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Société - Focus

Pourquoi le nouveau contrat pour les employés de maison au Liban n’est toujours pas mis en œuvre

Le conseil d'Etat a suspendu la mise en oeuvre du nouveau contrat en attendant le résultat d’une action en justice lancée par le Syndicat des bureaux de recrutement.

Pourquoi le nouveau contrat pour les employés de maison au Liban n’est toujours pas mis en œuvre

Une employée de maison éthiopienne assise avec sa valise sur le trottoir devant l'ambassade éthiopienne à Hazmieh. OLJ/Joao Sousa

La plus haute juridiction administrative libanaise a temporairement suspendu le plus grand développement initié par le gouvernement libanais pour une refonte du système de kafala, le régime de parrainage si décrié pour les employées de maison migrantes. La cour a suspendu sa décision au résultat d’une action en justice lancée par un lobby de bureaux de recrutement qui font venir les employés de maison au Liban. Ces bureaux estiment que le ministère du Travail a outrepassé ses prérogatives.

Le mois dernier, la ministre du Travail sortante, Lamia Yammine, avait annoncé avoir approuvé un nouveau modèle de contrat de travail pour les employés de maison immigrés. Un contrat devant considérablement améliorer leurs droits.

Si des militants avaient jugé exagérées les déclarations de la ministre selon qui ce nouveau type de contrat « annulait » le système de kafala, des groupes de défense des droits des travailleurs et des droits de l'homme avaient néanmoins, pour la plupart, reconnu que le nouveau contrat représentait une amélioration significative des droits des employés de maison. Du moins sur le papier.

Aujourd’hui, le sort de ce nouveau contrat est toutefois flou, après que le Conseil d’Etat a décidé l’interruption de sa mise en œuvre jusqu'à ce qu'un verdict définitif soit rendu dans le cadre de l’action en justice intentée par le Syndicat des bureaux de recrutement de travailleuses étrangères.

Qu'est-ce que le système kafala et en quoi ce nouveau contrat l'aurait modifié ?

Environ 250 000 employés de maison migrants, dont la plupart sont des femmes originaires de pays d'Afrique et d'Asie du Sud-Est, travaillaient au Liban avant la crise économique. (Depuis la crise économique, beaucoup sont rentrées chez elles après que leurs employeurs ont cessé de les rémunérer ou, dans certains cas, les ont abandonnées devant leurs ambassades respectives).

Le système kafala lie le permis de résidence d’un employé domestique immigré à un employeur spécifique. D’autres catégories de travailleurs migrants sont liés à un garant libanais, mais seuls les employés domestiques ne sont pas protégés par le code du Travail. Et toutes les tentatives, par les travailleurs migrants, de former un syndicat, ont été bloquées par les autorités libanaises.

De nombreux abus ont été recensés par des groupes de défense des droits de l’homme, tel que des cas d’abus physiques et sexuels, ou des refus ou retard de paiement de la part des employeurs. De nombreux employeurs confisquent également les passeports des employés de maison et leur interdisent de sortir pendant leurs jours de congé.

Ce nouveau modèle de contrat découle d’un processus qui avait été entamé lors du mandat du précédent ministre du Travail, Camille Abousleiman. Il avait réuni un groupe de travail sous l'égide de l'Organisation internationale du travail en avril 2019, afin de commencer à rédiger des propositions de réforme du système kafala sur le court et moyen terme.

Ce nouveau contrat de travail était considéré comme une réforme à court terme, puisque le ministre du Travail pouvait le publier sans passer par le Parlement ou le cabinet.

Selon l'ancien modèle de contrat de travail, les employés de maison ne pouvaient généralement pas démissionner ni même changer d'employeur, à moins de pouvoir prouver des abus ou des écarts de conduite à leur égard de la part de leur employeur.

Les principales dispositions du nouveau contrat leur accordent le droit de quitter leur employeur librement, moyennant un préavis d'un mois. En cas d’abus ou de mauvaise conduite de la part de l’employeur, aucun préavis n’est requis. D’autre part, le contrat interdit explicitement la confiscation des passeports des employés et de contraindre l’employé à rester à la maison lors de ses jours de congé. Il est également spécifié que la chambre de l'employé doit être correctement éclairée, ventilée et doit être équipée d'une porte pouvant être fermée à clé de l'intérieur. Par ailleurs, ce nouveau contrat stipule que les employés de maison doivent être payés au moins le salaire minimum (qui est actuellement de 650 000 LL). Une décision liée mais séparée du contrat permet une ponction maximale de 30 % pour le logement et la nourriture, fournis par l'employeur.

Zeina Mezher, agent de référence de l'OIT au Liban sur les questions de migration de main-d’œuvre, souligne que même si l'objectif ultime serait de modifier le code du travail afin d'accorder aux employés de maison les mêmes protections juridiques qu'à tout autre employé, ce nouveau modèle de contrat représente « un grand pas en avant ». « Ce texte protège les employés de maison, et encourage la reconnaissance du travail domestique comme un véritable travail en alignant les droits des employés sur ceux définis dans le code du travail », poursuit-elle. « Le contrat stipule les droits de l'homme et du travail fondamentaux dans le but de créer une relation de respect envers les employés de maison, dans le cadre duquel le travail devient un choix associé aux droits et à la dignité des employés ».

Pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il temporairement interrompu la mise en œuvre de la loi ?

Le 21 septembre, le Syndicat des propriétaires de bureaux de recrutement de travailleurs au Liban a déposé un recours pour empêcher, d'une part, la mise en œuvre du nouveau contrat, et d'autre part la décision parallèle du ministère du Travail imposant une limite aux déductions salariales pour le logement et la nourriture.

