
La Banque du Liban n’a fourni qu’une portion insuffisante d’éléments en se réfugiant derrière la loi sur le secret bancaire encore en vigueur dans le pays. Photo P.H.B.
La rumeur sur le désistement du cabinet d’audit international Alvarez & Marsal de sa mission visant à mener un audit juricomptable des comptes de la Banque du Liban (BDL) circulait depuis jeudi soir. Elle a été confirmée hier après-midi par le ministre sortant des Finances, Ghazi Wazni. S’exprimant lors d’une réunion à Baabda dédiée au dossier avec le président Michel Aoun, qui comptait parmi les responsables favorables à cette opération également réclamée par les soutiens du pays, le ministre a laconiquement déclaré que la décision du cabinet « nécessitait forcément de prendre les mesures (appropriées) dans l’intérêt du Liban », sans plus de détails. « L’entreprise n’a pas obtenu les informations et les documents nécessaires pour commencer à mettre en œuvre sa mission », a de son côté ajouté la présidence, citant le ministre des Finances.
L’audit de la BDL, et plus précisément son volet juricomptable (« forensic audit » en anglais), qui vise à remonter à la source des transactions passées par l’institution pour détecter d’éventuelles fraudes, est une des principales réformes réclamées par les soutiens du Liban qui traverse une crise économique et financière sans précédent, aggravée par les mesures de confinement liées au Covid-19 et à la double explosion meurtrière (non élucidée) du port de Beyrouth, qui a ravagé une partie de la capitale.
« Gifle au peuple libanais »
Mandaté en septembre dernier en même temps que KPMG et Oliver Wyman – les deux autres sociétés internationales chargées de prendre en charge d’autres volets de l’audit –, Alvarez & Marsal avait, depuis, adressé deux demandes d’informations préliminaires à la BDL afin de pouvoir commencer sa mission – une principale et une complémentaire. Mais l’institution, dirigée depuis les années 1990 son gouverneur Riad Salamé, n’a finalement fourni qu’une portion insuffisante d’éléments en se réfugiant derrière la loi sur le secret bancaire encore en vigueur dans le pays.
Le 5 novembre, les représentants de cette société et le ministre des Finances – qui représente l’État sur ce dossier – étaient convenus de reporter de trois mois le lancement de l’audit juricomptable, le temps de trouver un moyen de débloquer une procédure paralysée plutôt par la résistance d’une partie de la classe politique qui ne veut pas en entendre parler que par la loi libanaise (sur le secret bancaire) ou la lettre du contrat liant l’État à cet auditeur.
« C’est une véritable gifle au peuple libanais et sa dignité. En jetant l’éponge alors qu’il avait accepté d’attendre trois mois pour obtenir les documents demandés à la BDL, Alvarez & Marsal est en train de dire qu’il ne croit pas que l’État libanais sera disposé ou capable de débloquer la situation », a souligné la ministre sortante de la Justice, Marie-Claude Najm. Dans le cadre d’une première réunion « à chaud », la ministre a ajouté que « c’est extrêmement dommageable pour ce qui reste de la confiance de la communauté internationale vis-à-vis des autorités du pays, et cela hypothèque un peu plus les chances du pays, de décrocher une aide financière ». Plutôt discret ces dernières semaines sur ce dossier, le Premier ministre sortant, Hassane Diab, a déclaré sur Twitter que l’abandon du cabinet est « une nouvelle manche de gagnée pour la corruption ».
C’est un discours similaire que tient de son côté l’expert financier Nicolas Chikhani, qui avait notamment travaillé sur un plan de redressement du pays qui proposait des alternatives par rapport à celui adopté fin avril par le gouvernement sortant. Pour lui, l’abandon d’Alvarez & Marsal peut signifier que l’initiative française lancée par le président Macron dans le sillage du drame du 4 août et l’assistance financière qu’aurait pu accorder le Fonds monétaire international tombent à l’eau. « Le lancement de cet audit était en effet une des conditions sine qua non à tout déblocage d’aide pour le Liban », a-t-il insisté. Enfin, pour un expert proche du dossier, « l’échec de cette procédure aujourd’hui ne doit pas remettre en cause sa pertinence ni sa nécessaire mise en œuvre dès que le nouveau gouvernement sera formé (celui de Hassane Diab a démissionné en août dernier dans la foulée des explosions du port de Beyrouth, NDLR). C’est une condition préalable aux mesures de relance de l’économie ».
