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Politique - Récit

La descente aux enfers de Bassil, l’homme fort de la République

Insulté par la contestation populaire ; haï par de nombreuses parties politiques ; critiqué par la communauté internationale, le chef du CPL est depuis vendredi sous sanctions américaines.


La descente aux enfers de Bassil, l’homme fort de la République

Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, le 26 novembre 2019 à Budapest. Attila KISBENEDEK/AFP

Ses rêves d’accéder au palais de Baabda se sont peut-être envolés. Après avoir été l’homme fort du mandat Aoun, Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre, est aujourd’hui l’homme le plus isolé du pays. Il a été sanctionné hier par le Trésor américain. Insulté par une contestation populaire qui considère ce gendre du président comme l’exemple incarné du népotisme et de la corruption. Haï par des parties politiques avec lesquelles ses relations n’ont cessé de s’envenimer. Critiqué par une communauté internationale qui lui reproche l’absence de réformes et sa responsabilité dans l’extension de l’influence du Hezbollah au Liban.

L'édito de Issa GORAIEB

Échecs et maths

Déjà dans une mauvaise passe, la carrière de Gebran Bassil prend des airs de descente aux enfers à partir du 17 octobre 2019. Au cœur de la contestation populaire qui éclate spontanément en réponse à une volonté officielle de taxer les services de messagerie WhatsApp et autres, on réclame déjà la chute de tout un pouvoir (« Tous sans exception », « Kellon yaani kellon »), accusé d’être responsable de l’effondrement de la monnaie nationale, de la crise socio-économique, de l’absence de réformes... Pour les manifestants aux quatre coins du pays, Gebran Bassil est l’incarnation même de ce pouvoir qui appauvrit la population, pousse sa jeunesse à l’exil et attise les haines confessionnelles. Rapidement, la colère se focalise sur le personnage qui a gravi les échelons parce qu’il a épousé la fille du président et qui, après avoir été ministre des Télécoms en 2008, et ministre de l’Énergie et de l’Eau en 2009, est chef de la diplomatie de 2014 à 2019. Il n’a pourtant réussi à se faire élire qu’en 2018 au Parlement libanais, pour le caza de Batroun, après deux échecs consécutifs en 2005 et 2009, et des critiques d’avoir façonné une loi électorale à sa mesure.

Sa légendaire arrogance ne passe plus, ni ses propos haineux accusés d’attiser la discorde confessionnelle, pas plus que ses promesses d’assurer aux Libanais de l’électricité 24 heures sur 24. Non seulement on le somme de dégager. Mais on l’insulte en égratignant sa mère au passage. Le « Héla ho » entonné à tue-tête par les manifestants, hommes ou femmes, deviendra le chant révolutionnaire le plus célèbre de la thaoura libanaise.

La présidence à tout prix

Avec la classe politique locale, les relations de Gebran Bassil sont tout autant problématiques. Déjà mauvaises au départ vu l’insistance du chef de l’État à l’inclure dans la cour des grands, elles sont aujourd’hui carrément détestables avec toutes les parties et tendues avec le Hezbollah, pourtant son allié indéfectible depuis l’entente de Mar Mikhaël en février 2006. Détestables parce qu’elles lui reprochent de briguer la présidence à tout prix et de manière prématurée, de manquer de crédibilité politique. Parce que ses adversaires et même ses alliés, sous la pression de leurs bases électorales, l’accusent d’attiser les haines confessionnelles. Assurément, le chef du CPL n’a pas la langue dans la poche. Son franc-parler et ses attaques frontales lui attirent régulièrement les foudres des zaïms politiques et de leurs bases électorales. Comme le fameux « Baltagi (voyou) » prononcé à l’égard du président du Parlement, Nabih Berry, dans une vidéo fuitée qui accusait en 2018 le chef du mouvement Amal de pouvoir abusif. « Entre le mouvement Amal et Gebran Bassil, c’est tout sauf la lune de miel », dit à ce propos un proche du parti chiite. « Personne ne peut gober son arrogance, même au cœur de son propre parti, ajoute-t-il. Et ce qui est encore plus grave, c’est qu’il n’a pas réussi à se forger de crédibilité politique. »

