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Politique - Décryptage

Le juge Sawan, entre pression populaire et barricades politico-confessionnelles

Jamais, depuis son indépendance, le Liban n’a présenté un tel aspect de désordre et de désenchantement. Comme si les multiples problèmes économiques, financiers, sociaux et politiques ne suffisaient pas, voilà que désormais la justice est devenue un sujet de discorde. L’une après l’autre, les institutions de l’État sont en train d’être discréditées, certaines par la population en colère, d’autres par les parties politiques qui se sentent en perte de vitesse.

Ce qui aurait dû être une démarche purement judiciaire s’est soudain transformée en une querelle politique et surtout confessionnelle. Le juge d’instruction Fadi Sawan chargé de l’enquête sur les explosions du port le 4 août dernier n’imaginait sans doute pas que les poursuites qu’il a engagées jeudi contre le président du Conseil sortant Hassane Diab, les deux députés et anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter et l’ex-ministre des Transports Youssef Fenianos, allaient soulever un tel tollé. Certes, au Liban, il y a eu il y a quelques années des expériences similaires, lorsque le gouvernement présidé par Salim Hoss, en 1998, sous le mandat du président Émile Lahoud qui venait de commencer, avait tenté de mener une « opération mains propres » au sein de l’administration et de la classe politique, avant de se heurter au mur confessionnel et aux lignes rouges politiques. Mais ni la démarche judiciaire de l’époque ni les réactions des leaders politico-confessionnels n’avaient atteint un tel degré de violence comme cela arrive aujourd’hui.

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À peine les inculpations avaient-elles été prononcées qu’il y a eu une véritable levée de boucliers contre le juge Sawan et sa décision. Le Premier ministre désigné Saad Hariri, qui avait à peine accepté, il y a un an, lorsque Hassane Diab avait été désigné pour former son gouvernement, de le recevoir pour la forme pendant quelques minutes, en tant qu’ancien Premier ministre, a brusquement pris le chemin du Sérail, largement filmé par les médias, pour soutenir Hassane Diab, selon lui injustement accusé par le juge Sawan. Selon les familiers du Sérail, Hassane Diab avait attendu et espéré cette visite pendant près de huit mois, avant qu’il présente la démission de son gouvernement le 10 août dernier. Mais elle n’est jamais venue. En formant un gouvernement sans l’aval de Saad Hariri et de ce qu’on appelle « le club des anciens Premiers ministres » (Hariri, Tammam Salam, Nagib Mikati et Fouad Siniora), il avait été désavoué par la communauté sunnite et même le mufti Abdellatif Deriane lui avait accordé une couverture sunnite du bout des lèvres.

En faisant l’objet de poursuites judiciaires pour négligence et incompétence qui ont provoqué la mort d’innocents et causé du tort à de nombreux Libanais, M. Diab est soudain devenu aux yeux des leaders sunnites une victime injustement traitée et aux yeux de la rue sunnite un héros. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, les barricades sectaires se sont dressées face au juge Sawan et le pays, déjà lourdement éprouvé, se retrouve désormais au bord d’un terrible clivage confessionnel. Le juge Sawan avait déjà auditionné le Premier ministre sortant le 3 septembre au Sérail et ce dernier avait répondu à toutes les questions. Mais il ne compte pas coopérer cette fois-ci. C’est pourquoi l’interrogatoire prévu aujourd’hui au Sérail ne devrait pas avoir lieu, en raison des blocages confessionnels.

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De leur côté, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter se sont également élevés contre la décision du juge en s’abritant eux aussi derrière leur communauté, mais aussi derrière l’article 40 de la Constitution qui exige la levée de l’immunité parlementaire d’un député avant que des mesures pénales soient prises contre lui. Le juge Sawan avait envoyé une lettre au Parlement en ce sens le 24 novembre, mais il n’avait obtenu aucune réponse. Ce qui l’avait poussé à agir, sans obtenir les autorisations nécessaires. Là aussi, il a dû faire face à une véritable levée de boucliers contre lui, les deux députés et anciens ministres s’étant largement exprimés dans les médias sur le sujet et ne ménageant pas leurs critiques à son encontre. Selon les milieux proches du mouvement Amal, et jusqu’à nouvel ordre, les deux députés et anciens ministres ont refusé de se rendre à la convocation du juge.

Il ne reste plus que l’ancien ministre Youssef Fenianos qui, lui, n’a pas réagi publiquement et qui est le seul responsable chrétien à faire l’objet d’une inculpation de la part du juge Sawan. Comme M. Fenianos est proche des Marada et, en même temps, des deux formations chiites, Amal et le Hezbollah, les accusations ont commencé à pleuvoir contre le chef de l’État, Michel Aoun, et contre le CPL de Gebran Bassil, sous prétexte qu’ils seraient derrière la décision du juge Sawan. Dans les médias, on commence en effet à dire qu’il ne s’agit plus de justice, mais de règlements de comptes politiques à travers le pouvoir judiciaire et que le président de la République et son camp chercheraient, à travers les inculpations, à mener une véritable campagne contre leurs adversaires politiques, notamment Nabih Berry et Sleiman Frangié. La présidence de la République a publié un communiqué dans lequel elle a affirmé n’avoir aucun rôle dans la décision du juge Sawan, mais le mal est fait et l’affaire est désormais abordée sous l’angle politico-confessionnel. Les sources proches de Baabda ont beau dire que Hassane Diab ne fait nullement partie des rivaux politiques du chef de l’État, leur message n’est pas capté tant les positions se sont radicalisées. Au point d’ailleurs que certaines parties ont commencé à réclamer que le chef de l’État fasse aussi l’objet de poursuites. Ce qui exige une procédure assez compliquée. De son côté, le Hezbollah a, dans un communiqué aux mots soigneusement pesés, critiqué la décision du juge Sawan, la jugeant tendancieuse et ne répondant pas à des critères clairs et unifiés. Selon des sources proches du Hezbollah, ce dernier voulait éviter que la polémique prenne un aspect purement confessionnel.

