À une femme divorcée, d’allure moderne, qui demande un extrait d’état civil de ses enfants, un fonctionnaire déguisé en homme des cavernes lui rétorque vertement qu’elle ne peut l’obtenir. « En vertu de la loi libanaise, le père est le tuteur légal des enfants. Quand tu t’es mariée, tu as été rayée du registre d’état civil de ton père pour intégrer celui de ton époux. Maintenant que tu es divorcée, tu as réintégré le registre paternel. La femme ne dispose pas à elle seule d’un registre d’état civil », assène-t-il à son interlocutrice dont la mine se décompose instantanément. Dans un spot télévisé de 30 secondes diffusé en boucle depuis vendredi sur les chaînes locales, l’ONG Kafa, qui milite en faveur des droits de la femme et des enfants, résume amèrement la discrimination dont pâtit la femme libanaise au sein de la famille et de la société. Objectif de cette campagne de sensibilisation ? Mettre en exergue « l’urgence d’adopter une loi unifiée du statut personnel qui assurerait l’égalité entre tous », comme le clame une voix grave à la fin de la vidéo diffusée. À ceux qui s’étonnent du timing d’une campagne médiatique liée à une question sociétale alors que la double crise économique et politique ainsi que la pandémie enlisent les Libanais dans des problèmes vitaux, Leila Awada, membre fondatrice de Kafa, rétorque que les droits de la femme sont eux aussi « une priorité ». « L’injustice fondée sur le genre est une question qui ne tolère plus d’ajournement », s’impatiente-t-elle. « Comme les droits aux soins médicaux ou à l’éducation, les droits de la femme au sein de sa famille sont loin d’être un luxe », martèle l’activiste, qui souligne « la nécessité de mettre fin au déséquilibre des autorités dans la cellule familiale à travers une loi applicable à tous, abstraction faite du sexe ou de la communauté auxquels on appartient ».
Pour l’avocate, il ne s’agit plus de remédier aux failles de manière « compartimentée ». Son association avait réussi en 2014 à faire adopter la loi contre la violence domestique. Par ailleurs, plusieurs projets et propositions de lois sur le mariage civil facultatif interdisant notamment la polygamie et le mariage des mineures se trouvent depuis les années 1950 dans les tiroirs de l’État. L’ambition de Kafa est désormais de « faire voter une loi plus large qui supprimerait le système confessionnel actuel du statut personnel et le remplacerait par un système basé sur la citoyenneté », explique Me Awada. « Nous avons élaboré un projet de loi dans lequel transparaît la nécessité pour l’État de garantir et préserver les droits de ses citoyens, afin que ceux-ci sentent qu’ils lui appartiennent plutôt qu’à leur seule communauté », affirme-t-elle, relevant que le cataclysme du 4 août 2020 dû à la double explosion du port « a retardé sa présentation au Parlement par les députés qui l’avaient approuvé ». Espérant que ce report ne sera pas long, l’avocate juge qu’« il est urgent que l’État assume ses responsabilités en mettant fin au système patriarcal, malgré les réticences » des autorités religieuses.
Évoquant la campagne télévisée, Leila Awada affirme qu’elle est « symbolique », pointant du doigt « l’un des aspects de dépendance imposée à la femme par les lois anachroniques ». « Alors que dans tous les pays du monde, chaque personne dispose d’un registre d’état civil, la femme libanaise se voit interdire de détenir un registre qui lui est propre », s’insurge-t-elle.
Cette vidéo de sensibilisation a suscité les critiques de la Direction générale du statut personnel au sein du ministère de l’Intérieur. Ce service a rappelé avoir en effet diffusé il y a deux ans une circulaire dans laquelle il avait demandé aux greffes concernés d’« accepter de délivrer aux femmes divorcées les actes d’état civil de leurs enfants mineurs ». La Direction générale du statut personnel a demandé aux ONG et aux médias de « ne pas promouvoir des (campagnes) qui manquent de précision et de vérité », indiquant dans un communiqué avoir apporté des changements « dans une volonté d’assurer une égalité entre l’homme et la femme au niveau des formalités effectuées ».
Vilaine réalité
Pour dissiper tout malentendu, Kafa a souligné dans une réponse immédiate que la campagne ne visait pas la Direction générale du statut personnel, « celle-ci n’ayant pas le pouvoir de changer les lois ». Se félicitant de la démarche du service administratif qui « a permis l’inscription des noms des enfants de la femme divorcée sur le registre d’état civil de son père », l’ONG a indiqué dans un communiqué qu’« une circulaire ne dispense pas toutefois de la nécessité d’un code de statut personnel qui garantirait une égalité face à toutes les questions y relatives ».
« Le problème n’est pas seulement administratif », souligne Me Awada auprès de L’OLJ. « Malgré leur importance pour faciliter les formalités aux femmes divorcées, les circulaires ne suffisent pas », estime-t-elle. « Il n’importe pas de tenter d’embellir la vilaine réalité à travers des décisions administratives, mais plutôt d’adopter des lois devant lesquelles tous les Libanais seraient égaux », poursuit l’activiste, avant d’ajouter, déterminée : « Nous avions mis six ans pour faire adopter la loi sur la violence domestique, nous prendrons le temps qu’il faut pour faire voter de telles lois. »
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L’homme de caverne tuait des animaux pour secourir alors que les sous hommes de nos cavernes saignent le peuple pour se nourrir de leur sang pour leur propre plaisir.
Sissi zayyat
17 h 44, le 20 janvier 2021