Le Soudan était le pays des « trois non » : Khartoum, la capitale où s’était tenu en 1967 un sommet de plusieurs pays arabes, suite à la guerre des Six-Jours, pour affirmer haut et fort leur opposition à la paix avec Israël, à la reconnaissance d’Israël et aux négociations avec Israël. Mais, depuis hier, le pays est devenu le troisième de la région, en quelques semaines, à s’engager dans une normalisation de ses relations avec l’État hébreu, dans le sillage des Émirats arabes unis et de Bahreïn à la mi-septembre ; le cinquième dans l’histoire si l’on prend en compte les accords israélo-égyptien de 1979 et israélo-jordanien de 1994. L’annonce est tombée hier par le biais d’un porte-parole de la Maison-Blanche. Elle est éminemment symbolique tant elle en dit long sur la fin de la centralité naguère conférée dans les discours officiels arabes à la question palestinienne. Car contrairement à Manama et Abou Dhabi qui n’ont jamais été en guerre avec Israël, le Soudan a, aussi bien en 1948 qu’en 1967, envoyé des soldats pour soutenir l’armée égyptienne contre l’État hébreu. Selon des sources officielles citées par le site saoudien al-Arabiya, Khartoum aurait même accepté de désigner le Hezbollah comme une organisation terroriste dans le cadre de son accord de normalisation. Le président américain a aussi affirmé qu’« au moins cinq » autres pays arabes voulaient suivre le même chemin et s’attendre à ce que l’Arabie saoudite figure parmi eux. Comme dans le cas des EAU et de Bahreïn, l’accord entre le Soudan et Israël devrait aller au-delà de la « paix froide », contrairement à ce qui avait été conclu avec l’Égypte. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé hier que des délégations représentant les deux pays se rencontreraient prochainement pour discuter des contours de leur coopération dans divers domaines, y compris commerciaux et agricoles, ajoutant que « les cieux du Soudan étaient désormais ouverts à Israël ». Reste toutefois l’hostilité d’une partie de la société soudanaise à l’État hébreu. Mercredi dernier, au cours d’une manifestation contre la situation socio-économique qui prévaut dans le pays, des drapeaux israéliens ont été brûlés et des slogans antinormalisation scandés. « Les gens aujourd’hui sont avant tout préoccupés par leurs besoins de base : le pain, le gaz, le pétrole, le travail », nuance Jihad Mashamoun, analyste politique sur le Soudan.
Victoire pour les militaires
Pour l’instant, deux grands gagnants. Le premier est le président américain Donald Trump qui peut d’ores et déjà s’enorgueillir d’une troisième victoire diplomatique d’autant plus précieuse que l’élection présidentielle prévue le 3 novembre prochain arrive à grands pas et qu’il veut donner le plus de gages possibles aux évangéliques américains – très pro-israéliens – qui forment le cœur de sa base politique. Washington a également affirmé que le pouvoir transitionnel soudanais a versé 335 millions de dollars dans le cadre d’un accord de compensation pour les victimes américaines des attentats perpétrés en 1998 contre des ambassades au Kenya et en Tanzanie.
Le second vainqueur n’est autre que le général Abdel Fattah al-Burhane, président du Conseil souverain (CS) soudanais – instance politique née d’un compromis entre civils et militaires dans le sillage de la chute de Omar el-Bachir et chargée de mener à bien la transition démocratique – qui est à l’initiative du rapprochement entre l’État hébreu et Khartoum, en a fait son principal cheval de bataille et a obtenu en échange le retrait du Soudan de la liste noire américaine des États soutenant le terrorisme, monnaie d’échange principale mise sur la table par Washington. Les bénéfices pour le Soudan sont avant tout économiques. Le pays est exsangue et traverse une grave crise qu’a aggravée un peu plus la pandémie liée au coronavirus. La mise en place du CS avait nourri les espoirs de nombreux Soudanais qui ont pensé qu’une nouvelle page s’ouvrant, le pays pourrait enfin gagner en légitimité sur la scène internationale et faire affluer les fonds nécessaires à sa reconstruction. Mais en septembre, les autorités ont décrété l’état d’urgence économique pour juguler la chute vertigineuse de la livre face au dollar. Le Soudan connaît aujourd’hui un taux d’inflation de 146 %, un chômage très élevé et la population est au bord du gouffre. Or il était dans l’incapacité de recevoir de l’aide financière d’organisations internationales telles que le FMI, ou des prêts de banques privées du fait de sa présence sur la liste américaine. Le timing est parfait pour le général qui veut se positionner