En tout cas, les principales critiques adressées au juge d’instruction se résument au fait de n’avoir ciblé que Hassane Diab, alors que depuis 2014, d’autres présidents du Conseil se sont succédé au Sérail. En même temps, il y a eu aussi d’autres ministres des Travaux publics, dont l’actuel, et ils ne sont pas mentionnés dans l’enquête du juge.

Dans ce contexte explosif, et face au refus des responsables inculpés de répondre à la convocation du juge, celui-ci se trouve devant une impasse. Soit il demande à être dessaisi du dossier, soit il devra faire marche arrière, ou alors, s’il continue, le pays sera dans une situation encore plus compliquée. Entre la pression de l’opinion publique et du mouvement de protestation qui veulent des coupables et celle des barricades confessionnelles et politiques, la marge de manœuvre est très limitée.

Jamais, depuis son indépendance, le Liban n’a présenté un tel aspect de désordre et de désenchantement. Comme si les multiples problèmes économiques, financiers, sociaux et politiques ne suffisaient pas, voilà que désormais la justice est devenue un sujet de discorde. L’une après l’autre, les institutions de l’État sont en train d’être discréditées, certaines par la...

commentaires (4)

"" Le juge Sawan avait envoyé une lettre au Parlement en ce sens le 24 novembre, mais il n’avait obtenu aucune réponse. "" dit elle ! Mauvaise foi ou ignorance? le parlement avait bien repondu a Sawan que le parlement ne voyait aucune raison de lever l'immun9te des ministres, ce qui l'avait decide a changer de tactique et opter pour l'article d'une autre loi lui permetrrait -possiblement - a les poursuivre qd meme. DROLE d'avoir omit ce details

Gaby SIOUFI

08 h 27, le 14 décembre 2020

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Commentaires (4)

  • "" Le juge Sawan avait envoyé une lettre au Parlement en ce sens le 24 novembre, mais il n’avait obtenu aucune réponse. "" dit elle ! Mauvaise foi ou ignorance? le parlement avait bien repondu a Sawan que le parlement ne voyait aucune raison de lever l'immun9te des ministres, ce qui l'avait decide a changer de tactique et opter pour l'article d'une autre loi lui permetrrait -possiblement - a les poursuivre qd meme. DROLE d'avoir omit ce details

    Gaby SIOUFI

    08 h 27, le 14 décembre 2020

  • Vous avez raison de souligner le volte-face des presidents du conseil et leur appui inconditionnel a Hassan Diab apres l’avoir crucifie durant des mois ! C’est cela la politique dans notre ‘’republique’’ bananiere. Il y a d’autres exemples si vous voulez. Aoun a fait sa reputation et sa popularite a cause de sa lutte pour la souverainete du Liban, contre les Syriens et le hezbollah iranien, accuse’ d’etre une mlice sectaire voulant islamiser le Liban. Qui sont ses seuls allie’s aujourd’hui ? la Syrie, le hezbollah et l’Iran. C’est tout dire ! Seul un miracle pourra debarasser notre pays de tous ces politiciens.

    Goraieb Nada

    08 h 17, le 14 décembre 2020

  • LE PROPRIETAIRE DU NITRATE DONT DES QUANTITES FURENT DECOUVERTES DANS D,AUTRES PAYS AUX MAINS DES PARTISANS DE CERTAINS EST BIEN CONNU. POURQUOI NE COMMENCE-T-IL PAS PAR LA TETE ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    01 h 19, le 14 décembre 2020

  • SI LE JUGE RECULE OU QU'IL DEMANDE À ÊTRE DESSAISI DU DOSSIER, ÇA VEUT DIRE QUE C'EST UN LACHE ET QU'IL APPARTIENT AUX 95% DES JUGES CORROMPUS. MAIS S'IL CONTINUE, IL SERA RÉCLAMÉ ET ENREGISTRÉ DANS L'HISTOIRE DU PAYS COMME LE PREMIER HÉROS DES JUGES QUI DÉFIE LA MAFIA AU LIBAN. IL FAUT COMMERCER QUELQUE PART POUR ARRIVER AU SOMMET DE LA PYRAMIDE DES MAFIEUX. EN ESPÉRANT TOUCHER AOUN, BERRY, FRANGIÉ ET LEURS ENTOURAGES.

    Gebran Eid

    01 h 04, le 14 décembre 2020

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