Washington a frappé fort, très fort hier, en imposant des sanctions financières au chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil. Celles-ci n’ont pas constitué une véritable surprise, dans la mesure où les dirigeants américains n’ont jamais caché leur volonté de cibler des officiels libanais de haut rang, proches du parti de Hassan Nasrallah, dans le cadre de l’action qu’ils mènent pour assécher les sources de financement du Hezbollah.
Le nom de Gebran Bassil circulait déjà depuis quelques mois, comme cible potentielle du Trésor américain. En août dernier, l’ancien ambassadeur américain à Beyrouth, Jeffrey Feltman, confiait au Wall Street Journal – le quotidien américain qui a annoncé dans son édition de vendredi les sanctions contre M. Bassil – que le chef du CPL « aurait dû être sanctionné il y a plusieurs années ». Il avait tenu ces propos quelques jours après la double explosion du 4 août au port de Beyrouth, dans le contexte d’un commentaire au sujet de la tragédie du port qui a poussé Washington à « accélérer ses efforts pour imposer des sanctions anticorruption contre d’importants responsables politiques et hommes d’affaires libanais » proches du Hezbollah, notamment Gebran Bassil, avait écrit le WSJ.
Intervenue alors que le Liban est plongé dans des tractations pour la formation d’un nouveau gouvernement, la démarche américaine ne peut qu’impacter un processus qui peine à avancer. La question est de savoir si les sanctions contre le gendre du président Michel Aoun faciliteront ou compliqueront davantage le dossier gouvernemental. Pour l’heure Washington mais aussi Paris semblent pousser vers un déblocage rapide. Le président français Emmanuel Macron a anticipé d’éventuelles complications, en insistant auprès de son homologue libanais, Michel Aoun, lors d’un entretien téléphonique en soirée, sur le « besoin urgent » pour le Liban de s’engager sur la voie des réformes avec la « formation rapide » d’un gouvernement capable de les mettre en œuvre et d’apporter des réponses aux crises que rencontre le pays. « C’est la condition pour que la communauté internationale puisse pleinement se mobiliser pour accompagner le relèvement du Liban », a précisé l’Élysée dans un communiqué repris par l’AFP. La réaction rapide du président français est à interpréter comme un signe indicateur du maintien de l’initiative française en faveur du Liban.
À ce sujet, notre chroniqueur politique, Philippe Abi Akl, rapporte que Bernard Émié, le chef du renseignement français, en charge du dossier libanais, aurait effectué une visite éclair à Beyrouth autour du 24 octobre où il se serait entretenu loin des feux de la rampe avec le président Michel Aoun et le Premier ministre désigné Saad Hariri.
De sources concordantes, on estime cependant qu’il faudra attendre quelques jours avant de pouvoir déterminer si la décision américaine facilitera ou au contraire compliquera davantage la formation du cabinet. Le ton devrait être donné par Gebran Bassil lui-même durant son intervention télévisée, demain dimanche. D’ici là, il faudra s’attendre à ce que le rythme des concertations de M. Bassil au sein du CPL et avec ses alliés politiques, dont le Hezbollah, s’accélèrent dans la perspective d’une position unifiée. Toujours selon Philippe Abi Akl, M. Bassil était au courant de la décision américaine et aurait réuni chez lui plusieurs cadres de son parti pour en discuter.
Mutisme à Baabda
À Baabda où M. Hariri s’est rendu hier pour un sixième round de pourparlers autour de la répartition des portefeuilles, on s’est abstenu de tout commentaire sur les nouvelles sanctions. Pourtant, lorsque Washington avait imposé des sanctions à l’ancien ministre des Travaux publics, Youssef Fenianos, et au député Ali Hassan Khalil, le chef de l’État s’était empressé de demander au palais Bustros de s’enquérir auprès des deux ambassades américaine à Beyrouth et libanaise à Washington des motifs sur base desquels les deux hommes avaient été sanctionnés « afin que les mesures qui s’imposent soient prises ».
Ce mutisme ne peut s’expliquer que par l’embarras dans lequel la décision américaine place la présidence de la République, Gebran Bassil étant considéré comme l’alter ego de Michel Aoun et pratiquement son porte-parole et son bras droit. C’est le parti de Hassan Nasrallah qui a dénoncé en des termes sévères les sanctions américaines, stigmatisant « une décision politique ».
D’aucuns estiment dans ce contexte que c’est surtout le Hezbollah qui durcira sa position en essayant de renforcer sa représentation et celle de ses alliés au sein du gouvernement, ce que Saad Hariri n’accepterait pas. D’autres se fondent sur le changement de ton de Gebran Bassil qui avait multiplié récemment les clins d’œil en direction des États-Unis et pris ses distance par rapport au discours du Hezbollah, pour assurer que cet épisode devrait au contraire faciliter la formation d’un gouvernement dans lequel le CPL s’engagerait auprès de Saad Hariri pour réaliser les réformes structurelles exigées par la communauté internationale. Ce qui est sûr, indique-t-on dans les milieux proches de la Maison du Centre, c’est que le ministère de l’Énergie que Gebran Bassil continue de revendiquer ne pourra plus lui être confié étant donné que les faits de corruption qui sont reprochés au chef du CPL par Washington ont précisément trait à ce ministère.
Pour le moment, dans les milieux proches de Baabda et de la Maison du Centre, on continue de faire montre de réserve au sujet des discussions autour du gouvernement. De source informée, on indique cependant que durant son entretien hier avec Michel Aoun, Saad Hariri a assuré au président qu’il n’est pas question pour lui de nommer un ministre chrétien, mais qu’il est de son droit de s’opposer à la désignation d’un candidat s’il juge que son profil ne correspond pas aux exigences du poste qui devrait lui être attribué. Les deux hommes ont également parlé de la rotation au niveau des ministères, d’autant que Saad Hariri propose de confier les Télécoms au CPL à la place de l’Énergie.
commentaires (8)
Il ne manquait à Hariri que cette nouvelle complication, pour qu'il reprenne son sommeil et l'alourdir. 6 déplacements à Baabda, pour le partage du fromage avarié. On voit bien qu'il a oublié rapidement la" mission" dont il s'est chargé d'accomplir. Et le comble que Diab, tant qu'il est démissionnaire, ne travaille que les urgences. Tandis que Aoun, ses préoccupations semblent ailleurs actuellement, dans la tourmente des sanctions dans sa famille.
Esber
17 h 36, le 07 novembre 2020