
Le chef du Courant patriotique libre fondé, le député libanais Gebran Bassil, le 7 juillet 2020 à Sin el-Fil, en banlieue de Beyrouth. Photo REUTERS/Mohamed Azakir
L'information avait été annoncée, au conditionnel, vendredi matin, par le Wall Street Journal. Elle a été confirmée quelques heures plus tard. L'administration du président américain Donald Trump a lourdement sanctionné le chef du Courant patriotique libre et gendre du président Aoun, le député Gebran Bassil. Ces sanctions ont été imposées d'une part par le département du Trésor américain, dans le cadre du Magnitsky Act, qui vise tout responsable portant atteinte aux droits humains, en gelant ses actifs aux Etats-Unis. Dans le cadre de ces sanctions, M. Bassil est accusé de corruption, notamment dans le secteur de l'énergie. D'autre part, le département d'Etat a interdit le chef du Courant patriotique libre d'entrée sur le territoire américain, sur base de la Loi sur les Opérations étrangères, estimant que ses actes de corruption ont "aidé et encouragé" les opérations du Hezbollah, considéré comme une organisation terroriste par Washington.
"Les sanctions ne m'effraient pas. Je ne me retournerai contre aucun Libanais et je ne sauverai pas ma personne au détriment du Liban. Je me suis habitué à l'injustice : nous sommes condamnés dans cet Orient à porter notre croix tous les jours... pour rester", a immédiatement réagi le leader chrétien sur son compte Twitter.
Ces sanctions ne seront que difficilement réversibles en cas de victoire de Joe Biden à la présidentielle américaine, a précisé un haut responsable américain.
Les accusations US contre Bassil
Le bureau du contrôle des actifs étrangers (Office of Foreign Assets Control, OFAC) du département du Trésor américain a décidé de sanctionner Gebran Bassil "pour son rôle dans la corruption au Liban", peut-on lire dans un communiqué du Trésor, qui souligne que ces sanctions entrent dans le cadre de la loi Magnitsky, qui "cible la corruption et les violations sérieuses des droits de l'homme dans le monde entier".
"La corruption systématique du système politique libanais, telle qu'elle est illustrée par les actes de M. Bassil, a contribué à éroder les fondations d'un gouvernement efficace au service des Libanais", a déclaré le secrétaire au Trésor, Steven T. Mnuchin, qui souligne que cette inscription du député libanais sur la liste des sanctions entre dans le cadre du "soutien des Etats-Unis au peuple libanais dans leurs appels constants à la mise en œuvre de réformes et d'un processus de reddition des comptes".
Relevant que Gebran Bassil est "en première ligne en matière de corruption au Liban", le Trésor affirme que les différents postes qu'il a occupés au sein de l'exécutif libanais, notamment à la tête des Télécommunications, de l’Énergie et des Affaires étrangères "ont été marqués par des accusations significatives de corruption". Le chef du CPL est accusé d'avoir, en 2014, lorsqu'il était ministre de l'Energie, approuvé "plusieurs projets qui ont permis à des individus dont il est proche de recevoir des fonds du gouvernement libanais via un groupe de sociétés écrans". Il lui est également reproché d'avoir, en 2017, renforcé sa base politique en nommant certains de ses "amis" à des positions de pouvoir et en "achetant" son influence dans les cercles politiques libanais.
Gebran Bassil est sanctionné, pour le département du Trésor, au motif qu'il est "responsable ou complice et directement ou indirectement impliqué dans des actes de corruption, y compris le détournement de fonds de l'Etat, ou encore l'expropriation d'actifs privés à des fins personnelles". Le Trésor US l'accuse encore de corruption dans le cadre de la conclusion de "contrats gouvernementaux ou à l'extraction de ressources naturelles ou d'affaires de pots-de-vin".
Washington attend désormais du gouvernement libanais la transparence, l'application de la distanciation du Liban par rapport aux conflits régionaux, la reddition des comptes et la mise en œuvre des réformes. Les responsables ayant participé à cet entretien avec la presse ont démenti tout lien entre l'application de ces sanctions et les élections américaines, soulignant que ce processus est indépendant du scrutin.
L'impact des sanctions
Avec ces sanctions, "toutes les propriétés et intérêts" de M. Bassil aux Etats-Unis, sont "gelés" et doivent être signalés à l'OFAC, précise le Trésor. Toutes les transactions qu'il souhaiterait mener et qui impliquent des Américains ou qui devraient être effectuées aux Etats-Unis sont interdites. Le Trésor américain a par ailleurs demandé aux banques libanaises et au monde des affaires au Liban de geler tous les avoirs du gendre du président Michel Aoun au Liban.