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Avec son autre allié politique de la « moumanaa », Sleiman Frangié, chef des Marada, le courant ne passe pas non plus. Et M. Frangié, qui est aussi un candidat potentiel à la prochaine présidentielle, ne rate pas une occasion de lancer en sa direction des attaques au vitriol. La situation n’est guère meilleure et tend à empirer avec le courant du Futur, adversaire politique du CPL. « La relation avec Gebran Bassil a démarré sur de mauvaises bases, lorsque le chef de l’État a insisté pour lui donner son premier portefeuille ministériel. Son discours est de plus provocant, haineux et sectaire », affirme Moustapha Allouche à L’Orient-Le Jour. Le membre du bureau politique du parti dirigé par Saad Hariri fait ainsi allusion aux discours controversés du chef du CPL sur « son intention de récupérer les droits des chrétiens » ou sur « le sunnisme politique », notamment. Cela n’empêche pas le Premier ministre désigné Saad Hariri de travailler avec Gebran Bassil dans le cadre de la formation du prochain gouvernement, comme pour confirmer ce compromis dont il avait dit en mars 2019 qu’il est aussi solide qu’un mariage maronite. « Sans pour autant qu’il y ait de sympathie entre les deux responsables », précise M. Allouche.

Les démons du passé

Depuis que Gebran Bassil a rompu l’accord de Meerab, « la relation officielle entre les Forces libanaises et le CPL est suspendue », explique un proche du parti des FL. « La confiance a été rompue », ajoute la source précitée. Outre les différends politiques, le parti de Samir Geagea critique la détermination du chef du CPL à succéder au président Aoun. « Il est pressé d’arriver à la présidence. Et il s’est fixé cet objectif sans considération pour les autres candidats potentiels, sans égard pour les amitiés politiques ou pour les revendications populaires », dénonce le proche du parti.

Mais c’est avec Walid Joumblatt, chef du Parti socialiste progressiste, que la relation est la plus tendue. Et pour cause : ce sont les propos de Gebran Bassil prononcés à Kahalé en juillet 2019 sur la guerre de la Montagne (opposant les druzes aux chrétiens en 1983) qui ont déclenché les incidents de Qabr Chmoun, dans le Chouf. Une déclaration dénoncée alors comme une provocation par Walid Joumblatt qui a accusé le chef du CPL de « réveiller les démons du passé ». Ce dernier a d’ailleurs refusé de s’exprimer sur ses relations avec son adversaire honni.

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Seul le Hezbollah tire son épingle du jeu, même s’il reconnaît « quelques différends liés au discours de Gebran Bassil et aux affaires intérieures ». « La relation est très solide entre le chef du CPL et le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah », affirme l’analyste politique Kassem Qassir, connu pour être proche du parti de Dieu. « Et cette relation ne peut que se renforcer au vu des sanctions adoptées hier par Washington contre M. Bassil », estime-t-il. C’est tout de même passer sous silence les tiraillements de ces deux dernières années entre les deux partenaires, qui se poursuivent d’ailleurs en sourdine dans les tractations pour la formation du gouvernement, M. Bassil refusant de concéder au tandem chiite une exception pour ce qui est du ministère des Finances.

La gifle à Davos

Autres enjeux, mêmes déroutes. C’était bien avant la révolution d’octobre. Bien avant la descente aux enfers. Avec la communauté internationale, la relation de Gebran Bassil n’est déjà guère paisible. « Il entretient de très mauvaises relations avec la plupart des ambassadeurs à Beyrouth », affirme un diplomate occidental. Immanquablement, l’incident qui a fait couler le plus d’encre et qui est considéré comme une gifle magistrale à l’ancien chef de la diplomatie libanaise, c’est cette interview qu’il a accordée à la chaîne télévisée CNN en janvier 2019, en marge du Forum économique mondial de Davos, où il a été ridiculisé par la journaliste Becky Anderson. « Je ne peux pas dire que notre économie est si mauvaise parce que c’est une petite économie, avait-il dit. Le peuple libanais a un excellent sens de l’initiative. Et nous pouvons la faire revivre. » Et d’assurer que le Liban, c’est différent de Washington et de Londres. « Nous devrions peut-être leur apprendre à gérer leur pays sans budget », s’était-il même permis de dire malgré le rappel de la journaliste que le pays du Cèdre est le troisième pire ratio dette/PIB au monde.

