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Nos Lecteurs ont la Parole

Le juge, le lymphocyte et l’hirondelle

Lettre ouverte au pouvoir judiciaire libanais…

Durant la Seconde Guerre mondiale, face au mal absolu que représentait Hitler et face à sa terrifiante suprématie militaire, les pays menacés n’avaient eu d’autre choix que de s’allier, que de se coaliser entre eux…

Quand un corps étranger pénètre dans l’organisme, menaçant son bon fonctionnement, les lymphocytes procèdent à l’organisation de sa défense en se multipliant d’abord et en se rassemblant ensuite, c’est-à-dire là aussi en se coalisant. Parce que les lymphocytes le savent bien : si « une seule hirondelle ne fait pas le printemps », un seul lymphocyte ne tue pas la maladie non plus.

Durant les derniers mois, un grand nombre de groupuscules de la « thaoura » ont essayé de se regrouper dans le but de parvenir à un commandement unifié, ou bien à un comité de coordination ou bien à une sorte de conseil de direction. D’innombrables facteurs expliquent l’échec de ces tentatives. Citons-en deux, mais non les plus importants :

i) L’hétérogénéité des innombrables constituants de la thaoura (ce qui, en fait, est beaucoup plus positif que négatif).

ii) L’absence d’une figure emblématique pouvant rassembler tout le monde.

Soit. Mais ce ne sont pas les seules raisons. Nous aborderons par la suite l’une d’entre elles. Toutefois l’alternative existe. Cessons donc de flageller la thaoura et arrêtons son autoflagellation.

Les instances qui auraient dû s’associer à la thaoura pour la consolider, en prendre le relais, poursuivre une partie du chemin avec elle ou bien ouvrir de nouvelles voies n’ont pas été au rendez-vous. Elles lui ont fait faux bond. La thaoura a été poignardée et trahie par ceux qui les premiers étaient censés l’épauler, pénétrer dans la brèche qu’elle a réussi à ouvrir dans la tour d’ivoire du pouvoir. « La plus belle femme au monde ne peut donner que ce qu’elle a. » La thaoura a donné ce qu’elle avait. C’était au tour d’autres de prendre la relève. Ils ne l’ont pas fait…

Clarifions. Quand les deux premiers pouvoirs, le législatif et l’exécutif, sont corrompus, c’est le troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire, qui est censé intervenir, redresser la barre. Comme cela s’est passé, par exemple, en Italie dans les années 90.

Bon d’accord, chez nous, le pouvoir judiciaire est pris en otage, à la merci du pouvoir politique mafieux. Une partie des juges est corrompue. Trempée jusqu’à cou. Mais les autres ? les intègres, les honnêtes (car il y en a) ? Pourquoi ne se sont-ils pas manifestés ?

La première réponse qui peut venir à l’esprit est qu’ils ont peur. Certains craignent pour leur position. D’autres pour leur vie ! Est-ce valable comme excuse ? Comme prétexte ? Est-ce légitime comme prise de position ? Certainement pas. Pourquoi ? Parce qu’on pourrait alors étendre ces prétextes à l’ordre militaire et au corps médical, par exemple pour tous les soignants (médecins, infirmières) des maladies contagieuses, comme le Covid-19 :

« Ma vie est en danger, je ne vais plus au front… »

« Ma vie est en danger, je ne vais plus à l’hôpital ! »

Nous assistons là à un spectacle judiciaire bien triste. Car force est de constater qu’il ne s’est pas trouvé un seul juge qui ait osé braver ces risques. Le problème est donc aussi dans le troisième pouvoir. Une conclusion s’impose : quand le juge libanais n’est pas corrompu, même s’il est honnête et intègre, doit-on interpréter son retrait comme un signe de soumission, comme un signe de lâcheté ? Croyez-vous, Mesdames et Messieurs les juges, que les Libanais (vos voisins, vos parents, vos connaissances) vous portent toujours la même considération, la même admiration que celle que l’on devrait avoir à l’égard d’une profession aussi prestigieuse, aussi noble que la vôtre ?

Car ne l’oublions point :

Si la profession la plus noble est peut-être celle de médecin – car le médecin, lui, rend la vie –, la vôtre est tout aussi vitale : car le juge, lui, rend la vie juste. Et la justice humanise la vie. Elle la rend vivable, humaine. Le revers de la loi de la jungle !

Ces citoyens libanais, hommes et femmes, qui ont embrassé la carrière de magistrat se sont révélés bien décevants. Pour un bon juge, un juge authentique, le courage est aussi nécessaire que l’intégrité, la droiture, la neutralité et l’objectivité ! Monsieur Untel, madame Unetelle, vous n’avez pas répondu à l’appel de la patrie. Vous avez failli à votre devoir !

Il restait deux autres possibilités :

On n’a toujours pas compris à quoi donc a servi ce fameux « Club des juges » ? Ce rassemblement n’aurait-il pas dû jouer un rôle plus déterminant, particulièrement dans ces circonstances? Ce rassemblement n’aurait-il pas dû constituer une sorte de plateforme, de tremplin, de ferment, motivant les juges honnêtes à s’enhardir ? à se rebeller ? Ce rassemblement n’aurait-il pas dû être davantage un acteur qu’un spectateur ? Au lieu de se confiner dans des gesticulations et des pétarades, sans plus !