Bassil a contribué "à encourager les activités de déstabilisation du Hezbollah"
Dans un communiqué distinct, le département d'Etat a encore précisé que les actions prises ce mercredi contre Gebran Bassil s'inscrivent dans la continuité des sanctions lancées précédemment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme contre les anciens ministres libanais Youssef Fenianos et Ali Hassan Khalil. "Via ses activités de corruption, M. Bassil a sapé la bonne gouvernance et contribué au système de corruption prédominant et au clientélisme, ce qui a aidé et encouragé les activités de déstabilisation du Hezbollah". "Les responsables libanais doivent prendre conscience qu'il est plus que temps pour eux de mettre de côté leurs intérêts personnels étroits et d'œuvrer pour le bien des Libanais", ajoute la diplomatie US. Le communiqué annonce, dans ce contexte, qu'en plus des sanctions entrant dans le cadre de la loi Magnitsky, Gebran Bassil fait l'objet de sanctions dans le cadre de la loi sur les Opérations étrangères du département d'Etat (2020), qui cible les responsables de gouvernements étrangers impliqués dans des actes de corruption. Dans ce cadre, Gebran Bassil est interdit également d'entrée aux Etats-Unis.
Dans un tweet, publié peu après l'annonce des sanctions, le secrétaire d'Etat américain, Mike Pompeo, a appelé les dirigeants libanais à "écouter leur peuple, mettre en œuvre les réformes et mettre un terme à la corruption". "Aujourd'hui, les Etats-Unis ont sanctionné Gebran Bassil, un ancien ministre corrompu qui a abusé de ses positions gouvernementales", a-t-il écrit, affirmant que "le peuple libanais mérite mieux que cela".
Une première
C'est la première fois qu'un chef de parti chrétien libanais est ainsi la cible de sanctions américaines. En septembre, ce sont les anciens ministres libanais des Travaux publics Youssef Fenianos, lui aussi un allié chrétien du Hezbollah, et des Finances, le chiite Ali Hassan Khalil, pour "corruption" et soutien au Parti de Dieu, qui avaient été la cible de sanctions américaines.
Dans un communiqué, les Forces libanaises (FL), formation rivale du CPL de M. Bassil, ont appelé à "ne pas commenter ni saluer" l'imposition de sanctions contre Gebran Bassil. Le secrétaire général des FL, Ghassan Yared, a appelé à ce que cette nouvelle soit "traitée comme une information politique".
Ces sanctions interviennent à onze semaines de la fin du mandat du président Trump, qui risque de ne pas être réélu face au candidat démocrate Joe Biden, selon les derniers résultats. Elles interviennent également alors que, trois mois après la démission de Hassane Diab, les tractations pour la formation du gouvernement libanais semblaient s'embourber, en raison notamment d'un bras de fer entre Gebran Bassil et le Premier ministre désigné, Saad Hariri. Vendredi matin, le Wall Street Journal avait déjà rapporté la forte possibilité que M. Bassil soit sanctionné par Washington.
Une dizaine de pays, avec à leur tête les États-Unis, considèrent le Hezbollah comme un groupe terroriste. Le 22 octobre, le Trésor américain avait sanctionné deux hauts responsables du parti pro-iranien, Nabil Kaouk et Hassan Baghdadi. En septembre, les États-Unis avaient annoncé des sanctions visant en particulier deux sociétés basées au Liban et un individu pour leurs liens avec le parti chiite. Quelques jours auparavant, ils avaient imposé pour la première fois des sanctions contre des responsables appartenant à des formations politiques alliées au Hezbollah. Ces sanctions avaient frappé les anciens ministres libanais Youssef Fenianos et Ali Hassan Khalil, pour "corruption" et soutien au Hezbollah. L'administration Trump envisageait depuis des mois des sanctions contre Gebran Bassil mais aucune action concrète n'avait encore été prise sur ce plan, faute de consensus parmi les responsables américains.
Depuis la révolte populaire du 17 octobre 2019, qui fustige toute la classe politique accusée de corruption et d'incompétence, Gebran Bassil est l'une des figures les plus conspuées dans la rue. Cette hostilité envers sa personne s'est accrue, de même que contre toute la classe dirigeante, après la double explosion du 4 août au port de Beyrouth, qui a tué 204 personnes, blessé 6.500 autres, et ravagé des quartiers entiers de la capitale. La déflagration est due, selon la version officielle, à un incendie qui a déclenché l'explosion de près de 3.000 tonnes de nitrate d'ammonium stockés sans mesures de sécurité dans le port depuis 2014.
(Cet article va être actualisé au fur et à mesure des informations disponibles)
“Al mawtou li Amrika, al mawtou li Israil” Criera Bassil. Qu’est-ce qu’on avait besoin de bonnes nouvelles!! Ça fait du bien.
03 h 07, le 07 novembre 2020