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Économie - Rétrospective

La BDL et le laborieux chantier de la restructuration du secteur bancaire (II/II)

En plus d’un an, le secteur bancaire, longtemps perçu comme un fleuron de l’économie libanaise, s’est fortement affaibli, comme le démontre la fonte des dépôts enregistrés, tandis que la classe politique continue de regarder la situation empirer sans s’attaquer aux fondamentaux de la crise, comme la corruption endémique.

La BDL et le laborieux chantier de la restructuration du secteur bancaire (II/II)

Dès le début de la crise, en août 2019, le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, avait compris que la pérennité de la politique monétaire, basée sur la fixation du taux de change dollar/livre, était compromise. Photo João Sousa

Pendant un an et demi, la Banque du Liban (BDL) aura tenté de reprendre la main face à la dégradation sans précédent de la situation économique et financière du pays du Cèdre. Toutefois, peu de temps après que le pays ne commence à entrer dans le mur en août 2019, Riad Salamé, gouverneur de l’institution depuis 1993, semblait déjà avoir compris que la pérennité de la politique monétaire, basée sur la fixation du taux de change dollar/livre qu’il pratiquait depuis les années 1990, était bel et bien compromise. Un mois notamment marqué par l’alignement quasi unanime des verdicts des principales agences de notation financière concernant la solvabilité du pays, dont la dette publique n’a cessé de grimper ces dernières années – atteignant 95 milliards de dollars à fin octobre dernier –, ainsi que par la liquidation surprise d’une banque de taille moyenne, la Jammal Trust Bank, visée par des sanctions américaines.

Lire la première partie de la rétrospective

Taux de change et subventions : retour sur les bricolages de la BDL (I/II)

C’est plus ou moins à la même période que la Banque centrale va cesser d’injecter des liquidités en dollar sur le marché pour soutenir la parité officielle, provoquant une série de réactions en chaîne qui, un an plus tard, réduiront la valeur de la monnaie nationale de 80 %, contracteront le PIB réel (en retirant l’effet de l’inflation) de 25 %, selon le Fonds monétaire international (FMI), et feront exploser l’inflation (133,47 % en novembre dernier en glissement annuel), le chômage (estimé par le groupe InfoPro, société spécialisée dans l’édition de titres de presse économique, à 30 % en juin) et la pauvreté (l’Escwa évaluant en mai que 55 % des Libanais vivaient déjà sous le seuil de pauvreté). Parallèlement, les banques limiteront illégalement l’accès des déposants à leurs dépôts, principalement en devises, le tout accompagné, en filigrane, de l’inertie complice de la classe politique.

Augmentation du capital

Si les Libanais ont dû attendre plusieurs mois pour saisir l’ampleur de la catastrophe qui allait leur tomber dessus, la BDL l’avait, elle, cernée dès novembre 2019 et tentait déjà de trouver un moyen de sauver les meubles. Ce mois-là, la Banque centrale prendra en effet une décision lourde de sens en imposant aux banques, via la circulaire n°532, d’augmenter leur capital de 20 % par rapport à leur bilan de l’année 2018 – 10 % à fin 2019 et 10 % à fin juin 2020. Le mois suivant, elle s’autorisait, à travers la circulaire n°536, à régler en livres libanaises la moitié des taux d’intérêt qu’elle devait payer aux banques en dollars, au titre de leurs différents placements chez elle, les autorisant de surcroît à répercuter la mesure sur leurs clients.

En d’autres termes, la BDL venait indirectement de reconnaître que les banques du pays n’étaient pas assez capitalisées pour absorber l’impact de ce début de crise, dans le sillage du mouvement de contestation qui a éclaté le 17 octobre 2019 et s’est poursuivi plusieurs mois durant. L’institution avait également acté que le niveau des réserves disponibles de devises du pays, hors réserves obligatoires des banques, avaient atteint un niveau suffisamment inquiétant pour justifier une remise en question – terriblement dommageable en terme de confiance – des engagements contractuels la liant aux banques et liant les banques à leurs clients. Il reste que si les banques répercuteront volontiers la mesure visant le règlement des intérêts, rares seront celles qui parviendront à appliquer ne serait-ce que la première tranche de l’augmentation de capital demandée dans les temps impartis, et ce malgré les mises en garde du gouverneur.