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Et comme un malheur n’arrive jamais seul, un an plus tard, Gebran Bassil se faisait de nouveau épingler lors d’un débat par l’ancienne coordinatrice des Nations unies pour le Liban, Sigrid Kaag, sur les frais de son voyage à Davos à bord d’un avion gracieusement mis à sa disposition, alors que « le pays est entravé par une corruption de haut niveau à tous les étages », avait-elle dénoncé. « Gebran Bassil est aujourd’hui considéré comme persona non grata dans la majorité des grandes capitales », soutient un autre diplomate occidental. Honni par la rue et par ses pairs, boycotté par la communauté internationale, le chef du CPL continue de s’accrocher, coûte que coûte, au pouvoir. Mais son année noire n’est peut-être pas terminée…

Ses rêves d’accéder au palais de Baabda se sont peut-être envolés. Après avoir été l’homme fort du mandat Aoun, Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre, est aujourd’hui l’homme le plus isolé du pays. Il a été sanctionné hier par le Trésor américain. Insulté par une contestation populaire qui considère ce gendre du président comme l’exemple incarné du népotisme...

commentaires (20)

Bassil , Bassil ,Bassil … Bassil par ci Bassil par là, Bassil que voici, Bassil que voilà, Bassil à toutes les sauces, Bassil à la sauce qui peut ! Mais où est donc Bassil ? on le cherche partout, montrez-vous Bassil, On va devenir fous …non ce n’est pas une lessive ni même un lave linge, pourtant ça lave plus blanc que blanc, et ça sourit a pleines dents. Le Bassil nouveau a failli arriver…

Le Point du Jour.

13 h 20, le 08 novembre 2020

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Commentaires (20)

  • Bassil , Bassil ,Bassil … Bassil par ci Bassil par là, Bassil que voici, Bassil que voilà, Bassil à toutes les sauces, Bassil à la sauce qui peut ! Mais où est donc Bassil ? on le cherche partout, montrez-vous Bassil, On va devenir fous …non ce n’est pas une lessive ni même un lave linge, pourtant ça lave plus blanc que blanc, et ça sourit a pleines dents. Le Bassil nouveau a failli arriver…

    Le Point du Jour.

    13 h 20, le 08 novembre 2020

  • UN DE CHUTE AU SUIVANT...

    LA VERITE

    01 h 22, le 08 novembre 2020

  • I would like to see the evidence of corruption being exposed. The decision to single out Mr, Bassil for sanctions by the Trump regime is politically motivated. There are other more or equally corrupt politicians who deserve to be sanctioned too. Aside from the accusations of corruption, it is the political record and mixed performance of Mr. Bassil while he held government positions that should be examined closely. His support for building dams to the tune of hundreds of millions of dollars of borrowed money against the advice of experts and environmental advocates and awarding these lucrative contracts to his cronies is blatantly corrupt. The interview he gave to CNN in Davos reeks of sheer incompetence and should disqualify him from holding higher office. It is regrettable that Mr. Bassil didn’t hire qualified economic advisers while he leads the largest parliament block and aspires to become President. His muted response to the August 4 explosion in Beirut, and lack of remorse and apology for failing to ensure the safety of the Lebanese is unforgivable. The same can be said of the leaders of the other major parliament blocks who have formed successive governments. This political elite including Mr. Bassil are out of touch with common women and men. It’s time to clean house and replace the whole political class through new elections.

    Mireille Kang

    01 h 18, le 08 novembre 2020

  • la descente aux enfers vous dites?? Bah oui... JHANNAM comme l'a dit son beau papa. LooL....

    LE FRANCOPHONE

    13 h 35, le 07 novembre 2020

  • Homme fort, avec les muscles des autres, comme dirait un ancien responsable sécuritaire corrompu allié de ce "fort" :(

    DJACK

    12 h 01, le 07 novembre 2020

  • Je répète encore à ceux qui veulent associer Hariri à Bassil ou Berry que ce monsieur a été premier ministre de 2009 à 2011 interrompu et de 2017 à 2019 interrompu! Pendant ces deux mandats il a subi les pires humiliations et ne fait plus partie des milliardaires du Forbes! Pendant que d’autres critiquent son acharnement à réagir dans un Liban qui glisse vers les abysses , à la place de la révolution je relirai l’histoire et m’inspirerai du Cheval de Troie en utilisant cette dynamique pour m’infiltrer derrière lui et accèder enfin à un semblant de participation au pouvoir pour un changement en douceur de nos institutions et de notre constitution!

    PROFIL BAS

    11 h 48, le 07 novembre 2020

  • Le sectarisme auquel nous avez habitues ne paie plus . Ceux qui ont mis a sec les caisses de l'État depuis des décennies ne comptent pas pour vous et la descente aux enfers c'est eux qui l'emprunteront bientôt .

