Entre l’avant et l’après-visite de Patrick Durel, rien ne semble avoir changé. Ce sont la sourde oreille et le partage du gâteau qui prennent toujours le dessus à l’heure où le pays est plus que jamais plombé par la crise, doublée de celle engendrée par le coronavirus.
Durant son séjour à Beyrouth jeudi et vendredi derniers, le conseiller pour le Moyen-Orient du président français Emmanuel Macron a rencontré le chef de l’État Michel Aoun, le président du Parlement Nabih Berry et le Premier ministre désigné Saad Hariri, ainsi que les chefs de file politiques, y compris le patron du groupe parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad. Il a pressé les protagonistes concernés par les tractations ministérielles d’accélérer le processus de formation du gouvernement. Il réitérait ainsi la position traditionnelle de Paris, notamment pour ce qui est du maintien de l’initiative Macron en faveur du Liban.
L’émissaire s’est évertué à dire que le retard à former le cabinet mettrait en péril la conférence de soutien au Liban, prévue en principe fin novembre, à l’initiative du président français, qui compte venir à Beyrouth en décembre, en principe. Mais rien n’y fait. Même la percée que Patrick Durel a réussi à opérer entre Saad Hariri et le leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, ne contribuera probablement pas à la mise sur pied rapide du cabinet.
Lors de sa réunion avec M. Bassil vendredi dernier, Patrick Durel l’avait incité à s’entretenir par téléphone avec Saad Hariri. Il s’agissait ainsi du tout premier contact direct entre les deux hommes depuis les consultations parlementaires non contraignantes tenues le 23 octobre dernier au Parlement. Pendant ce très court appel téléphonique, le leader du CPL s’est efforcé d’assurer qu’il tient à faciliter la tâche au chef du gouvernement désigné. M. Bassil s’est donc de nouveau dit prêt à se conformer à toute entente que concluraient MM. Aoun et Hariri. Mais en pratique, rien ne prête à croire qu’il y a une volonté d’aplanir les obstacles entravant encore la mise sur pied du gouvernement.
Au lendemain de l’entretien téléphonique Hariri-Bassil, le bureau politique du CPL est revenu à la charge quant à la nécessité pour le Premier ministre désigné d’adopter des critères unifiés pour la répartition des portefeuilles entre les partis politiques, mais aussi et surtout entre les communautés religieuses. En attendant ces critères, le bureau politique du CPL a assuré que le parti est prêt « à tout sacrifice possible en termes de participation au gouvernement ou non, à condition que la Constitution et le pacte soient respectés », comme on peut lire dans un communiqué publié samedi à l’issue de la réunion hebdomadaire du bureau politique du parti aouniste.La question des critères renvoie au refus de M. Bassil d’accepter qu’une exception soit concédée au tandem chiite pour ce qui est de l’application du principe de rotation des ministères, le ministère des Finances devant revenir encore une fois à un chiite. De plus, contrairement à la volonté du Premier ministre, le CPL continue de presser pour que la prochaine équipe ministérielle soit élargie. Le bureau politique aouniste a ainsi réitéré son appel à éviter d’accorder deux portefeuilles à un seul ministre parce que « cela ne respecterait pas le critère de compétences ». Une façon pour les aounistes de plaider pour intégrer à l’équation leur protégé druze, Talal Arslane. « Nous voulons que le Premier ministre désigné se comporte avec nous comme il l’a fait avec les autres protagonistes », déclare un parlementaire aouniste à L’Orient-Le Jour. « M. Hariri ne peut pas continuer à faire la sourde oreille à tous les partis et se contenter de négocier avec le président de la République », ajoute ce parlementaire, ignorant manifestement que la Constitution stipule clairement que le Premier ministre désigné forme le gouvernement avec l’accord du chef de l’État.
Baabda dans l’expectative
En face, les milieux haririens persistent et signent : Saad Hariri veut toujours un gouvernement de spécialistes épuré des figures politiques. Mais « il faut que le chef de l’État soit sur la même longueur d’onde, sinon on continuera à faire du surplace », avertit Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur, contacté par L’OLJ. « Contrairement à ce qu’avait dit Gebran Bassil à Saad Hariri, il faudrait probablement attendre pour voir si le président de la République va approuver ce que déciderait le leader du CPL », ironise-t-il. Pour le moment, Baabda semble être dans l’expectative et prend son temps pour « évaluer le séjour de Patrick Durel à Beyrouth », pour reprendre les termes d’un proche de la présidence.
Face à l’impasse persistante, les opposants et les hautes autorités religieuses chrétiennes continuent d’exprimer leur indignation face à la querelle qui bloque la formation du gouvernement. Le patriarche maronite Béchara Raï, qui a tancé ceux qui bloquent les tractations gouvernementales, les accusant de « spolier la Constitution », a estimé qu’un cabinet intégralement composé de spécialistes indépendants est la seule issue à la crise actuelle.
De même, le leader des Forces libanaises Samir Geagea a déploré l’immobilisme gouvernemental en imputant au camp de la moumanaa et à Gebran Bassil la responsabilité du blocage. Regrettant le fait que depuis la nomination de Saad Hariri aucune avancée n’ait été enregistrée, M. Geagea a fait un clin d’œil au Premier ministre désigné – avec qui les rapports sont pratiquement rompus – en soulignant qu’il est le seul à œuvrer actuellement pour améliorer la composition du gouvernement.
commentaires (11)
Petit conseil de rédaction si vous me permettez : une Constitution ne stipule pas, elle dispose ou dit. Un contrat stipule en revanche. Commenter les inepties de politiques Libanais? Mieux à faire navré
Georges Olivier
12 h 52, le 16 novembre 2020