Entre-temps, la BDL continue d’aménager les paramètres d’emprunts et de rémunération des dépôts. Elle diminue ainsi les taux d’intérêt sur les nouveaux dépôts après le 13 février, date de publication de la circulaire n°544, puis demande à l’Association des banques du Liban (ABL) de répercuter ces changements sur le taux de référence (Beirut Reference Rate, BRR). Le 25 février, la circulaire n°545 plafonne les intérêts créditeurs sur les prêts immobiliers dépendamment de leur date et de leur montant. Elle unifie également le mode de calcul des taux d’intérêt sur les prêts subventionnés, qui ne dépendent donc plus du Libor (le taux interbancaire modifié au jour le jour), ni de ceux des bons du Trésor, mais plutôt sur un indice que la BDL choisit elle-même.

Audit de la BDL

Il faudra attendre le mois de mars 2020 et le défaut de paiement de la dette publique en dollar (les eurobonds), annoncé par le nouvel exécutif dirigé par Hassane Diab, pour que le dossier revienne au premier plan. Le gouvernement, qui prépare alors un plan de redressement du pays estimant à 275 000 milliards de livres, sur base d’un taux de 3 500 livres le dollar, les pertes accumulées par l’État, la BDL et le secteur bancaire, ces deux derniers étant exposés à la dette publique.

Approuvé fin avril et présenté le mois suivant au FMI, le plan préconise de restructurer le secteur bancaire, de manière à lui permettre d’absorber une partie des pertes en ponctionnant les actionnaires et les gros déposants. Opposées à cette stratégie qui, selon elles, ne met pas suffisamment l’État à contribution, les banques et la BDL s’agitent en coulisses avec l’appui d’une partie des parlementaires pour la contester, conduisant à la paralysie des négociations avec le FMI. Au même moment, la Banque centrale tente de rendre la pilule de l’augmentation de capital plus digeste pour les banques à l’approche de l’échéance définitive de sa circulaire de novembre en leur permettant de modifier plusieurs ratios de liquidités (circulaires n°542 et n°543 du 3 février, n°554 et n°555 du 11 mai), sans grand succès.

De plus, suivant l’une des réformes demandées par le FMI (auquel le Liban a demandé une assistance financière en mai) et la communauté internationale, l’exécutif souhaite mandater plusieurs entreprises pour auditer les comptes de la Banque centrale, dont KPMG, un cabinet de conseil néerlandais expert en comptabilité générale ; Oliver Wyman, un cabinet de conseil américain spécialiste des banques centrales ; et Kroll, un cabinet américain expert en audit juricomptable, dont la mission est de déceler d’éventuels détournements de fonds passés.

Cependant, le cabinet Kroll est vite écarté, sous prétexte de relations avec Israël, et remplacé par le cabinet américain Alvarez & Marsal. Ce dernier jettera finalement l’éponge en novembre dernier, la BDL refusant de lui fournir les documents requis sous prétexte de la loi sur le secret bancaire, ce que plusieurs juristes, dont la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, réfutent. En conséquence, le Parlement votera en décembre la levée du secret bancaire sur les comptes de la BDL pour une durée d’un an, permettant au Liban de quémander à nouveau, deux jours avant Noël, les services de l’entreprise, sans réponse officielle jusqu’à présent. Les deux autres cabinets, KPMG et Oliver Wyman, dont les contrats sont liés au cabinet de l’audit juricomptable, n’ont pas commenté la réception des documents de la BDL mais leurs dirigeants se sont rendus au Liban à la suite du désistement d’Alvarez & Marsal. Une visite ponctuée de rencontres avec les autorités libanaises dont aucune information n’a filtré dans la presse, bien que certaines sources proches du dossier aient toutefois évoqué une certaine difficulté à entreprendre leur mission.

Restructuration du secteur bancaire

Au début de l’été, peu après le renouvellement par l’exécutif des quatre vice-gouverneurs qui forment son Conseil central, la BDL va prendre les devants en plusieurs étapes. En juillet, elle commence par instituer une commission ad hoc, discrète depuis sa formation, qui aura la charge de piloter la restructuration du secteur bancaire. Une source proche du dossier avait alors révélé à L’Orient-Le Jour qu’il était prévu « depuis plusieurs mois » que les banques alpha du pays – celles qui possèdent plus de 2 milliards de dollars de dépôts, soit 16 des 49 banques commerciales établies au Liban – absorbent les autres établissements. Une stratégie jugée inéquitable pour les banques de petite taille bien gérées et moins exposées à la dette.

