On l’appelait le pompier, le catalyseur ou encore le magicien qui avait plus d’un tour dans son sac. Au fil des années, Nabih Berry s’est forgé une réputation de médiateur habile et de gestionnaire de crise. C’était lui, l’homme rusé, qu’on attendait à chaque tournant sensible de l’histoire tumultueuse du pays, tant il savait gérer les sensibilités, les ego surdimensionnés et les nuances du système politique. Un rôle qui semble aujourd’hui lointain, tant ses interventions sont devenues espacées. Mais quelle mouche a donc piqué Nabih Berry ? L’homme aux trente-six mille solutions aurait-il décidé de renoncer à mettre la main à la pâte ? Ou bien a-t-il tout simplement choisi d’observer silencieusement et passivement les tiraillements qui ont lieu entre les deux présidences de la République et du Conseil ? Depuis que la polarisation s’est exacerbée entre le Premier ministre désigné Saad Hariri et le camp aouniste, avec en toile de fond la formation du gouvernement, le président du Parlement – qui se trouve indirectement impliqué dans ce bras de fer du fait de son alliance avec M. Hariri – semble s’être provisoirement mis en retrait.
Peu de déclarations depuis un certain temps et surtout plus aucune initiative comme il avait l’habitude d’en prendre pour arrondir les angles. Nabih Berry est entré en hibernation pour une raison évidente : il ne peut être à la fois juge et partie. « Il ne peut plus jouer le rôle de médiateur alors que la confiance entre lui et le président est complètement rompue », commente Mohammad Obeid, un analyste politique proche du Hezbollah.
Le tandem chiite en position de retrait
Sauf que ce qui oppose Nabih Berry au chef de l’État, et par extension au camp aouniste, est bien plus qu’une simple question de confiance érodée. C’est quasiment une guerre de prérogatives par procuration que se livrent les deux hauts responsables, sur fond d’une forte hostilité politique qui va crescendo. Les deux hommes, qui n’ont aucun atome crochu depuis l’élection de Michel Aoun, s’affrontent depuis à des intervalles plus ou moins réguliers et selon une intensité plus ou moins dosée. C’est d’ailleurs le rôle traditionnel du président du Parlement, dont celui de médiateur, que le chef de l’État chercherait aujourd’hui à attaquer. Michel Aoun caresse depuis des années le rêve de renflouer, par-delà les limites imposées par la Constitution, les prérogatives du président de la République chrétien aux dépens de ses partenaires sunnite et chiite. « Le président veut tout simplement effectuer une insurrection contre Taëf », souligne un analyste politique proche du 14 Mars. « Nous n’avons jamais lésiné à respecter la Constitution », se défend Eddy Maalouf, député aouniste.
Entre MM. Berry et Aoun, le torchon brûle notamment depuis que le camp aouniste cherche à désigner le chef du mouvement Amal comme étant le symbole même de la corruption et l’accuse d’avoir tout fait, ainsi que ses partenaires du courant du Futur et du Parti socialiste progressiste, pour torpiller l’audit comptable de la Banque du Liban. La société Alvarez & Marsal avait décidé de jeter l’éponge face au refus du gouverneur de la BDL Riad Salamé et du ministère des Finances, qui dépend de Nabih Berry, de fournir les informations demandées.
La crise s’est par ailleurs exacerbée lorsque le chef de l’État a réussi à récupérer, pour en faire sien, le dossier des délimitations maritimes, considéré un peu au départ comme la chasse gardée de Nabih Berry. Autant de facteurs qui ont conduit le président du Parlement à se retirer discrètement de l’arène pour ne pas compliquer encore plus la donne. Son repli, entamé depuis qu’il a été hué par les contestataires du 17 octobre, s’est fait encore plus manifeste avec le début des tractations pour la formation du gouvernement après la nomination de Saad Hariri. « Le président de la Chambre, tout comme le Hezbollah d’ailleurs, a décidé de faire profil bas pour que le tandem chiite ne soit pas accusé de s’immiscer dans la formation du gouvernement. Mais depuis que les choses se sont compliquées entre Saad Hariri et Michel Aoun, le tandem a décidé de se retirer complètement de la bataille », confie une source proche du Hezbollah.
