La rumeur circulait depuis des mois. Elle est devenue hier réalité. Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, considéré comme l’un des principaux alliés chrétiens du Hezbollah, vient d’être frappé à son tour par les redoutables sanctions américaines. Imposées par le département du Trésor américain, ces sanctions ont été prises sur la base du Magnitsky Act, qui vise tout responsable portant atteinte aux droits humains et ayant trempé dans des affaires de corruption. Conformément à ce texte de loi, les actifs de M. Bassil seront essentiellement gelés aux États-Unis. Dans un communiqué distinct, le département d’État a annoncé que Gebran Bassil fait également l’objet de sanctions dans le cadre de la loi sur les opérations étrangères du département d’État (2020), qui cible les responsables de gouvernements étrangers impliqués dans des actes de corruption. Dans ce cadre, le chef du CPL est désormais interdit d’entrée aux États-Unis.
L’administration américaine sanctionne Gebran Bassil pour corruption et abus de pouvoir. « La corruption systématique du système politique libanais, telle qu’elle est illustrée par les actes de M. Bassil, a contribué à éroder les fondations d’un gouvernement efficace au service des Libanais », a déclaré le secrétaire au Trésor, Steven T. Mnuchin. Le Trésor affirme que les différents postes que le chef du CPL a occupés au sein de l’exécutif libanais, notamment à la tête des Télécommunications, de l’Énergie et des Affaires étrangères, « ont été marqués par des accusations significatives de corruption ». M. Bassil est accusé d’avoir, en 2014, lorsqu’il était ministre de l’Énergie, approuvé « plusieurs projets qui ont permis à des individus dont il est proche de recevoir des fonds du gouvernement libanais via un groupe de sociétés écrans ». Il lui est également reproché d’avoir, en 2017, renforcé sa base politique en nommant certains de ses « amis » à des positions de pouvoir et en « achetant » son influence dans les cercles politiques libanais. Il est également pointé du doigt pour son alliance avec le Hezbollah qui lui a permis de « perpétuer le système de corruption en place et d’empêcher l’engagement des réformes dans des secteurs-clés », précise à L’Orient-Le Jour un responsable américain. Le chef du CPL n’a pas tardé à réagir dans un tweet, affirmant que les sanctions ne « m’effraient pas ». M. Bassil vient ainsi rejoindre la cohorte de responsables politiques libanais issus du Hezbollah ou proches du parti qui avaient subi le même sort au cours du mandat de Donald Trump. Dernières sanctions US en date, celles ayant visé au début du mois de septembre les anciens ministres libanais Youssef Fenianos (Marada) et Ali Hassan Khalil (Amal), visés pour leurs liens avec le Hezbollah.
« Cela prend des mois »
Cette nouvelle mesure vise clairement un double objectif pour Washington : d’une part, accentuer la pression contre le Hezbollah dans le cadre de sa politique globale visant à faire plier le régime iranien ; d’autre part, envoyer un message disant à la classe politique libanaise qu’elle ne peut plus agir en tout impunité et qu’elle doit être à l’écoute des demandes de la rue, alors que le chef du CPL était la figure la plus conspuée lors de la révolte populaire. En visant spécifiquement le parti chiite et ses alliés, dans un contexte où la scène politique libanaise reste polarisée entre les pro et les anti-Hezbollah, les États-Unis peuvent toutefois donner l’impression de surtout vouloir appuyer un camp au détriment de l’autre en fermant les yeux sur les éventuelles affaires de corruption impliquant les partis politiques dont ils se sentent les plus proches.
Mais pourquoi le faire maintenant, à un moment où les États-Unis sont embourbés dans leur propre élection présidentielle ? « Cela prend des mois entiers pour préparer ce type de dossier qui est rendu public une fois qu’il est prêt », confie le responsable cité plus haut, qui refuse d’établir un lien quelconque entre cette nouvelle mesure et l’échéance de la présidentielle américaine. Les sanctions contre le chef du CPL, pour le moins inattendues à un moment aussi critique, mettent en lumière la règle de la continuité des institutions américaines qui suivent une logique tout à fait différente de celle imposée par les considérations de politique générale. Autrement dit, le timing de ces sanctions ne suit pas nécessairement la cadence des pressions politiques ou des avis livrés par certains hauts responsables à la Maison-Blanche, comme l’explique Hassan Mneimné, conférencier au Middle East Institute. Selon cet expert, cette décision a été prise par le département des Finances une fois que les éléments constitutifs du dossier sont devenus disponibles, indépendamment des calculs des conseillers de Donald Trump. « Ce dernier a d’autres chats à fouetter en ce moment », dit-il. Selon un homme politique libanais ayant ses entrées à Washington, la décision était déjà prise il y a plus d’une semaine, mais aurait été reportée pour donner une chance supplémentaire au gouvernement de voir le jour.
« Mais rien n’y a fait. Les vieilles pratiques de la répartition des quotes-parts ont repris de plus belle. Les Américains se sont rendu compte qu’ils sont devant un remake du gouvernement Hariri d’avant la révolution d’octobre », explique-t-il. On apprenait également, de sources concordantes, que plusieurs grands hommes d’affaires libano-américains aounistes, bien introduits auprès d’officiels américains, ont tenté, en vain, d’intercéder en faveur de M. Bassil pour lui épargner ce coup de massue.
« Choisir son camp »
Le paysage politique libanais sera certainement appelé à se transformer avec l’adoption de ces sanctions vraisemblablement destinées à couper les ailes de l’homme fort du sexennat et dont les effets vont bien plus loin que le gel des avoirs de M. Bassil aux États-Unis. Difficile en effet pour le chef du CPL d’imaginer désormais un avenir présidentiel en étant sanctionné par la première puissance mondiale, partenaire indispensable pour l’État libanais.
Les sanctions pourraient également pousser une partie des relations au sein des réseaux de la diaspora libanaise, que M. Bassil a tissées lors de son passage au palais Bustros, à s’éloigner de ce personnage devenu encombrant. « Ceux qui soutiennent M. Bassil dans les pays de la diaspora, notamment aux États-Unis, devront désormais choisir dans quel camp ils souhaiteraient se trouver », commente M. Mneimné en allusion aux hommes d’affaires influents au sein de la communauté d’émigrés libanais qui sont considérés comme proches du chef du CPL.
Ces sanctions – qui seront « suivies d’une série d’autres mesures similaires au cours des prochaines semaines », comme l’indique le haut responsable américain précité – ne manqueront pas d’affecter non plus la relation de M. Bassil avec le Hezbollah. Le chef du CPL pourrait être contraint de prendre ses distances avec le parti chiite. Ce dernier risque ainsi de perdre une partie de sa couverture chrétienne, essentielle à son assise politique sur la scène locale. Outre les affaires de corruption, les officiels américains reprochent en effet à M. Bassil d’avoir contribué à donner une légitimité au Hezbollah auprès de la communauté chrétienne pour lui permettre de « poursuivre ses activités de déstabilisation » et d’« étendre son influence au Liban ».
Pour Joseph Bahout, directeur de l’Institut Issam Farès de politiques publiques et d’affaires internationales, ces sanctions sont quasiment irréversibles et survivront, ainsi que leurs effets, à l’administration Trump. « C’est un indicateur que Trump peut être encore à l’origine de beaucoup de faits accomplis avant de rendre le tablier. C’est en tous les cas une mine qu’il laisse à Joe Biden en ce qui concerne le Liban », conclut M. Bahout.
commentaires (19)
Pauvre Bassil j'ai des larmes aux yeux....
Eleni Caridopoulou
00 h 53, le 08 novembre 2020