à grande charge émotionnelle. C’était l’occasion d’une bienveillante approche et compréhension de la maladie. Sans oublier la BO du film, Streets of Philadelphia avec la voix blessée de Bruce Spingsteen (Oscar de la meilleure chanson) qui a longtemps cartonné sur toutes les ondes.

Et dans le même registre de défense, de présentation des faits, méfaits et de l’hécatombe du sida, le palmarès est éloquent : Les nuits fauves de Cyril Collard, 120 battements par minute de Robin Campillo, Plaire, aimer, courir de Christophe Honoré, Mauvais sang de Leos Carax, Tout sur ma mère d’Almodovar, Les témoins d’André Téchiné ou l’éducation sexuelle d’un provincial, Dallas Buyers club de Jean-Marc Vallée (avec deux excellents acteurs Mathew McConaughey et Jared Leto), le téléfilm The normal heart de Ryan Murphy, la mini-série Angels in America (avec Al Pacino, Meryl Streep) récompensée d’un Golden Globe et d’un Emmy Award, Parting glances de Bill Sherwood, lui-même mort du sida, Encore de Paul Vecchiali qui s’aperçoit que l’amour, pas plus que le sexe d’ailleurs, ne filent jamais droit …


Image tirée de « Pandémie » du Sud-Coréen Kim Seong-su.

Entre Hollywood, Bollywood et Qingdao...

Voilà que depuis décembre 2019, apparu pour la première fois à Wuhan, en Chine, le Covid-19 se dérobe à la médecine, mute et fait des ravages incroyables.

Des dégâts il en a fait, en vagues successives, comme nul autre. Il a cadenassé, terrorisé, étouffé, enfermé toutes les populations de la planète. Une mise à genoux réussie et, jusqu’à présent, une victoire non à la Pyrrhus, mais sans conteste sans égal. C’est ce que disent et proclament, à l’unanimité, malgré la vaccination qui va pourtant bon train, tous les petits écrans du monde. Qui donnent à ce virus, en tête d’affiche des nouvelles, toutes les prééminences. Une superstar disséquée en long et en large, sans toutefois pouvoir encore la cerner sérieusement ni l’éradiquer.

Il a accaparé le petit écran, ce Covid-19, trublion sans gêne, et le cinéma l’attend du coin de l’œil de sa caméra encore éteinte mais prête comme un fusil de chasse aux aguets. Il est dit, bien clair et en fanfare, qu’il a révolutionné l’ordre de la vie. L’avant-Covid-19 ne sera pas l’après-Covid-19 !

En attendant la récession sans précédent qui s’annonce, en réduisant au second plan la politique sauf celle de se jeter les accusations sur l’origine de ce virus (négligence, incompétence, volonté délibérée de nuire ou malencontreuse fatalité), la planète a découvert l’humanisation. Ainsi que la solidarité de tous les hommes de bonne volonté, sans différence de classe, de race ou de frontières, à travers la vulnérabilité de chacun et de tous, en interdisant tout rapport physique et proscrivant l’intimité collective. Quel synopsis accordera le cinéma à tant de remous, de remue-ménage, de protocoles de vie inédits ? Pour un appel à un contrat social nouveau, un changement radical du comportement humain, une remise en question des valeurs et des modes de vie acquises ? Comment parler et montrer ce que la planète Terre a vu et vécu ?

Comment le cinéma donnera-t-il la parole aux spectateurs ? Quel scénario sera celui de Stephen King totalement dépassé dans son imaginaire le plus délirant ?

Entre Hollywood, Bollywood ou Qingdao (le Cinecittà chinois), qui seront les Steven Spielberg, Stanley Kubrick, Akira Kurosawa, Alain Resnais, Lars von Trier, Quentin Tarantino ou Martin Scorsese de cette incertaine marche dans un tunnel toujours sombre, aux issues mal maîtrisées ?

Sans doute, il faut attendre l’émergence d’un monde nouveau. On l’a dit, l’avant-Covid 19 ne sera pas celui d’après Covid-19. Et rien ne vaut, dans cette indétermination, la sage lapalissade du sens commun « un changement en prépare un autre ». Et certainement, petit et grand écran, quand tout cela sera souvenir et passé, en projetteront les images.

Sinistre et lugubre vedette de l’information, ce changeant et imprévisible Covid-19 terrorise une planète entière en jouant les prolongations depuis un an déjà. Sa cape destructrice sape les fondements de l’économie mondiale. L’industrie du cinéma, pratiquement suspendue, est éreintée par les assauts du virus. Si Hollywood est en berne, les plateformes de diffusions de films, à...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut