Ses rêves d’accéder au palais de Baabda se sont peut-être envolés. Après avoir été l’homme fort du mandat Aoun, Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre, est aujourd’hui l’homme le plus isolé du pays. Il a été sanctionné hier par le Trésor américain. Insulté par une contestation populaire qui considère ce gendre du président comme l’exemple incarné du népotisme et de la corruption. Haï par des parties politiques avec lesquelles ses relations n’ont cessé de s’envenimer. Critiqué par une communauté internationale qui lui reproche l’absence de réformes et sa responsabilité dans l’extension de l’influence du Hezbollah au Liban.
Déjà dans une mauvaise passe, la carrière de Gebran Bassil prend des airs de descente aux enfers à partir du 17 octobre 2019. Au cœur de la contestation populaire qui éclate spontanément en réponse à une volonté officielle de taxer les services de messagerie WhatsApp et autres, on réclame déjà la chute de tout un pouvoir (« Tous sans exception », « Kellon yaani kellon »), accusé d’être responsable de l’effondrement de la monnaie nationale, de la crise socio-économique, de l’absence de réformes... Pour les manifestants aux quatre coins du pays, Gebran Bassil est l’incarnation même de ce pouvoir qui appauvrit la population, pousse sa jeunesse à l’exil et attise les haines confessionnelles. Rapidement, la colère se focalise sur le personnage qui a gravi les échelons parce qu’il a épousé la fille du président et qui, après avoir été ministre des Télécoms en 2008, et ministre de l’Énergie et de l’Eau en 2009, est chef de la diplomatie de 2014 à 2019. Il n’a pourtant réussi à se faire élire qu’en 2018 au Parlement libanais, pour le caza de Batroun, après deux échecs consécutifs en 2005 et 2009, et des critiques d’avoir façonné une loi électorale à sa mesure.
Sa légendaire arrogance ne passe plus, ni ses propos haineux accusés d’attiser la discorde confessionnelle, pas plus que ses promesses d’assurer aux Libanais de l’électricité 24 heures sur 24. Non seulement on le somme de dégager. Mais on l’insulte en égratignant sa mère au passage. Le « Héla ho » entonné à tue-tête par les manifestants, hommes ou femmes, deviendra le chant révolutionnaire le plus célèbre de la thaoura libanaise.
La présidence à tout prix
Avec la classe politique locale, les relations de Gebran Bassil sont tout autant problématiques. Déjà mauvaises au départ vu l’insistance du chef de l’État à l’inclure dans la cour des grands, elles sont aujourd’hui carrément détestables avec toutes les parties et tendues avec le Hezbollah, pourtant son allié indéfectible depuis l’entente de Mar Mikhaël en février 2006. Détestables parce qu’elles lui reprochent de briguer la présidence à tout prix et de manière prématurée, de manquer de crédibilité politique. Parce que ses adversaires et même ses alliés, sous la pression de leurs bases électorales, l’accusent d’attiser les haines confessionnelles. Assurément, le chef du CPL n’a pas la langue dans la poche. Son franc-parler et ses attaques frontales lui attirent régulièrement les foudres des zaïms politiques et de leurs bases électorales. Comme le fameux « Baltagi (voyou) » prononcé à l’égard du président du Parlement, Nabih Berry, dans une vidéo fuitée qui accusait en 2018 le chef du mouvement Amal de pouvoir abusif. « Entre le mouvement Amal et Gebran Bassil, c’est tout sauf la lune de miel », dit à ce propos un proche du parti chiite. « Personne ne peut gober son arrogance, même au cœur de son propre parti, ajoute-t-il. Et ce qui est encore plus grave, c’est qu’il n’a pas réussi à se forger de crédibilité politique. »
Avec son autre allié politique de la « moumanaa », Sleiman Frangié, chef des Marada, le courant ne passe pas non plus. Et M. Frangié, qui est aussi un candidat potentiel à la prochaine présidentielle, ne rate pas une occasion de lancer en sa direction des attaques au vitriol. La situation n’est guère meilleure et tend à empirer avec le courant du Futur, adversaire politique du CPL. « La relation avec Gebran Bassil a démarré sur de mauvaises bases, lorsque le chef de l’État a insisté pour lui donner son premier portefeuille ministériel. Son discours est de plus provocant, haineux et sectaire », affirme Moustapha Allouche à L’Orient-Le Jour. Le membre du bureau politique du parti dirigé par Saad Hariri fait ainsi allusion aux discours controversés du chef du CPL sur « son intention de récupérer les droits des chrétiens » ou sur « le sunnisme politique », notamment. Cela n’empêche pas le Premier ministre désigné Saad Hariri de travailler avec Gebran Bassil dans le cadre de la formation du prochain gouvernement, comme pour confirmer ce compromis dont il avait dit en mars 2019 qu’il est aussi solide qu’un mariage maronite. « Sans pour autant qu’il y ait de sympathie entre les deux responsables », précise M. Allouche.
Les démons du passé
Depuis que Gebran Bassil a rompu l’accord de Meerab, « la relation officielle entre les Forces libanaises et le CPL est suspendue », explique un proche du parti des FL. « La confiance a été rompue », ajoute la source précitée. Outre les différends politiques, le parti de Samir Geagea critique la détermination du chef du CPL à succéder au président Aoun. « Il est pressé d’arriver à la présidence. Et il s’est fixé cet objectif sans considération pour les autres candidats potentiels, sans égard pour les amitiés politiques ou pour les revendications populaires », dénonce le proche du parti.
Mais c’est avec Walid Joumblatt, chef du Parti socialiste progressiste, que la relation est la plus tendue. Et pour cause : ce sont les propos de Gebran Bassil prononcés à Kahalé en juillet 2019 sur la guerre de la Montagne (opposant les druzes aux chrétiens en 1983) qui ont déclenché les incidents de Qabr Chmoun, dans le Chouf. Une déclaration dénoncée alors comme une provocation par Walid Joumblatt qui a accusé le chef du CPL de « réveiller les démons du passé ». Ce dernier a d’ailleurs refusé de s’exprimer sur ses relations avec son adversaire honni.
Seul le Hezbollah tire son épingle du jeu, même s’il reconnaît « quelques différends liés au discours de Gebran Bassil et aux affaires intérieures ». « La relation est très solide entre le chef du CPL et le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah », affirme l’analyste politique Kassem Qassir, connu pour être proche du parti de Dieu. « Et cette relation ne peut que se renforcer au vu des sanctions adoptées hier par Washington contre M. Bassil », estime-t-il. C’est tout de même passer sous silence les tiraillements de ces deux dernières années entre les deux partenaires, qui se poursuivent d’ailleurs en sourdine dans les tractations pour la formation du gouvernement, M. Bassil refusant de concéder au tandem chiite une exception pour ce qui est du ministère des Finances.
La gifle à Davos
Autres enjeux, mêmes déroutes. C’était bien avant la révolution d’octobre. Bien avant la descente aux enfers. Avec la communauté internationale, la relation de Gebran Bassil n’est déjà guère paisible. « Il entretient de très mauvaises relations avec la plupart des ambassadeurs à Beyrouth », affirme un diplomate occidental. Immanquablement, l’incident qui a fait couler le plus d’encre et qui est considéré comme une gifle magistrale à l’ancien chef de la diplomatie libanaise, c’est cette interview qu’il a accordée à la chaîne télévisée CNN en janvier 2019, en marge du Forum économique mondial de Davos, où il a été ridiculisé par la journaliste Becky Anderson. « Je ne peux pas dire que notre économie est si mauvaise parce que c’est une petite économie, avait-il dit. Le peuple libanais a un excellent sens de l’initiative. Et nous pouvons la faire revivre. » Et d’assurer que le Liban, c’est différent de Washington et de Londres. « Nous devrions peut-être leur apprendre à gérer leur pays sans budget », s’était-il même permis de dire malgré le rappel de la journaliste que le pays du Cèdre est le troisième pire ratio dette/PIB au monde.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, un an plus tard, Gebran Bassil se faisait de nouveau épingler lors d’un débat par l’ancienne coordinatrice des Nations unies pour le Liban, Sigrid Kaag, sur les frais de son voyage à Davos à bord d’un avion gracieusement mis à sa disposition, alors que « le pays est entravé par une corruption de haut niveau à tous les étages », avait-elle dénoncé. « Gebran Bassil est aujourd’hui considéré comme persona non grata dans la majorité des grandes capitales », soutient un autre diplomate occidental. Honni par la rue et par ses pairs, boycotté par la communauté internationale, le chef du CPL continue de s’accrocher, coûte que coûte, au pouvoir. Mais son année noire n’est peut-être pas terminée…
commentaires (20)
Bassil , Bassil ,Bassil … Bassil par ci Bassil par là, Bassil que voici, Bassil que voilà, Bassil à toutes les sauces, Bassil à la sauce qui peut ! Mais où est donc Bassil ? on le cherche partout, montrez-vous Bassil, On va devenir fous …non ce n’est pas une lessive ni même un lave linge, pourtant ça lave plus blanc que blanc, et ça sourit a pleines dents. Le Bassil nouveau a failli arriver…
Le Point du Jour.
13 h 20, le 08 novembre 2020