Fin août, alors que les habitants de la capitale peinent à se remettre de la double explosion dévastatrice du port, la Banque centrale édicte plusieurs dispositions actualisant l’obligation d’augmentation de capital qu’elle avait formulée en novembre 2019. Ainsi, la circulaire intermédiaire n°567 du 27 août modifie la date-butoir pour cette augmentation à fin décembre de cette année et rabaisse une nouvelle fois les ratios de solvabilité imposés aux banques. Publiée le même jour, la circulaire principale n°154 les contraint de placer, fin février 2021 au plus tard, auprès de leurs banques correspondantes à l’étranger au moins 3 % des dépôts libellés en devises qu’elles possédaient au 31 juillet dernier. Mettant en garde le secteur bancaire, via les médias, le jour-même, le gouverneur réitéra ses propos plusieurs fois : les banques qui n’obtempéreront pas seront liquidées, tout en assurant que les dépôts ne seront pas perdus. Ces deux exigences sont donc les principales conditions pour que les banques restent sur le marché.

Toutefois, la BDL ira encore plus loin. À travers ce même texte, l’institution financière demandera aux banques d’exercer des pressions sur leurs déposants ayant transféré plus de 500 000 dollars à l’étranger entre le 1er juillet 2017 et le 27 août 2020 dans le but de les convaincre de rapatrier au moins 15 % de ces montants dans un compte bloqué pendant cinq ans, ajoutant que ce taux monte à 30 % s’il s’agit de personnes politiquement exposées, de membres des conseils d’administration des banques ou encore de grands actionnaires. Cette dernière mesure sera décriée par le secteur, affirmant finalement en octobre être d’accord pour y souscrire, ainsi que par une partie des déposants, particuliers comme professionnels. Enfin, le 9 décembre dernier, la BDL exige des banques n’ayant pas réglé les dividendes qu’elles devaient verser à leurs actionnaires prioritaires en 2019 (uniquement les personnes physiques), quelles versent « cette somme avec les intérêts » contractuellement fixés.

Pour l’heure, aucune communication détaillée de la part des banques ou de l’ABL n’a permis de faire le point sur l’application de l’augmentation de capital dans sa globalité, alors que le secteur a commencé en milieu d’année à dégraisser ses effectifs et que certaines enseignes ont entrepris de céder une partie de leurs actifs à l’étranger pour rapatrier des devises. Dans la rue, les anecdotes de banques tentant de grappiller toutes les liquidités qu’elles peuvent auprès de leurs déposants, parfois au détriment des règles les plus élémentaires de sécurité contractuelle, se multiplient, tout comme les procédures lancées par des déposants contestant devant la justice libanaise, et parfois étrangère, les restrictions bancaires existant depuis les premiers mois de la crise.

En plus d’un an, le secteur bancaire, longtemps perçu comme un fleuron de l’économie libanaise, s’est fortement affaibli, comme le démontre la fonte des dépôts enregistrés, tandis que la classe politique se contente de regarder la situation empirer sans s’attaquer aux fondamentaux de la crise, à savoir la corruption endémique qui a, en trois décennies, épuisé les ressources du pays pour alimenter le clientélisme boulimique sur lequel les différents partis ont assis leur pouvoir. À l’étranger, les banques correspondantes continuent de traiter normalement avec les établissements libanais, même si la récente requête de la Banque centrale de Chypre adressée aux succursales libanaises opérant sur l’île, et leur demandant de transférer sur des comptes spéciaux enregistrés chez elles l’équivalent des dépôts qu’ils détiennent, inquiète. Néanmoins, c’est avec un certain calme que les neuf établissements concernés semblent avoir pris cette mesure jusqu’à présent.

Les facilités accordées par la BDL, non appliquées en majorité

Face à la pandémie de Covid-19, qui a accru la crise économique libanaise, la Banque du Liban (BDL) a édicté deux circulaires (n°547 et n°552 respectivement en mars et en avril) ayant pour objectif d’accorder des prêts exceptionnels à 0 % et sans frais, remboursables sur cinq ans, aux sociétés qui se sont retrouvées dans l’impossibilité de payer leurs échéances de prêts, les salaires de leurs employés ou leurs coûts d’opération. Si ces textes ont été reçus de manière assez positive par les entreprises locales, elles ont rapidement déchanté, dénonçant le manque, voire l’absence d’application de ceux-ci par les banques, à qui la BDL avait abandonné la responsabilité de l’octroi et du recouvrement de ces prêts.

