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Culture - En librairie

Le cri d’alerte d’Amin Maalouf : Attention, planète en danger !

Loin du monde arabe, des croisés et du parfum, du charme, de la chaleur, de la poussière, du chaos et du négoce de l’Orient, l’auteur de « Léon l’Africain » parle dans son nouveau roman « Nos frères inattendus » (A. Antoine – 330 pages) non seulement de la précarité et du mal de vivre contemporains, mais surtout du danger de l’effondrement planétaire dans un univers profondément conflictuel et déboussolé.

Le cri d’alerte d’Amin Maalouf : Attention, planète en danger !

Amin Maalouf. Photo Hanna Assouline

Il est intéressant de noter, en ouverture de ce commentaire, l’hyperinflation au Liban qui a amené A. Antoine à éditer Nos frères inattendus d’Amin Maalouf, opus de notre illustre concitoyen sorti initialement chez Grasset, et on est gré pour cette louable initiative salvatrice de la culture. Double publication pour un abordable « prix spécial Liban » au lecteur, vu que lire dans un pays en décrépitude comme le nôtre est devenu un luxe et une occupation prosaïque plus qu’onéreuse.

Et on reprend le thème romanesque d’une brûlante actualité proposé par l’auteur du Périple de Baldassare. Le verbe de Novalis et Shakespeare, avec des citations essentielles, est l’entrée en matière avant la narration de ce dix-huitième ouvrage de Maalouf, aujourd’hui membre de l’Académie française. Citations qui donnent le ton et la couleur de la fiction. Le premier déclare : « Les romans naissent des manquements de l’histoire », et le second, en termes poétiques, annonce les grands cataclysmes et chambardements avec ces mots : « Un ciel aussi chargé ne s’éclaircit pas sans une tempête. » Voilà un préambule clair pour un livre pourtant à la trame complexe. La première phrase du roman, subtilement travaillée, jette la lumière sur la préoccupation de l’auteur à propos de la fluidité, la beauté et la force d’une langue française châtiée. Celle de la maturité, précise, imagée, musicale, admirablement fignolée. En substance, c’est ainsi que se présente la première ligne : « Ma lampe de deux cents watts a tremblé au plafond comme un chétif cierge d’église, et elle s’est éteinte. »

Lire dans L'Orient littéraire

Apocalypse now ?

Plaisir d’écrire, de décrire, de tisser des atmosphères et déjà de brosser aux pages suivantes des personnages attachants. Et s’ouvre le récit surprenant et à suspense dont le décor est un minuscule îlot de la côte atlantique nommé Antioche (clin d’œil à l’Orient ?), rattaché à Gros-Chiron… Entre océan, solitude battue par le vent et végétation verdoyante, comme dans un confinement actuel, vivent un dessinateur d’âge mûr Alec Zander et une femme de lettres, Ève, auteure d’un livre à succès mythique. Deux êtres insulaires, uniques ressortissants de ce bout de paradis loin du monde et qui ne se sont jamais croisés. Et brusquement, une panne inexplicable de tous les moyens de communication les force à se rencontrer. Et unir leurs liens pour comprendre ce qui arrive, ce qui les attend...

Le mystère plane, entier et opaque, jusqu’au jour d’avoir accès à Moro, un ancien ami d’Alec et l’un des proches conseillers de Milton, président des États-Unis. Petit éclaircissement : les protagonistes, par-delà leur black-out, sont probablement confrontés à un conflit nucléaire… Une attaque terroriste peut-être. Et ce monde fou, anxiogène, téméraire et arrogant dans son entêtement à croire pouvoir tout contrôler bascule brusquement dans le chaos. Il est guetté par l’effondrement comme un jeu de cartes. Le mystère n’est pas élucidé…



Autant de questions et de réponses

Et surgissent soudain, en un coup de théâtre étrange et improbable, ces frères inattendus, appelés les frères d’Athènes ou les amis d’Empédocle d’Agrigente, philosophe présocratique dont la force vive est l’amour ! Une secte venue droit des anciens temps. Pour secourir, sauver, colmater, conforter, consoler, parler raison, compréhension. Et c’est la part de culture immense aux abords de l’érudition de l’auteur de Samarcand et des Jardins de lumière qui fait rebondir la situation qui prenait l’allure d’un film catastrophe hollywoodien…