La langue au chat
Sauf que Nabih Berry ne peut échapper au fait que ses alliances – avec Saad Hariri, mais aussi avec Walid Joumblatt, tous deux à couteaux tirés avec le camp aouniste – le propulsent bon gré mal gré encore plus dans le camp hostile au président. Cela est d’autant plus vrai qu’à l’instar du Premier ministre désigné, Nabih Berry ne veut absolument pas accorder le tiers de blocage aux aounistes. Un point sur lequel il diverge d’ailleurs avec le Hezbollah qui n’a aucun problème, au contraire, à voir son allié chrétien s’attribuer ce surplus de pouvoir au sein de l’exécutif, comme le souligne la source proche du parti chiite. Le Hezbollah diverge également avec Amal sur la question des prérogatives du président de la République, qu’il défend bec et ongles, en raison de son alliance avec le CPL, notamment en ce qui concerne la formation du gouvernement. « Nabih Berry n’est pas sur la même longueur d’onde que le Hezbollah, car ce dernier ne veut absolument pas que la première magistrature soit affaiblie et encore moins Michel Aoun », commente Mohammad Obeid. Dans ce micmac d’inimitiés et de guerres de palais, le président du Parlement ne peut de toute évidence que faire profil bas et éviter d’embarrasser un peu plus son partenaire ou risquer de fragiliser leur alliance. « À supposer qu’il ait encore des choses à dire ou une médiation à entreprendre, y a-t-il encore quelqu’un aujourd’hui pour l’entendre? » s’interroge une source proche de Aïn el-Tiné. Une situation que le député du groupe parlementaire joumblattiste Bilal Abdallah résume de cette manière : « Nabih Berry a donné sa langue au chat. Il n’a plus aucun tour dans son sac face aux agissements des aounistes qui paralysent le pays. »
Pour le CPL, le président de la Chambre, qui a obtenu ce qu’il voulait – le ministère des Finances consacré à la communauté chiite – est contraint de rester discret en ce moment. Car, dit Eddy Maalouf, « quand bien même M. Berry voudrait prendre une initiative, comment pourrait-il justifier le fait que le tandem chiite ait pu choisir ses ministres et s’attribuer un ministère régalien, alors que cela nous est justement refusé ? Comment répondra-t-il à la question de l’unité des critères dans la formation du gouvernement que nous réclamons à cor et à cri ? », s’interroge le député. M. Maalouf fait allusion au fait que le Premier ministre désigné a accepté de concéder au tandem chiite le ministère des Finances, voire de nommer ses propres ministres au sein du gouvernement, un privilège qu’il refuse d’accorder de manière intégrale au camp aouniste, sachant que la part chrétienne au sein du gouvernement pèse autrement plus lourd que la part chiite.
Dimanche soir, le mouvement Amal n’a pas toutefois pu s’empêcher de répondre au chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, l’accusant implicitement de jouer la carte confessionnelle et de bloquer la formation du gouvernement. « Une question essentielle demeure : pourquoi un gouvernement de mission compétent ne peut-il être formé rapidement ? » s’est interrogé le mouvement Amal dans un communiqué publié au terme de sa réunion hebdomadaire. Le mouvement a estimé que « la solution » aux problèmes actuels est la mise sur pied d’un « État civil, loin du système confessionnel », accusant toutefois « une certaine personne d’accepter ce slogan mais de pratiquer le contraire dans la vie politique de la nation », en allusion au chef du CPL. Lors d’une conférence de presse donnée dimanche, le gendre du chef de l’État s’était prononcé en faveur d’un nouveau système politique à même de garantir la stabilité du pays et d’« un État civil ». Dans les milieux proches de Aïn el-Tiné, on tient à rappeler l’essentiel : « Les gens oublient que c’est Saad Hariri, Samir Geagea et le Hezbollah qui ont tous élu Michel Aoun. Nabih Berry ne l’a pas fait. Il s’était contenté de dire à l’époque que le Liban a dorénavant deux présidents. À bon entendeur, salut. »
Que de détours, que de va et viens Un tourbillon à donner le vertige. Tant de discussions vides afin d’aboutir dans un labyrinthe qui mène à la case départ qui n’est en fait qu’un ( Dead End) On tourne en rond m... On tourne en rond mer... Un cul de sac
16 h 34, le 15 janvier 2021