Dix années durant, la Beirut Art Fair a été le rendez-vous très attendu de la communauté artistique locale et régionale. Cette année, la 11e édition n’aura pas lieu. Une annonce, ou plutôt un constat sans grand surprise, puisque les conditions économiques et sociales actuelles du Liban ne s’y prêtent pas du tout. « Cela a été une grande peine de devoir annuler la Foire de Beyrouth et je ne sais pas quand pourra être organisée la prochaine édition. Pour le moment, il y a d’autres urgences... », soupire Laure d’Hauteville, fondatrice et directrice de la BAF. Mais, depuis le 3 décembre, les plateformes Facebook et Instagram de Beirut Art Fair sont animées d’une fébrilité contagieuse. Et la dynamique patronne des arts n’y est pas étrangère. « Il y a quelques jours, j’ai lancé sur les réseaux sociaux un appel ouvert aux artistes libanais émergents et en quatre jours j’ai reçu 196 dossiers, affirme d’Hauteville. Une présélection de 44 artistes a été effectuée, parmi lesquels 7 candidats ont été choisis pour cette première promotion de jeunes talents prometteurs. » La directrice de la BAF a dû n’en garder que 7, pour coller au concept « Un Artiste/Une œuvre/Un Jour publiés sur nos réseaux », poursuit-elle, ajoutant que le choix était difficile tant les projets proposés étaient riches et variés.
Et la directrice de la BAF de préciser que l’objectif de cet « Open Call #1 for Lebanese Artists » est de révéler et promouvoir les nouveaux talents de la scène contemporaine libanaise, auprès des nombreux visiteurs qui ont participé à la Foire depuis 2010. « C’est aussi redonner confiance aux artistes, les accompagner dans leur création, les aider à vivre de leur art, et développer avec eux des initiatives à l’international, précise-t-elle. Aujourd’hui, soutenez nos artistes, ils ont besoin de vous ! »
Les œuvres sélectionnées sont proposées à la vente afin de soutenir et d’encourager ces artistes à poursuivre leurs aspirations.
L’identité explorée
Les artistes ont exploré le large spectre de la notion d’identité, qu’elle soit régionale, collective, communautaire, sociale, de genre, mais aussi culturelle lorsque les origines sont multiples. Cette notion est déclinée à travers les divers médiums que sont la photographie, la tapisserie, le dessin ou la sculpture.
« La photographie occupe une place majeure dans notre sélection et fonctionne ici comme symbole », poursuit Laure d’Hauteville avant de détailler la sélection. « Tony Mhanna tente de faire revenir chez eux les fantômes du passé, comme pour conjurer le sort de ces maisons abandonnées à cause de la guerre, tandis que Zeinab Khalifé immortalise dans ses portraits les laissés-pour-compte de la société afin qu’ils ne deviennent pas fantômes à leur tour », dit-elle. « Par un travail de composition manuelle et de construction graphique, Basile Ghosn manipule l’iconographie architecturale et nous livre des images-illusions afin de rétablir un nouvel ordre social et esthétique. » Léa Skayem, quant à elle, explore à travers ses autoportraits mis en scène les difficultés d’habiter un corps de femme dans une société conservatrice.
La directrice de la BAF souligne ensuite le fusain épuré de Salah Missi qui « dénonce la corruption des dirigeants dans le monde arabe qui noie l’humain ; ici ses personnages isolés de leur environnement s’entrelacent dans un état de désespoir et d’impuissance ».
Inspirée par son héritage libano-colombien, la tapisserie de Michelle Maluf « associe techniques ancestrales et éléments contemporains afin de créer un contraste harmonieux des matières, allégorie de la diversité libanaise », note Laure d’Hauteville.
Quant à la sculpture installation de Camilia Salamé, c’est un mémorial à l’ibis chauve, un oiseau dont « l’espèce a aujourd’hui disparu après avoir été aperçu une dernière fois en 2015 lors de la destruction de Palmyre. Considéré comme l’oiseau sacré ayant apporté le rameau d’olivier à Noé après le déluge, il est une figure de la renaissance mais aussi de la perte du patrimoine culturel et naturel. Cette œuvre poétique est une allégorie du lien éternel entre l’homme et la terre », déclare la spécialiste.
« Cet open call donne enfin l’opportunité aux artistes de faire entendre leur voix en ces temps de Covid-19. Les occasions d’exposer ont disparu et les artistes indépendants ont plus que jamais besoin d’être soutenus et promus de façon innovante, tout particulièrement au Liban, qui connaît une grave crise économique. Le positionnement de la BAF est osé et j’espère qu’il saura trouver un écho auprès des collectionneurs étrangers », indique Marie-Mathilde Gannat-Jabre, cocurateur de Open Call #1 for Lebanese Artists.
« Beyrouth se redressera et restera toujours une plateforme créative où se multiplient les initiatives. La 11e édition de la BAF verra le jour ultérieurement, lorsque les conditions politiques et économiques le permettront », conclut Laure d’Hauteville.
En attendant des jours meilleurs, la BAF réaffirme autrement son engagement pour la découverte de la scène artistique libanaise émergente.
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