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Politique - Focus

Ce que dit la Constitution libanaise sur la convocation de ministres et députés

Au-delà du tollé médiatique et politique provoqué par la décision du juge Sawan, les textes apportent les réponses aux questions soulevées par l’inculpation d’hommes politiques. Et elles ne vont pas dans le sens des accusations de sélectivité adressées au juge.

Ce que dit la Constitution libanaise sur la convocation de ministres et députés

Les proches des victimes de la double explosion du 4 août manifestant au centre-ville le 25 novembre dernier, dans l’un de leurs innombrables rassemblements pour réclamer justice. Photo Marc Fayad

Le 10 décembre 2020 fera date. Ce jour-là, le juge d’instruction près la Cour de justice, Fadi Sawan, a décidé d’inculper quatre grosses pointures dans l’affaire de la double explosion au port de Beyrouth survenue le 4 août dernier : le Premier ministre démissionnaire Hassane Diab, les anciens ministres Youssef Fenianos, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, ces deux derniers étant par ailleurs députés. Rapidement ont fusé, dans différents médias, les questions sur la compétence, ou non, du juge Sawan à inculper des responsables politiques, dont des députés. Mais que dit effectivement la Constitution dans son introduction ?

Dans cette affaire, deux articles de l’introduction de la Constitution sont à retenir : l’article 40, selon lequel « aucun membre de la Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ni arrêté pour infraction à la loi pénale qu’avec l’autorisation de la Chambre, sauf en cas de flagrant délit », et l’article 70, qui stipule que « la Chambre des députés a le droit de mettre le président du Conseil des ministres et les ministres en accusation pour haute trahison ou pour manquement grave aux devoirs de leur charge. La mise en accusation ne peut être décidée qu’à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée entière ».

Malgré toutes les accusations qui ont fusé hier dans les médias, l’avocat pénaliste Akram Azouri assure à L’Orient-Le Jour que « la décision du juge Sawan est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation à partir des années 90 ». Il précise surtout que « la décision du juge est un acte procédural qui ne justifie pas le tollé médiatique qui l’a accompagné, puisque la convocation ne signifie nullement que les responsables concernés sont coupables, car ils restent innocents jusqu’à l’acte d’accusation, et même au-delà ».

L'Editorial de Issa GORAIEB

Premiers pas

Le juriste ajoute que les critères et la compétence de la justice régulière ont été établis par une décision portant sur l’ancien Premier ministre Fouad Siniora par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en 2000, une jurisprudence confirmée par la décision prise à l’encontre de Ali Abdallah, alors ministre de l’Agriculture, en 2003, et par l’affaire de l’ancien ministre Chahé Barsoumian (1999).

« La jurisprudence actuellement applicable considère que les ministres sont soumis à une justice concurrentielle, poursuit-il. D’une part, la justice est normalement compétente pour les juger, sauf si le Parlement décide de se saisir de l’affaire, et, dans ce cas, il a la priorité. Et s’il décide d’une accusation, d’autre part, il porte alors l’affaire vers la Haute Cour de justice (une juridiction d’exception chargée de juger les présidents et les ministres). »

Le juge Sawan a donc, selon le juriste, parfaitement appliqué la jurisprudence dans le sens où il a envoyé une lettre au Parlement concernant ses soupçons à l’encontre de hauts responsables, mais le bureau du Parlement a alors refusé de s’en saisir, d’où la décision qui a suivi. Cela n’empêche pas que le Parlement peut décider à n’importe quel moment de se saisir du dossier, et dans ce cas, le juge Sawan ne sera plus compétent dans cette affaire.

Une immunité « intermittente »

Mais qu’en est-il de l’immunité des députés ? L’ancien député Salah Honein fait remarquer à L’Orient-Le Jour qu’en ce qui concerne les députés, l’article 40 est clair : ils jouissent de l’immunité parlementaire si la Chambre est en session, ce qui est le cas actuellement. Il faut donc une autorisation de l’hémicycle pour que cette immunité soit levée.

Pour sa part, Akram Azouri précise que bien que les députés jouissent de l’immunité, celle-ci est absolue dans les cas de délits de parole ou d’expression, mais elle devient « intermittente » dans les cas d’autres infractions. « Par intermittente, je veux dire qu’elle s’applique quand le Parlement est en session, mais qu’elle s’arrête quand cette session prend fin », dit-il.

Autre question épineuse : l’institution qui doit juger les Premier ministre et ministres inculpés par le juge Sawan en cas d’acte d’accusation. Si le Parlement ne se saisit pas de l’affaire et que ces personnes actuellement inculpées sont incluses dans l’acte d’accusation du juge Sawan, elles comparaîtront alors devant la Cour de justice, selon Akram Azouri.