Les sinistrés de la double explosion meurtrière au port de Beyrouth le 4 août ont subi les mêmes problèmes sur le terrain. La Banque centrale a bien permis aux banques d’accorder des prêts libellés en dollars et remboursables sur cinq ans maximum (n°152 et n°569, en août) mais, dans les faits, peu de crédits ont été octroyés, en raison d’un manque de liquidité bancaire d’une part, et de certaines conditions de remboursement particulières (notamment des aides reçues et le taux de change de 3 900 livres pour un dollar), d’autre part.

Les étudiants libanais à l’étranger, ainsi que leurs familles, ont également fait l’objet de deux circulaires permettant le transfert de 10 000 dollars au taux officiel dans le pays d’étude (n°153 d’août et n°156 de décembre), sans grand succès non plus. Ce sujet a d’ailleurs mobilisé le Parlement qui a voté une loi en ce sens fin septembre. Dans son deuxième texte, la BDL a demandé à l’Association des banques du Liban de créer une « centrale d’informations » dont le rôle sera de vérifier que les bénéficiaires potentiels de cette loi n’abusent pas du mécanisme, ressemblant fortement à celui de la Centrale des risques qui s’applique pour les prêts.

La seule mesure qui a été plus ou moins appliquée est celle de la circulaire n°568 publiée fin août, qui permet aux clients résidant au Liban et ne possédant pas de comptes en devises de payer ou solder les mensualités des prêts en devises qu’elles ont contractées en livres à la parité officielle, à condition que le prêt soit personnel et inférieur à 100 000 dollars ou qu’il soit foncier et inférieur à 800 000 dollars.

Pendant un an et demi, la Banque du Liban (BDL) aura tenté de reprendre la main face à la dégradation sans précédent de la situation économique et financière du pays du Cèdre. Toutefois, peu de temps après que le pays ne commence à entrer dans le mur en août 2019, Riad Salamé, gouverneur de l’institution depuis 1993, semblait déjà avoir compris que la pérennité de la politique...

commentaires (3)

RESTRUCTURATION DITES VOUS... BEN POUR UNE FOIS NOS "BIENFAITEURS" N'AURONT PAS LE CHOIX. DE TTES FACONS IL EST SUR ET CERTAIN QUE CE QUE FUT LE SECTEUR LE FUT - R.I.P. BY BY BIRDY. FINI LES ANNEES FASTES OU ARABES ET EXPATRIES INVESTSSAIENT EN ARGENT FRAIS ET/OU DANS L'IMMOBILIER. IL EST A CRAINDRE-SERIEUSEMENT LE RAPETISSEMENT DU SECTEUR QUI DEVIENDRAIT ALORS PROCHE DE CE QUE FURENT LES "COMPTOIRES" D'ANTAN.

Gaby SIOUFI

14 h 46, le 01 janvier 2021

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Commentaires (3)

  • RESTRUCTURATION DITES VOUS... BEN POUR UNE FOIS NOS "BIENFAITEURS" N'AURONT PAS LE CHOIX. DE TTES FACONS IL EST SUR ET CERTAIN QUE CE QUE FUT LE SECTEUR LE FUT - R.I.P. BY BY BIRDY. FINI LES ANNEES FASTES OU ARABES ET EXPATRIES INVESTSSAIENT EN ARGENT FRAIS ET/OU DANS L'IMMOBILIER. IL EST A CRAINDRE-SERIEUSEMENT LE RAPETISSEMENT DU SECTEUR QUI DEVIENDRAIT ALORS PROCHE DE CE QUE FURENT LES "COMPTOIRES" D'ANTAN.

    Gaby SIOUFI

    14 h 46, le 01 janvier 2021

  • "... la restructuration du secteur bancaire ..." - J’ai un doute tout à coup. On dit "bancaire", ou "bancal"? Bonne année à tous

    Gros Gnon

    22 h 11, le 31 décembre 2020

  • Tous attendent que la correction se fasse de la poche des déposants, comme ça se fait actuellement. Car, fonte des dépôts en devises et en livres, du fait du haircut pratiqué à 50% sur les devises payées en livres et avec plafonnement des retraits, ceci d'une part, et haircut à 80% sur les dépôts restants en monnaie nationale. L'injustice vis à vis des déposants en livres est grande et criminelle; il faudrait au moins les égaliser à ceux qui ont viré aux devises. Les gens naïfs, ont pris au sérieux les mensonges de Salamé quant à la force de stabilité de la livre.

    Esber

    10 h 13, le 31 décembre 2020

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