Cette confrontation de deux univers devient alors un conte philosophique, une allégorie, une savante parabole, une science-fiction (mélange de présent, de futur et de passé) où la réalité, dans ses sombres desseins d’États dominants et dominateurs, se révèle dans la barbarie et l’inhumanité la plus brute et la plus brutale. Les frères prônent et prêchent les valeurs perdues : l’unité, l’union, la solidarité, la compassion, l’entraide…

Autant de questions et de réponses fournies dans ce roman diffus, mais qui ne donne presque jamais de clefs précises qui ouvrent les portes… Sauf ce cri d’alerte retentissant, alarmant et parfaitement justifié pour une planète en danger. D’éclatement. De disparition comme pour une Atlantide moderne engloutie.

Avertissement que le monde entend peut-être mal tant il est engoncé dans sa course au surarmement et au consumérisme. Cependant, avec Amin Maalouf, la branche de l’espoir n’est jamais coupée. Ces frères inattendus, peuplade venue de loin, ont un langage différent. Pour une reconstruction de l’être et des valeurs humaines oubliées et mises au rancart.

Si les lecteurs d’Amin Maalouf ont la nostalgie des premiers romans où l’Orient et les pays arabes brillaient de mille feux, comme des épisodes échappés au verbe de hakawati de Shéhérazade, il est temps de plonger dans les vagues nouvelles de la plus récente trilogie de l’auteur d’Origines. À savoir Les identités meurtrières, Le naufrage des civilisations et Le dérèglement du monde.

C’est dans ce sillage de préoccupations environnementales, sociétales et politiques contemporaines que s’inscrit ce texte grave mais guère dépourvu de lumière et d’échappée belle vers l’art du bonheur. Sans doute grâce à la présence de ces rescapés d’Athènes qui pimentent la trame, piquent la curiosité, créent la surprise et éteignent les incendies des cœurs chargés d’un inexplicable feu destructeur….

Pour mémoire

L’heure de vérité : une lecture d’Amin Maalouf

Avec une constatation majeure qui concerne tous les habitants de l’orange bleue : prenez gade, à force de morgue et d’inconscience, la planète peut nous sauter à tous au visage comme une grenade maladroitement ou colériquement dégoupillée…

Loin des livres historiques d’autrefois à la narration simple et d’un dépaysement accessible, voilà une autre version de la vie et de ses aléas, non moins attachante ou intéressante, par un écrivain toujours à l’écoute du passé et du présent tout en sondant avec précaution les pulsations du futur...

Une véritable invitation et leçon de sagesse afin de recorriger les lorgnons pour une vie meilleure, moins haineuse, moins égoïste, plus harmonieuse, plus épanouie et plus épanouissante.

« Nos frères inattendus » d’Amin Maalouf (A. Antoine – 330 pages) en vente en librairie.

Il est intéressant de noter, en ouverture de ce commentaire, l’hyperinflation au Liban qui a amené A. Antoine à éditer Nos frères inattendus d’Amin Maalouf, opus de notre illustre concitoyen sorti initialement chez Grasset, et on est gré pour cette louable initiative salvatrice de la culture. Double publication pour un abordable « prix spécial Liban » au lecteur, vu que...

commentaires (1)

Merci Edgard Davidian, pour avoir décrit les ficelles du verbe d’Amin Maalouf. Des ficelles qui tissent un fil conducteur d’un roman hélicoptère, qui offre un regard général et en même temps bien pointu quand le roman fait des haltes et argumente des avis durant son déroulé.

DAMMOUS Hanna

17 h 42, le 03 novembre 2020

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Commentaires (1)

  • Merci Edgard Davidian, pour avoir décrit les ficelles du verbe d’Amin Maalouf. Des ficelles qui tissent un fil conducteur d’un roman hélicoptère, qui offre un regard général et en même temps bien pointu quand le roman fait des haltes et argumente des avis durant son déroulé.

    DAMMOUS Hanna

    17 h 42, le 03 novembre 2020

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