Le nouveau Amin Maalouf est un thriller complexe, qui peut se lire à plusieurs niveaux, en résonance avec la crise inédite que traverse notre civilisation.
On peut imaginer qu’Amin Maalouf a conçu Nos Frères inattendus sur l’île d’Yeu, une île atlantique de Vendée, au large des Sables d’Olonne, là où il vit en partie, un soir de tempête assortie d’une coupure de courant. S’ensuit un black-out total, sans moyens de communication, ni Internet.
Ainsi commence le roman. Sur l’île d’Antioche, 46 hectares de l’archipel français des Chirons, perdus dans l’Atlantique, face aux côtes américaines. C’est là que vit Alec Zander (c’est un pseudonyme), un vieux loup solitaire, dessinateur de cartoons et de comics pour la presse anglo-saxonne. C’est son père qui avait acheté ce domaine (38 hectares sur la totalité), mais il est mort avant d’avoir pu l’habiter. L’île est la plupart du temps complètement isolée. À marée basse, seulement, on peut gagner à pied l’île voisine, avec la « capitale », Port-Atlantique. Alec s’y rend souvent, au café, faire ses courses. Et il s’est même fait un ami, un seul, Agamemnon, dit « Le Passeur ». Il y a bien, dans un coin de son île, quelqu’un d’autre : Ève Saint-Gilles, auteur d’un unique roman, L’Avenir n’habite plus à cette adresse, qui remporta du succès en son temps, et est même considéré par certains comme un livre-culte. Mais, depuis, elle ne parvient plus à écrire. Ils se sont salués à son arrivée, puis plus rien. Chacun chez soi. On ne se fréquente pas. Et Alec n’a pas lu le livre d’Ève.
Alec va donc vivre un confinement absolu d’un mois, dont il décide de tenir le journal, d’un 9 novembre à un 9 décembre. Par intermittences, il va recevoir des nouvelles du reste du monde, notamment lorsqu’il parvient à joindre au téléphone son ami Moro, conseiller du président des États-Unis Milton.
En fait, il apprend que ce black-out n’est pas « naturel ». Il a été organisé, à l’échelon planétaire, par une puissante et mystérieuse organisation qui se fait appeler Les Amis d’Empédocle, en référence au philosophe du Ve siècle avant Jésus-Christ mort, dit-on, pour s’être jeté dans l’Etna, et dont les membres portent des noms grecs antiques : Pausanias, Démosthène… ou Agamemnon, qui en fait partie. Moro aussi.
Qui sont ces gens, dotés de super-pouvoirs (guérir les hommes de toutes leurs maladies, leur assurant ainsi une forme d’immortalité), et que veulent-ils ? Il semble, mais ce n’est pas très clair, que ce soient des espèces de surhommes, qui auraient vécu sur terre (ou sous la mer) depuis des millénaires, dissimulés au reste des humains. Ils possèdent un savoir infini, bien supérieur au nôtre, et veulent l’employer pour empêcher l’humanité de courir à sa perte, de saboter la planète, de s’autodétruire avec l’arme nucléaire. Ils commencent par là, mais leur prise de contrôle engendre, un peu partout, des conflits, voire des guerres civiles, comme aux États-Unis, où le président Milton, quoique atteint d’un cancer en phase terminale, refuse au début l’offre des Amis d’Empédocle.
Pendant ce temps, sur l’île, choisie par les Amis comme un centre d’intervention médical, tout a changé : les habitants affluent pour se faire soigner ou traiter préventivement. Alec et Ève, qui se sont rapprochés et ont été « rajeunis », filent le parfait amour, y compris sexuel. Et la romancière s’est remise à écrire. Partout dans le monde, tout s’arrête, toutes les ambitions cédant le pas à un objectif unique, primordial : se faire traiter par les Amis, et acquérir la vie éternelle. Plus rien ne sera donc jamais comme avant…
Même s’il a sans doute été commencé bien avant l’épidémie de la Covid-19, ce roman ne peut pas ne pas entrer en résonance avec la crise inouïe qui secoue le monde et menace notre art de vivre, voire notre civilisation. Certains ne la regretteront pas, à la façon des Amis d’Empédocle, et se projettent déjà dans le « monde d’après ». Amin Maalouf, lui, mêlant science-fiction, collapsologie et roman d’amour, poursuit sa réflexion philosophique, sombre, initiée dès 1998 avec Les Identités meurtrières (Grasset) et poursuivie avec Le Naufrage des civilisations (Grasset, 2019). Le propos, qui prend ici l’aspect d’une parabole, est nourri de mythologie grecque antique. Le nom de l’archipel fictif, les Chirons, par exemple, vient de celui d’un des fils du Titan Kronos, un centaure devenu une constellation. Tout un symbole.
À l’occasion de la parution de son roman, Amin Maalouf nous a accordé l’entretien suivant :
Comment Nos Frères inattendus s’articule-t-il avec le reste de votre œuvre, notamment les titres les plus récents ?
L’écrivain allemand Novalis considère, dans une phrase que je cite en exergue, que « les romans naissent des manquements de l’Histoire ». Mes derniers livres parlent beaucoup de ces manquements, avec des mots tels que « naufrage », « désorientés », « dérèglement », etc. Je ne dirai évidemment pas que tous les romans naissent ainsi, mais c’est certainement vrai de ce roman-ci. Dans les dernières années, j’ai contemplé la marche du monde avec inquiétude, et même avec effarement, et ce roman a pris naissance dans mon esprit comme une révolte contre cette dérive.