    Hitti arlette

    11 h 39, le 07 novembre 2020

  • HONNI PAR L'OCCIDENT ? QU'A CELA NE TIENNE , NOTRE GENDRE "ADORE" ET SES MOUMANAISTES N'ONT QU'A SE TOURNER VERS L'EST. TAPIS & MEDICAMENTS MAGIQUES , PISTACHES IRANIENNES COMPORTANT L'ESSENTIEL DE CES RELATIONS SALUTAIRES POUR NOTRE DEVELOPPEMENT TANT ECONOMIQUE QUE SOCIAL

    Gaby SIOUFI

    11 h 16, le 07 novembre 2020

  • DARTA-GNAN ! DARTA-GNA3 !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 08, le 07 novembre 2020

  • L’homme fort de la république,, la bulle de savon soufflée par les Intouchables que l’on sait, qui s’est envolé en toute légèreté au dessus de nos têtes , jusqu’au moment où , d’une petite chiquenaude , paf, volatilisée !

    LeRougeEtLeNoir

    11 h 02, le 07 novembre 2020

  • De quelle république et-il l'homme fort ? il est plutôt l'homme fort d'une république bananière et mafieuse... mais dans ces cas est-ce toujours une république digne de ce nom ?

    Zeidan

    10 h 43, le 07 novembre 2020

  • En attendant le passage de ce triste sire par la case PRISON......

    HABIBI FRANCAIS

    10 h 28, le 07 novembre 2020

  • En bref non seulement Gebran Bassil devra partir mais toute la caste politique actuelle toutes confessions confondues et qui gouverne le Liban depuis 1989 .

    Antoine Sabbagha

    10 h 16, le 07 novembre 2020

  • Gebran Bassil a été lessivé et essoré par cet article criant de vérité. Je suis très curieux de lire Scarlet Haddad pour voir quel subterfuge elle va utiliser pour le défendre. C’est quand même le premier responsable politique à être sanctionné pour CORRUPTION sachant que le Trésor Américain n’aurait pas pris une telle décision s’il ne possédait pas des preuves irréfutables de cette CORRUPTION. Il est vrai que la vindicte populaire accuse tous les politiciens de corruption et d’incompétence. L’incompétence est avérée et évidente mais aucune preuve de corruption n’avait été étalée hormis le train de vie luxueux de ces hommes politiques, c’est bien la première fois que des preuves accablantes sont établies à l’encontre d’un homme politique libanais, gendre du président de la république de surcroît. Quelle humiliation publique nationale et internationale. Dans d’autres pays, les politiciens se retirent de la vie publique pour beaucoup moins que ça.

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 31, le 07 novembre 2020

  • Article intéressant, mais il y manque un point: sa gestion de l;EDL. Avoir réussi à doubler le déficit du Liban sans fournir aux citoyens ne fut-ce qu'une minute d'électricité supplémentaire: il faut le faire!

    Yves Prevost

    07 h 16, le 07 novembre 2020

  • Dans les mots célèbres du chanteur Démis Roussos : Good bye my love good bye .........

    Robert Moumdjian

    04 h 45, le 07 novembre 2020

  • Wow...vous n’y allez pas de main morte: si on faisait dans nos commentaires le quart des reproches et réalités insultantes que vous rapportez ici, on ne serait pas publiés par l’OLJ en se basant sur la fameuse charte de modération.... Mais, blagues à part, merci de rapporter en termes réels l’énormité du personnage, son arrogance, son arrivisme et son rôle néfaste pour les malheurs du pays: il veut s’en laver les mains, jouer aux sainte ni touches, et prétendre qu’on ne l’a pas laissé travailler, alors qu’il est à des postes et ministères clef depuis plus de 15 ans....Non, mais il se moque de qui?

    Saliba Nouhad

    03 h 51, le 07 novembre 2020

  • C’est vraiment l’histoire de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf mais qui n’en a pas les moyens; à force d’arrogance et d’illusion à vouloir grandir trop vite et viser au-dessus de ses moyens, elle finit par exploser

    Liban Libre

    02 h 41, le 07 novembre 2020

  • I'm no fan of Mr. Bassil however, singling him out for corruption while there are far more corrupt politicians such as Mr. Hariri, Mr. Joumblatt, and Mr. Berry who have far bigger fortunes, is unfair. Mr. Berry has been speaker of parliament for 30 years, and the massive corruption of successive governments in which his party has taken part has occurred on his watch. The influence of Mr. Berry should be reduced, and he should be not be re-elected as a speaker.

    Mireille Kang

    02 h 24, le 07 novembre 2020

  • Annus horribilis... Lorsqu'on sème le vent, on récolte la tempête... Une sanction bien méritée par le Gendre. Il ne faut cependant pas oublier qu'il y a une longue liste d'individus qui attendent leur punition !

    Romulus Maximus

    01 h 19, le 07 novembre 2020

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