Réunion « dans les deux jours »
Pour l’heure, les autorités n’ont pas fait d’annonce concernant le sort de l’audit juricomptable. Selon une source gouvernementale, une réunion serait prévue aujourd’hui à Baabda pour tenter d’identifier les raisons qui ont poussé Alvarez & Marsal à jeter l’éponge aussi vite. Dans la soirée, des informations – non confirmées – évoquaient des contacts avec Alvarez & Marsal pour tenter de programmer « une rencontre », sans qu’une date n’ait été avancée. Le président Aoun, Hassane Diab ou encore le conseiller du président Salim Jreissati pourraient participer à cette réunion, selon ces mêmes informations.
Dans un entretien au Daily Star, Ghazi Wazni a, lui, évoqué une réunion « dans les deux jours » pour examiner les « alternatives » possibles. Le ministre a également évoqué sa « surprise » lorsque l’auditeur l’a contacté jeudi soir pour se désister. Une posture qui interpelle pour plusieurs raisons. D’abord, parce que le ministère des Finances devait, selon la lettre du contrat, contribuer à aider Alvarez & Marsal à obtenir les documents demandés à la BDL en cas de refus de cette dernière de les fournir. Ensuite, parce que le ministre avait rejoint les rangs des voix considérant que le secret bancaire pouvait être un obstacle à la réalisation du volet juricomptable de l’audit.
Un argument également avancé par la BDL, mais qui est jugé irrecevable, notamment par la ministre de la Justice. « Le fait de se retrancher derrière une interprétation erronée et très large de la loi sur le secret bancaire a été un prétexte pour tenter de faire échouer l’audit juricomptable », a-t-elle répété, considérant que le projet n’était pas encore enterré. Une position à laquelle Nicolas Chikhani fait écho. « La BDL n’a répondu qu’à environ 42 % des 129 requêtes adressées par l’auditeur en invoquant le secret bancaire. Mais la BDL n’a pas non plus communiqué des informations concernant son fonctionnement interne ou encore les comptes publics, qui constituaient (la majorité) des requêtes. Or, selon l’article 13 du code de la monnaie et du crédit (CMC), la Banque centrale est une institution publique indépendante financièrement et doit en conséquence faire preuve de transparence. En effet, l’article 44 du CMC permet au représentant de l’État auprès de la BDL d’avoir accès à toutes les informations détenues par cette institution, à l’exception des comptes tiers. Mais l’article 150 du CMC permet, lui, à la Commission de contrôle des banques (qui est aussi chapeautée par la BDL) d’avoir des informations sur des comptes tiers en cryptant les noms de leurs titulaires. Le reste des demandes portait sur des comptes de tiers à la BDL, sur lesquels cette dernière peut invoquer le secret bancaire », a-t-il expliqué. « Il faut que la Banque centrale applique elle-même ces directives, comme elle les applique aux banques pour garantir le secret bancaire, tout en fournissant les informations », s’exclame-t-il.
commentaires (9)
TROIS MOIS! POURQUOI FAIRE ? POUR FABRIQUER DES FAUX DOCUMENTS ? SI VRAIMENT ON CHERCHE LA VÉRITÉ, LA POLICE RENTRE EN SURPRISE ET CONFISQUE TOUS LES DOCUMENTS LÀ OÙ ILS SE TROUVENT. ET CELA EN TROIS HEURES ET NON EN TROIS MOIS. MAIS HELAS, IL FAUT UN GOUVERNEMENT PROPRE POUR CELÀ. BERRY EST TOUJOURS LÀ POUR VEILLER À LA PROCÉDURE. SACRÉ BERRY DIABOLIQUE.
Gebran Eid
12 h 15, le 26 novembre 2020