Diriez-vous que c’est un livre sombre, pessimiste, voire « collapsologue » ?
Tout au contraire. C’est le livre le plus optimiste que j’aie jamais écrit. Il prend le contrepied de la dérive actuelle et puise dans les grands moments du passé, notamment dans le miracle grec antique, une nouvelle foi en l’humanité. Non pas telle qu’elle est aujourd’hui, mais telle qu’elle pourrait devenir si elle renouait avec les idéaux qui, jadis, ont fait sa grandeur.
Quand l’avez-vous écrit, achevé ? L’actuelle pandémie a-t-elle influé sur votre travail, en cours d’écriture ?
Le roman était déjà écrit et la décision de le publier était prise avec mon éditeur bien avant la pandémie. Nous nous demandions seulement s’il faudrait le publier cette année ou l’année prochaine. Le Naufrage des civilisations est sorti en 2019, et je préfère, d’ordinaire, laisser passer deux ans entre mes livres. Mais j’ai relu mon manuscrit pendant le confinement, et pour une raison que je ne m’explique pas clairement, l’atmosphère qui règne dans ce roman m’a semblé en phase avec ce que nous vivions. J’ai donc résolu de le publier sans tarder, et sans rien changer au texte…
Quelle était votre intention en l’écrivant : imaginer une parabole sur la condition humaine, ses dérives, ses fantasmes ?
Oui, c’est exactement cela. Et imaginer aussi une manière d’enrayer les dérives, afin que nos congénères, surmontant leurs frayeurs et leurs faiblesses, se mettent à espérer un nouveau commencement. Ces « frères inattendus » représentent un peu cette espérance. Sans doute la délivrance ne viendra-t-elle pas selon un tel scénario, mais c’est de cette manière qu’elle a pris forme dans mon esprit, et sous ma plume.
Ou encore une fable philosophique, nourrie de mythologie grecque ? D’où vous vient cet intérêt pour les mythes antiques ? Que pensez-vous qu’ils nous disent, concernant notre époque ?
Ce qui m’a toujours fasciné dans la Grèce antique, c’est qu’une population qui, selon nos critères d’aujourd’hui, était encore peu développée, ait pu produire, il y a deux millénaires et demi, une civilisation avancée, et qui s’est révélée éminemment fondatrice dans les arts, la philosophie, le théâtre, l’historiographie, les pratiques démocratiques, etc. Une éclosion fulgurante, mais qui n’a pas duré longtemps, tout juste soixante-quinze ans. Et je me suis souvent demandé ce qui serait arrivé si elle avait pu se poursuivre pendant des siècles, et s’étendre à l’humanité entière. C’est de cette interrogation que le roman est né sous cette forme, et a pris racine dans mon esprit…
Parmi les drames récents, l’explosion et le grave incendie qui ont frappé Beyrouth, aggravant encore le chaos dans lequel se débat le Liban. Quelle a été votre réaction ? Que pensez-vous de l’initiative française du président Macron ?
J’étais attristé, abasourdi, et quasiment assommé par le côté étrange et absurde de ces événements. Et bien entendu, comme tant de Libanais, j’étais constamment au téléphone avec mes proches, pour demander de leurs nouvelles. Ils ont tous souffert, à des degrés divers. Ils n’arrêtent pas de souffrir, d’ailleurs, depuis quelques années, économiquement, et moralement. Et ils en arrivent à penser que leurs épreuves ne s’arrêteront jamais, et que le reste du monde les a oubliés. De ce fait, lorsque le dirigeant d’une grande nation vient leur dire qu’il pense à eux, et qu’il veut essayer d’agir en leur faveur, ils retrouvent un peu d’espoir. Bien entendu, chacun sait que les problèmes sont extrêmement difficiles à résoudre, et que la bonne volonté d’un ami ne suffit pas.
Au final, êtes-vous optimiste ou pessimiste sur l’avenir du Liban ?
La lucidité ne doit pas mener au désespoir. Même quand on ne voit pas de lumière au bout du tunnel, il faut continuer à croire qu’il y a une lumière, et qu’un jour on la verra. C’est une règle que j’ai adoptée il y a bien longtemps, et qui me revient à l’esprit dans les moments les plus éprouvants.
Nos Frères inattendus d'Amin Maalouf, Grasset, 2020, 330 p.
ET DIRE QUE CE MERVEILLEUX LIBANAIS QUI AGRANDIT LE LIBAN ET LES LIBANAIS A PU ETRE CRITIQUE UN JOUR RECENT PAR DES PERSONNES OBTUES POUR AVOIR ETE INTERVIEWE A PARIS PAR I24 UNE STATION DE TELEVISION QUI EMET EN HEBREU ARABE ET ANGLAIS A PARTIR DE TEL AVIV SUR SES OUVRAGES ET PAS SUR LA POLITIQUE DANS UNE RUBRIQUE CULTURELLE QUAND DONC NOUS LIBANAIS NOUS FERONS UN VRAI RAISONNEMENT POUR LE BIEN DE NOTRE CULTURE ET NOTRE PAYS ET PAS POUR SATISFAIRE DES VOLONTES ETRANGERES, IRANIENNES OU MEME PALESTINIENNES?
23 h 16, le 18 octobre 2020