Solution ultime : quand j’occupe un poste et que je ne remplis pas mes obligations, quand je faillis à mon serment professionnel, ne m’est-il pas plus honorable de présenter ma démission ?

Si une seule hirondelle ne fait pas le printemps, si un seul lymphocyte ne fait pas la guérison, si un seul juge intègre et courageux ne peut lutter à lui seul contre la corruption et que sa démission à lui tout seul n’aurait aucun effet, qu’en est-il alors d’une démission collective ? Ne serait-elle pas l’équivalent d’une nuée d’hirondelles qui annoncent l’arrivée du printemps ? Ne serait-elle pas l’équivalent d’un tsunami de lymphocytes qui s’apprêteraient à terrasser un microbe, un virus ?

Qu’adviendrait-il du pouvoir politique à la suite d’une démission collective ou même d’une démission partielle mais significative ? Il serait mis à nu devant les instances internationales. On ne peut imaginer scénario plus embarrassant pour l’actuel pouvoir politique en place.

La démission que vous exigez, tout comme vos compatriotes libanais, de ce pouvoir politique impotent et incompétent, Mesdames et Messieurs les juges, commencez donc par vous l’appliquer à vous-mêmes. Cette démarche permettra de :

i) Trier les juges.

ii) Sauver la face du pouvoir judiciaire libanais et bonifier sa renommée.

iii) Riposter contre la mainmise du pouvoir politique sur les nominations du Conseil constitutionnel.

iv) Coincer la classe politique et l’acculer dans un coin duquel il lui sera véritablement miraculeux, voire impossible, de se sortir !

En agissant ainsi, vous lui ôteriez une de ses dernières feuilles de vigne. Imaginez donc les retombées internationales devant un tel raz-de-marée. Une première mondiale qui figurera dans les annales de l’histoire. Et il se peut très bien que cet acte constitue les prémices du mouvement fondateur qui nous débarrassera enfin de ces usurpateurs !

Vous le savez très bien, Mesdames et Messieurs les magistrats, vous le devinez au fond de vous-mêmes : il ne restera personne qui n’approuvera votre démarche. Tout le monde se ralliera à vous. Aussi bien localement qu’internationalement.

Reste une question légitime : et si des juges corrompus, afin de sauver leur peau, faisaient partie des démissionnaires ? Eh bien, tant mieux. Tant que le but est de déstabiliser la classe politique et de l’isoler.

Le pire scénario qui pourrait advenir au pouvoir judiciaire est qu’il n’y ait qu’un petit nombre de démissionnaires. Par exemple, 10 % des juges seulement. Eh bien, dans ce cas, la thaoura aura compris que le tort ne revient pas seulement à la classe politique, mais que les juges sont majoritairement et en grande partie responsables de ce qui nous arrive. Le refus d’une démission significative de la part des magistrats libanais les rendrait ainsi complices et même pire. N’est-ce pas ce que nous rappelle ce dicton : « Celui qui tolère l’abus, celui qui ne réclame pas un droit est semblable à un diable muet » ?

De plus, il faudra s’attendre dès la publication de cet appel à ce que d’innombrables voix émergent parmi les rangs des hérauts du pouvoir critiquant et dénigrant une telle initiative, voire même la ridiculisant et même tentant une intimidation à l’égard des juges. L’important, c’est que nos juges n’écoutent que la voix de leur conscience et la voix du peuple. « Au nom du peuple libanais… »

Enfin, les faibles d’esprit, les êtres de « peu de foi » argueront que cette démarche ne mènera à rien, qu’elle avortera et que nos mercenaires du pouvoir pourront la contourner en procédant immédiatement à des nominations de remplacement. Eh bien, qu’ils le fassent !

Mesdames et Messieurs les magistrats, le monde entier a désormais les yeux rivés sur vous. Vous avez la possibilité de changer le cours des choses. Cessez d’être les héros d’un feuilleton de faux témoins. Tout comme les hirondelles annonçant l’arrivée du printemps et à l’image des lymphocytes affrontant la maladie, coalisez-vous : ouvrez tous les grands dossiers simultanément ou bien démissionnez tous ensemble !

Plus encore, donnons la possibilité aux juges « qui n’ont pas été à la hauteur », aux « brebis égarées » de la magistrature de se racheter en démissionnant. Et vous ne trouverez, Mesdames et Messieurs les magistrats, que des Libanais prêts à vous donner la prunelle de leurs yeux et à partager avec vous la nourriture de leurs enfants !


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Lettre ouverte au pouvoir judiciaire libanais… Durant la Seconde Guerre mondiale, face au mal absolu que représentait Hitler et face à sa terrifiante suprématie militaire, les pays menacés n’avaient eu d’autre choix que de s’allier, que de se coaliser entre eux… Quand un corps étranger pénètre dans l’organisme, menaçant son bon fonctionnement, les lymphocytes...

commentaires (1)

tirer une synthese de cet article : la gangrene qui mine les citoyens libanais dans leur ame. en tirer une conclusion : la mafia au pouvoir sait tres bien en tirer profit.

Gaby SIOUFI

11 h 40, le 18 janvier 2021

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Commentaires (1)

  • tirer une synthese de cet article : la gangrene qui mine les citoyens libanais dans leur ame. en tirer une conclusion : la mafia au pouvoir sait tres bien en tirer profit.

    Gaby SIOUFI

    11 h 40, le 18 janvier 2021

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