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Mais si le Parlement en décide autrement, la partie n’est pas gagnée, suivant Salah Honein. « Autant dire qu’il existe une chance minime pour que des Premiers ministres ou ministres soient effectivement jugés par la Haute Cour, dit-il. En effet, pour que le Parlement délivre lui-même un acte d’accusation et transfère le dossier à la Haute Cour, il lui faut un vote des deux tiers des députés, ce qui, dans le système actuel, signifie pratiquement une sorte d’immunité pour les accusés. Et à ce stade, il faut se souvenir de la composition de cette Haute Cour, formée de huit juges et de sept députés*, et dont toute décision doit être prise à 10 voix au moins. Ce qui signifie que même si les juges sont d’accord, il faudra au moins l’aval de deux députés pour que la décision soit rendue. »

M. Honein est très critique envers l’idée même de cette Haute Cour, estimant que les responsables politiques devraient être jugés par la justice régulière comme tout le monde. « Cette institution est une entorse même à l’esprit de la Constitution qui prône l’égalité devant la justice et la séparation des pouvoirs, dit-il. Or, dans cette Haute Cour, il y a des politiciens, ce qui nuit justement à la séparation des pouvoirs. »

L’exemple de Nicolas Sarkozy

Qu’en est-il des anciens ministres qui ne sont pas députés ? « Le législateur ne les a pas inclus dans les textes concernant les jugements des ministres et Premiers ministres, ce qui signifie, pour moi, qu’ils doivent être traduits devant la justice ordinaire », répond M. Honein.

Pour sa part, Akram Azouri insiste sur le fait que les responsables actuellement inculpés par le juge Sawan devraient agir en hommes d’État et collaborer avec la justice au lieu de lancer des plaidoyers et de se défendre face à l’opinion publique dans les médias. Il cite l’exemple de l’ancien président français Nicolas Sarkozy qui comparaît devant les juges pour des affaires liées à la corruption, sans pour autant que des forces politiques quelconques n’aient rien à redire.

Et il existe, selon lui, un autre écueil dans lequel il ne faudrait pas tomber. « Il est malvenu d’effectuer un quelconque parallèle entre l’affaire du port et d’autres affaires en cours actuellement, comme celle des accusations de corruption au sein du ministère des Déplacés ou celle de personnalités militaires entendues pour enrichissement illicite, affirme-t-il. Dans l’affaire de la double explosion au port, c’est le sang des victimes qui commande la décision du juge. Il n’y a aucune sélectivité dans ce processus. Et il ne faut pas oublier que l’enquête n’est pas terminée et que le juge peut encore inculper d’autres personnes. »

* Ces sept députés ont été élus en mars 2019. Il s’agit de Georges Okaïs (Forces libanaises), Ali Ammar (Hezbollah), Fayçal el-Sayegh (Rassemblement démocratique de Walid Joumblatt), Georges Atallah (Courant patriotique libre), Samir el-Jisr (courant du Futur), Hagop Pakradounian (Tachnag) et Ali Darwiche (groupe parlementaire centriste, qui a succédé au député démissionnaire Élias Hankache, Kataëb).

Le 10 décembre 2020 fera date. Ce jour-là, le juge d’instruction près la Cour de justice, Fadi Sawan, a décidé d’inculper quatre grosses pointures dans l’affaire de la double explosion au port de Beyrouth survenue le 4 août dernier : le Premier ministre démissionnaire Hassane Diab, les anciens ministres Youssef Fenianos, Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, ces deux derniers...

commentaires (3)

les responsables concernés sont coupables, car ils restent innocents jusqu’à l’acte d’accusation, et même au-delà ». il n y aura pas d accusation car sont des sunnites ,dans un pays qui se dit avoir une constitution (qui stipule qu il ne faut pas voler) fabriquée de toute pièce en fonction de la couleur religieuse . il reste à créer une commission pour voir la suite sinon c est la guerre civile que personne ne veut pauvre liban

youssef barada

15 h 39, le 12 décembre 2020

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Commentaires (3)

  • les responsables concernés sont coupables, car ils restent innocents jusqu’à l’acte d’accusation, et même au-delà ». il n y aura pas d accusation car sont des sunnites ,dans un pays qui se dit avoir une constitution (qui stipule qu il ne faut pas voler) fabriquée de toute pièce en fonction de la couleur religieuse . il reste à créer une commission pour voir la suite sinon c est la guerre civile que personne ne veut pauvre liban

    youssef barada

    15 h 39, le 12 décembre 2020

  • Une loi ou un article du Code x dispose mais ne stipule pas !

    Emile Antonios

    11 h 38, le 12 décembre 2020

  • Les politiques auraient dit n'importe quoi sans invoquer le moindre texte et sans avoir recours au moindre raisonnement? Surprenant... L'immunité au Liban est de facto et collective pour les politiques au Liban. Deux précisions : la présomption d'innocence ne prend pas fin avec l'acte d'accusation mais lorsqu'il y aura une condamnation non contestée (absence de recours) et puis un article de loi ne stipule pas, il dispose ou dit.

    Georges Olivier

    08 h 12, le 12 décembre 2020

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