en sauveur du pays et galvaniser ainsi le soutien de certains segments de la société. L’annonce arrive quelques mois seulement avant son retrait du poste de président du CS, selon l’accord entre les civils et l’armée conclu en 2019 et prévoyant que le CS serait présidé par un général durant une période de 21 mois avant que celui-ci ne laisse la place à un civil pour mener à bien le reste de la transition pendant 18 mois. Doit se tenir ensuite une élection présidentielle prévue pour 2022 sur laquelle Abdel Fattah al-Burhane a les yeux rivés. « L’une des raisons pour lesquelles M. Burhane cherche à rester au pouvoir est liée au fait qu’il était en poste lorsque le génocide au Darfour a eu lieu et qu’il veut se garantir l’immunité », explique Jihad Mashamoun. « Au final, l’armée est le principal gagnant de cette normalisation. Depuis février, Abdel Fattah al-Burhane a mené cette initiative sans réellement impliquer le Premier ministre Abdalla Hamdok. Cela est inquiétant car les militaires semblent vouloir saper le rôle de leurs partenaires dans la transition et rechercher le soutien des partisans de l’ancien régime », ajoute-t-il. Ces derniers sont aujourd’hui divisés en plusieurs factions et dépourvus de leadership centralisé. Un vide politique que Abdel Fattah al-Burhane pourrait chercher à remplir, en mettant notamment sur la table le retrait de Khartoum de la liste des pays soutenant le terrorisme.
Divisions
À l’heure actuelle, le compromis entre civils et militaires est fragile, à plus forte raison du fait que l’armée est soutenue par la triple alliance émirato-saoudo-égyptienne qui ne jure que par la stabilité régionale et la lutte contre les Frères musulmans. La mainmise de l’institution militaire sur l’économie du pays reste par ailleurs considérable et d’aucuns la perçoivent comme l’obstacle numéro un à l’action du gouvernement. Et aujourd’hui indépendamment du sentiment propalestinien qui anime une partie des Soudanais, beaucoup craignent surtout qu’elle enhardisse les militaires qui se targueraient alors non seulement du soutien d’Abou Dhabi et de Riyad, mais aussi de celui des États-Unis. « Selon certaines sources du ministère des Affaires étrangères, l’administration Trump avait appelé l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis à interrompre leur aide restante au Soudan pour faire pression sur le pays afin qu’il normalise ses relations avec Israël », avance Jihad Mashamoun.
Au cours des mois précédents, toutes les composantes des Forces de la liberté et du changement (FLC) regroupant des partis et de la société civile et fer de lance du soulèvement populaire ont témoigné de leurs divisions sur le sujet et ont été dans l’incapacité d’adopter une position commune. Le Parti communiste ou le parti Oumma de Sadek al-Mahdi s’étaient opposés à la normalisation avant qu’une solution ne soit trouvée à la question palestinienne. En revanche le Front révolutionnaire soudanais, allié du FLC, y était favorable, notamment du fait qu’il regroupe plusieurs mouvements armés du Darfour et que l’État hébreu les a soutenus financièrement et militairement dans leur lutte contre le dictateur déchu.
Israël ne s’opposera pas à la vente de matériel militaire américain aux Émirats
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a annoncé hier soir qu’Israël ne s’opposerait pas à la vente aux Émirats arabes unis de matériel militaire américain de pointe. « Israël ne s’opposera pas à la vente de ses systèmes aux Émirats arabes unis », a déclaré dans un communiqué M. Netanyahu, commentant la visite cette semaine à Washington de son ministre de la Défense, Benny Gantz, pour discuter de la vente par les États-Unis de matériel militaire de pointe aux Émirats, incluant des F-35. L’un des sujets sensibles dans l’accord de normalisation entre Israël et les Émirats arabes unis signé le 15 septembre était la question de la vente d’avions de combat américains F-35 à Abou Dhabi, qui menaçait selon des responsables israéliens l’avantage technologique de l’État hébreu au Moyen-Orient. Hier soir, le Premier ministre Netanyahu a toutefois indiqué avoir reçu la garantie que les « États-Unis allaient mettre à jour les capacités militaires d’Israël et maintenir son avantage militaire qualitatif ».
Les pays signataires de la Paix ont posé des conditions à Israel en ce qui concerne la cisjordanie et les arabes Israeliens. Le Soudan lui semble avoir obtenu des USA quelque chose d'autre. En tout cas aucune demande (que l'on ai su) ne semble avoir été addréssée à Israel sur son comportement avec les palestiniens.
23 h 05, le 25 octobre 2020