Sa petite phrase lancée au détour d’une déclaration a pu être perçue comme une boutade, mais à scruter de près – en prenant de la hauteur – les développements en cours, il apparaît que sa mise en garde devrait être prise très au sérieux. Le chef du Quai d’Orsay, Jean-Yves Le Drian, a souligné il y a quelques jours que « le Liban risquerait de disparaître » si les réformes promises n’étaient pas concrétisées dans les délais les plus brefs.
Il ne s’agit pas là, à l’évidence, de disparition « physique ». Le ministre français semble insinuer que c’est le système en place et la structure du pays qui sont aujourd’hui menacés. Les appréhensions manifestées par Jean-Yves Le Drian s’inscrivent sans doute dans une perspective économique et financière. Qu’il nous soit permis, toutefois, de nous livrer à une petite extrapolation en plaçant la grave allusion du chef de la diplomatie française dans un contexte beaucoup plus grave, qui dépasse largement le cadre économico-financier.
Ce qui est menacé de disparition aujourd’hui, c’est ce « Liban-message » auquel le pape Jean-Paul II soulignait son ferme attachement. En clair, c’est ce qui a fait historiquement, et à travers les siècles, la spécificité du pays du Cèdre dans cette partie du monde qui risque d’être remis en question, en l’occurrence le pluralisme, le visage libéral du Liban, son ouverture sur le monde, sa diversité culturelle, la sauvegarde des libertés publiques et individuelles, la défense des droits de l’homme et de la femme, l’économie libre, le respect de l’enseignement privé et de la libre-entreprise… Autant de valeurs humanistes et de jalons qui risquent d’être progressivement supplantés, et de manière pernicieuse et imperceptible, par un projet de société guerrière, avec tout ce que cela implique comme modification profonde et drastique aux niveaux du mode de vie et des fondements de la société.
Ce sont donc bel et bien la vocation et le visage du Liban qui sont menacés de disparition. Le député Mohammad Raad a fait montre de transparence à cet égard en soulignant en substance et sans détour (au cours d’une intervention publique) que le pays devrait être refondé de manière à être plus conforme à « une société de résistance », et non plus à un mode de vie basé sur « les pubs, les boîtes de nuit et la vie nocturne ». La proposition du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah de réorienter le pays vers « l’Est », vers les marchés orientaux, en lieu et place de l’ouverture sur l’Occident, n’était pas dans ce contexte fortuite et passagère. Elle pousse jusqu’au bout la logique du bras de fer total et global entre les États-Unis et leurs alliés, d’une part, et l’Iran – ou plus précisément la faction radicale et aventuriste du régime iranien –, d’autre part. Si c’est une telle option qui finit par s’imposer définitivement à Téhéran (ce qui reste à prouver), le spectre de l’iranisation politique et sociale planera alors sérieusement sur le Liban qui risquerait auquel cas d’être transformé en un « nouveau Gaza » isolé du monde, avec tout ce que cela implique comme conséquences sociales, économiques et culturelles. Confrontation oblige…
Dans ce jeu d’édification d’une société guerrière poussée à l’extrême, l’allié inconditionnel local du régime des mollahs iraniens n’a rien à perdre. Lui-même et sa vaste base de partisans ne profitent pas vraiment, et n’ont jamais profité, du système socio-économique en place, exception faite du phénomène de l’intrusion massive dans les administrations publiques.
En ce sens, l’effondrement des structures actuelles et l’isolement du Liban vis-à-vis de la communauté internationale et des pays du Golfe s’inscrivent parfaitement dans la logique de l’iranisation du pays. Sauf que… Et c’est là où le bât blesse pour le camp pro-iranien. L’histoire du Liban, ancienne et contemporaine, montre qu’aucune force, aucune puissance, aucune faction, aucune communauté n’a pu réellement imposer dans la durée son diktat, son projet ou ses valeurs aux autres composantes de la société. Il n’en reste pas moins que la vigilance, la résistance citoyenne – la vraie – et la lucidité politique doivent être, et rester, de mise.
L’attachement à la liberté, au sens large et global du terme, et l’ouverture sur le monde constituent, et ont toujours constitué, en quelque sorte l’ADN de la population du pays du Cèdre à travers les siècles. À la lumière d’une telle donne sociétale, force est de rappeler que les projets expansionnistes et hégémoniques basés sur des facteurs essentiellement conjoncturels, qu’ils soient locaux ou régionaux, n’ont jamais pu prévaloir en définitive, à moyenne ou longue échéance, sur « l’esprit d’un peuple »…
commentaires (6)
nasroullah ne veut meme pas d'une societe guerriere pour de vrai. tout ce qu'il veut est faire du Liban un satellite iranien, faire de son peuple esclaves des imams/guides iraniens. ce qui rend d'autant plus irritant l'alliance de aoun& pti gendre avec cette verite.
Gaby SIOUFI
17 h 09, le 24 novembre 2020