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Échecs et maths

Les bons comptes font les bons amis, dit le proverbe. C’est sans doute la raison pour laquelle les Libanais, qui, chiffres en main, réclament vainement leur dû, sont en proie, depuis de longs mois, à un effroyable sentiment de solitude, d’isolement, d’abandon.

On le serait à bien moins, d’ailleurs. Arraisonnés, confisqués sont ainsi leurs dépôts en banque, souvent les maigres économies de toute une vie ; face à la folle ascension des prix et la dévaluation de facto de la monnaie nationale, gérer un budget familial relève, dès lors, de l’impossible. Trois mois après l’hécatombe du port de Beyrouth, nul responsable ne consent encore à répondre à leurs légitimes interrogations sur le cours de l’enquête.

C’est d’ailleurs le même et surréel brouillard qui continue d’entourer la volatilisation du Trésor public. Tout ce qu’on peut y discerner, en effet, c’est une Banque centrale invoquant les lois existantes pour refuser de livrer des dossiers sensibles à l’audit juricomptable, à moins d’y être explicitement autorisée par le ministre des Finances ; à son tour, et sans autre explication, le ministre refuse d’engager sa propre signature ; et pour couronner le tout, voilà que le gouvernement démissionnaire de Hassane Diab, auteur du projet, s’avère impuissant à forcer la main à l’un ou à l’autre. Résultat, l’autopsie des cadavres financiers encombrant les placards de la République vient d’être reportée de trois mois…

Au département du Trésor américain, en revanche, on ne chôme pas et on ne prend pas de gants pour le faire savoir. En septembre dernier, des sanctions financières américaines, réservées jusque-là à des cadres du Hezbollah, frappaient deux anciens ministres accusés de coopération monnayée avec cette milice. Hier, était spectaculairement franchi un nouveau palier : c’est le gendre et dauphin présumé du chef de l’État, par ailleurs chef du plus important groupe parlementaire chrétien, que Washington inscrivait sur sa liste noire, usant pour cela de termes on ne peut plus infamants.

Qualifié d’incarnation de la corruption, Gebran Bassil se voit reprocher un affairisme et un clientélisme effrénés dans les divers secteurs qu’il a eu à gérer ces dernières années, notamment celui de l’électricité : dérive d’autant plus condamnable, soulignent les Américains, qu’elle a encouragé l’entreprise de déstabilisation du Hezbollah. On peut certes regretter que le mur de criminelle carence et d’évidente mauvaise volonté édifié par le pouvoir soit en voie d’être abattu, pierre par pierre, du dehors, et non sous le seul et souverain effet de la pression populaire. Que l’on se rassure cependant, le phénomène, appelé à se poursuivre, à faire voler en éclats d’autres maisons de verre, ne heurtera en définitive que l’arrogante petite fierté de responsables indignes.

Pour revenir aux bons comptes, ils devraient, en toute logique (et en forçant un peu sur le proverbe), faire aussi de bons voisins. Ahurissante est l’affirmation du président Bachar el-Assad, selon laquelle la crise économique dans son pays est due, en grande partie, aux avoirs syriens bloqués dans les banques beyrouthines. Un calcul des plus sommaires devrait pourtant montrer l’ampleur des butins accumulés en trente ans d’occupation syrienne de notre pays : à quoi s’ajouterait un dédommagement pour le terrible impact financier qu’a eu l’afflux de réfugiés syriens fuyant les massacres de la dictature baassiste. Le problème n’est pas là cependant, mais dans l’assourdissant silence observé par les officiels libanais : une véritable honte, même pour d’aussi fieffés maquilleurs de comptabilité.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Les bons comptes font les bons amis, dit le proverbe. C’est sans doute la raison pour laquelle les Libanais, qui, chiffres en main, réclament vainement leur dû, sont en proie, depuis de longs mois, à un effroyable sentiment de solitude, d’isolement, d’abandon. On le serait à bien moins, d’ailleurs. Arraisonnés, confisqués sont ainsi leurs dépôts en banque, souvent les maigres...