Le bras de fer politico-judiciaire se poursuit entre le juge d’instruction près la Cour de justice Fadi Sawan et les responsables inculpés vendredi, dans le cadre de son enquête sur la double explosion au port de Beyrouth survenue le 4 août. Les deux députés du mouvement Amal Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil, qui étaient censés comparaître devant lui lundi mais qui n’avaient pas répondu à leur convocation, sont appelés à nouveau à se présenter aujourd’hui devant le magistrat. Ils n’ont cependant pas l’intention d’obtempérer pour les mêmes motifs qu’ils avaient invoqués vendredi, lorsqu’ils avaient dénoncé « une démarche inconstitutionnelle » et « une politisation du dossier ». De confession chiite, les deux hommes sont soutenus par le camp de Nabih Berry et le Hezbollah qui avaient contesté la démarche de M. Sawan. En tant que respectivement ancien ministre des Transports et ancien ministre des Finances, ils devraient être interrogés sur leurs responsabilités dans le stockage de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, emmagasinés depuis 2014 dans l’enceinte du port.
Outre les deux députés, Fadi Sawan avait inculpé l’ancien ministre des Transports, Youssef Fenianos, et le chef du gouvernement sortant, Hassane Diab. Refusant d’être interrogé, M. Diab avait quitté dimanche le Grand Sérail où, conformément à la loi, le juge d’instruction était censé se rendre pour l’interroger. Le Premier ministre sortant a ainsi regagné son domicile pour ne pas avoir à recevoir le magistrat. Insistant toutefois pour l’auditionner, ce dernier a reporté l’audience à vendredi. Quant à Youssef Fenianos, il s’est rendu hier à l’audience qui lui avait été fixée, sans savoir qu’elle avait été reportée à demain, jeudi.
L’Orient-Le Jour a tenté sans succès de joindre MM. Zeaïter et Khalil. C’est leur confrère du groupe parlementaire berryste, Kassem Hachem, qui nous a confirmé qu’ils ne comptent pas se rendre aux audiences qui leur ont été fixées. Et pour cause : « La façon de traiter l’affaire est contraire aux règles constitutionnelles. » « Si les deux parlementaires acceptent d’être interrogés demain (aujourd’hui), cela signifierait qu’ils reconnaissent la constitutionnalité de la démarche de Fadi Sawan. Or ils la réfutent. »
M. Hachem invoque d’abord l’article 40 de la Constitution, selon lequel un membre du Parlement ne peut, pendant la session parlementaire ordinaire, être poursuivi ou arrêté pour infraction pénale qu’après une autorisation de la Chambre, sauf en cas de flagrant délit. Interrogé sur la question, l’ancien président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et du Conseil d’État (CE), Ghaleb Ghanem, affirme que le texte constitutionnel est clair en ce sens. « En l’espèce, les députés ne peuvent faire l’objet de poursuites pénales puisqu’ils bénéficient de leur immunité parlementaire », indique-t-il, soulignant toutefois qu’ « ils auraient pu eux-mêmes, ou par l’intermédiaire de leurs avocats, présenter des exceptions de forme pour contester la décision du juge d’instruction ».
L’autre argument dont s’arment les parlementaires inculpés est le fait qu’en tant qu’anciens ministres, ils ne sont susceptibles d’être mis en accusation que si la Chambre des députés entreprend une démarche en ce sens. « Selon l’article 70 de la Constitution, la poursuite des ministres relève du Parlement », note M. Hachem, rappelant qu’« en cas de manquement grave aux devoirs de leur charge, ils peuvent être mis en accusation à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée plénière ». « Cette prérogative ne relève donc pas de la justice pénale ordinaire ou de la Cour de justice », poursuit-il, soulignant que « c’est la Haute Cour de justice chargée de juger les chefs d’État et les ministres qui serait, le cas échéant, chargée de les juger ». Dans ses propos, le député berryste considère donc qu’il s’agit d’actes liés à des manquements aux devoirs de ministre et tranche ainsi sur la qualification des délits ou crimes dont ses confrères seraient accusés.
Les cas intermédiaires
L’ancien magistrat Ghaleb Ghanem estime au contraire qu’« au vu des poursuites qu’il a lancées, Fadi Sawan a probablement jugé que les accusés n’ont pas commis leurs actes en leur qualité de ministres ». La problématique qui se pose est de savoir si le juge d’instruction qualifie les actes commis comme un manquement grave aux devoirs de ministre, en l’occurrence que les ministres concernés n’ont pas géré le service public dans le respect de la Constitution.
Dans ce cas, le Parlement, puis la Haute Cour chargée de juger les chefs d’État et les ministres seront compétents. Si les actes sont qualifiés comme des crimes de droit commun, il appartiendra aux tribunaux pénaux ordinaires ou d’exception (Cour de justice) de les juger. Enfin,« M. Sawan peut considérer que les actes ont été perpétrés dans le cadre de l’exercice des fonctions de ministre, sans que pour autant ils ne résultent de ces fonctions », explicite M. Ghanem. « La nuance a été définie dans une jurisprudence datant de 2000. L’assemblée plénière de la Cour de cassation a en effet jugé que ces cas intermédiaires relèvent également de la compétence des tribunaux pénaux ordinaires ou d’exception », note-t-il, rappelant à cet égard que « Ali Abdallah, ancien ministre de l’Agriculture, avait été jugé en 2003 par les tribunaux pénaux parce qu’il avait profité de son poste de ministre pour commettre un délit ». M. Abdallah avait détourné une partie du financement d’un projet agricole, cédant à son frère un cheptel de plusieurs milliers de vaches laitières qu’il était supposé confier à de petits éleveurs et cultivateurs.
Pour revenir aux députés qui n’entendent pas être interrogés aujourd’hui, l’ancien président du CSM affirme que le code de procédure pénale donne au juge d’instruction le pouvoir d’émettre à leur encontre un mandat d’amener, le cas échéant. « Les choses n’iraient pas jusque-là », juge pour sa part M. Hachem, indiquant que le président de la Chambre a adressé lundi une lettre à Fadi Sawan, via le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, dans laquelle il lui demande de fournir au Parlement des documents sur lesquels il s’était basé pour décider d’auditionner en tant qu’inculpés les responsables concernés. » « Les documents demandés devraient bientôt parvenir à la Chambre qui prendra une décision après les avoir étudiés. »
« En tout état de cause, l’enjeu est que l’enquête puisse aboutir à des résultats », martèle de son côté Ghaleb Ghanem, souhaitant que Fadi Sawan « ne revienne pas sur ses décisions et poursuive ses investigations jusqu’à prononcer un acte d’accusation ».
Bof... Arrêtez cette comédie... où certains prétendent, pendant un temps, suivre la loi alors que d'autres s'en moque et vis versa! Kelloun yaané kelloun! La seule solution est le pavé, la rue où tout les libanais doivent investire jusqu'au départ de toutes la clique sur un Titanic spécialement conçu pour eux! La révolution française a prit des décennies avant de s'accomplir, essayons de raccourcir notre parcours!
13 h 25, le 16 décembre 2020