Le syndicat soutient que la Lamia Yammine a outrepassé ses prérogatives de ministre par intérim, et que la décision en question enfreint le droit libanais des contrats en imposant des conditions obligatoires aux parties ainsi qu'en tentant de passer outre le droit du travail en imposant le salaire minimum national pour les employés de maison.

Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 14 octobre de suspendre la mise en œuvre du contrat en attendant les résultats définitifs de l’action en justice, n'est pas entré dans les détails de sa décision, déclarant simplement qu'il semblait que les conditions pour suspendre l'exécution du nouveau contrat étaient réunies. Plus précisément, le Conseil a estimé qu'il ressortait du dossier que l'exécution « pourrait causer un préjudice grave au plaignant » et que la plainte « est fondée sur des raisons importantes et sérieuses ».

Interrogé par L’Orient Today, le président du syndicat, Ali al-Amine, estime que le contrat a été avancé avec précipitation, et que les remarques des employeurs et des recruteurs ont été ignorées. Le gouvernement aurait dû négocier les contrats avec les ambassades respectives des employés plutôt que d'imposer des conditions générales, poursuit-il. « Nous sommes d’accords sur le fait que les droits des employés sont sacrés et qu’ils devraient l’être. Je ne veux pas mettre en péril leurs droits, mais je ne veux pas non plus compromettre les droits de l'employeur ou du bureau de recrutement », déclare M. Amine. « Si vous vous attaquez au secteur du recrutement, il n'y aura plus de possibilités de travail pour les employés de maison ». Selon lui, le recrutement a déjà pratiquement cessé au cours de l'année dernière.

La décision du Conseil d’Etat a été accueillie par des condamnations de la part des défenseurs des employés de maison, y compris de la part de ceux qui estimaient que le nouveau contrat n'allait pas assez loin ou qui étaient sceptiques quant à sa mise en œuvre effective.

« Les travailleurs migrants sont l’un des groupes les plus marginalisé au Liban. Ils sont régulièrement victimes d'abus scandaleux, dont le travail forcé ou le trafic d’être humains », déclare à L'Orient Today Aya Majzoub, chercheuse sur le Liban à Human Rights Watch. « Au lieu de corriger cette grave injustice et de démanteler le système qui rend possible cet asservissement et cette exploitation, le Conseil d’Etat a privilégié les intérêts commerciaux des bureaux de recrutement ».

« Même si le nouveau contrat représentait un pas en avant somme toute limité, la décision du Conseil d’Etat compromet cette réalisation et nous renvoie à la case départ en ce qui concerne le travail sur le statut de la main d’œuvre étrangère », a écrit, pour sa part, Nizar Saghieh, directeur exécutif de Legal Agenda.

Même son de cloche du côté de Farah Baba, porte-parole du Mouvement antiraciste, un groupe qui milite pour les droits des travailleurs migrants. Elle aussi considère que le nouveau contrat n’allait pas assez loin. Mais elle qualifie  aujourd’hui la décision du Conseil d’Etat de « très dangereuse ». Elle note toutefois que dans les conditions actuelles, le nouveau contrat n’est pas, pour les travailleurs migrants que le groupe représente, une priorité, alors que la plupart d'entre eux tentent actuellement de quitter le Liban. « Je pense que la plupart des membres de la communauté ne se sont pas exprimés à ce sujet parce que leur priorité, pour le moment, est essentiellement de quitter le pays », déclare-t-elle.

Et maintenant ?

Lamia Yammine a refusé, par l’intermédiaire d’un porte-parole, de s’exprimer en ce qui concerne la décision du Conseil d’Etat, mais une source ministérielle indique qu’elle prépare une réponse officielle. Toutefois, étant donné que la Mme Yammine sera remplacée une fois que le nouveau gouvernement sera formé par Saad Hariri, les prochaines étapes dépendront probablement des convictions du prochain ministre.

En attendant, les militants ont déclaré qu'ils continueront à faire pression pour une révision législative du système de la kafala.« Malheureusement, cette décision (du Conseil d’Etat) n'est qu'une preuve de plus de l'échec du système judiciaire à protéger les droits des employés de maison migrants au Liban, une situation qui dure depuis des décennies », déclare M. Majzoub. « Cela met en exergue la nécessité de mettre fin au système kafala une bonne fois pour toutes, et de placer les employés de maison migrants sous la protection du code du travail ».


(Cet article a été originellement publié en anglais dans L'Orient Today le 28 octobre 2020)


La plus haute juridiction administrative libanaise a temporairement suspendu le plus grand développement initié par le gouvernement libanais pour une refonte du système de kafala, le régime de parrainage si décrié pour les employées de maison migrantes. La cour a suspendu sa décision au résultat d’une action en justice lancée par un lobby de bureaux de recrutement qui font venir les...

commentaires (1)

Merci Abby Sewell pour cet article , pourriez vous continuer à nous garder de la mise en place d'un nouveau contrat de travail pour les employés de maison immigrés, un contrat qui doit améliorer leurs droits. le contrat existant est une honte ! philippe helou ps: i was not able to send this message on the L'Orient Today page where this article was first published :-)

Philippe Helou 1276

17 h 04, le 29 octobre 2020

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Commentaires (1)

  • Merci Abby Sewell pour cet article , pourriez vous continuer à nous garder de la mise en place d'un nouveau contrat de travail pour les employés de maison immigrés, un contrat qui doit améliorer leurs droits. le contrat existant est une honte ! philippe helou ps: i was not able to send this message on the L'Orient Today page where this article was first published :-)

    Philippe Helou 1276

    17 h 04, le 29 octobre 2020

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