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Lifestyle - Cinéma

« Beirut 6 :07 » : 15 récits pour une même tragédie

La plateforme Shahid vient de dévoiler 15 courts-métrages libanais conçus autour du thème de la tragédie du port. « Il fallait qu’on raconte l’histoire de ces victimes », confie le réalisateur Mazen Fayad.

« Beirut 6 :07 » : 15 récits pour une même tragédie

« Beirut 6 :07 », 15 courts-métrages sur la double explosion du port confiés à 15 réalisateurs différents. Photos DR

La double explosion au port de Beyrouth, le 4 août, a marqué au fer rouge les Libanais qui ne sont pas près d’oublier cette catastrophe à l’ampleur inédite. S’il est naturel que cet événement inspire les artistes dans les années à venir, personne ne s’attendait à voir naître une série de films sur le sujet, deux mois à peine après la catastrophe. C’est pourtant le projet ambitieux, et controversé, conçu par The Big Picture Studios, dirigé par le réalisateur Mazen Fayad, qui vient de dévoiler 15 courts-métrages libanais conçus autour de cette actualité et dont certains sont disponibles depuis quelques jours sur la plateforme Shahid du groupe MBC.

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« Deux petites semaines s’étaient écoulées depuis l’explosion et nous nous sommes dit qu’il fallait faire quelque chose, explique -t-il. Nous en avons discuté, notamment avec Ghazi Féghali et Imagic, une boîte de production télévisuelle avec laquelle nous collaborons. Comme nous étions récemment en train de travailler sur un projet avec MBC, nous avons naturellement pensé à leur proposer notre idée, qu’ils ont immédiatement approuvée. Parfois, cela peut prendre une année pour défendre un projet, mais là, tout s’est fait de manière très rapide. » Baptisés Beirut 6 :07, l’heure fatale du drame, les 15 courts-métrages se penchent sur l’histoire de 15 personnes affectées par la catastrophe avant ou après l’explosion, parmi lesquelles des victimes, comme les pompiers de la caserne de Beyrouth. Les films réunissent des réalisateurs connus et des étoiles montantes du cinéma, dont Caroline Labaki, Ingrid Bawab, Lucien Bourjeily et Alain Sauma. Avec à l’affiche Diamand Bou Abboud, Zeina Makki, Mireille Panossian, Carole Abboud, Lisa Debs, Flavia Béchara et d’autres. « Nous avons réfléchi à 15 histoires et les avons proposées à 15 réalisateurs différents que nous avons jugés capables de raconter ce vécu, explique Mazen. Certains ont choisi d’écrire leur scénario, d’autres, dont moi, ont eu recours à des écrivains comme Nadia Tabbara. Répartir le projet sur des cinéastes différents était le moyen le plus rapide de concrétiser le projet, et nous l’avons fait en moins de deux mois. Il a fallu également mobiliser 15 équipes de tournage et 5 unités de postproduction. Cette semaine, nous avons achevé le film numéro 14, et le dernier sera tourné la semaine prochaine. »


« Beirut 6 :07 », 15 courts-métrages sur la double explosion du port confiés à 15 réalisateurs différents. Photos DR


« Trop tôt » ?

Mais pourquoi donc cette urgence? Pour Mazen Fayad, « il fallait vite raconter l’histoire de ces victimes ». « Cela me met hors de moi quand j’entends le mot martyr, poursuit-il. Ce sont des gens qui menaient leur vie sans savoir ce qui les attendait ; des personnes qui avaient une personnalité, un tempérament, une vie, des rêves. Ce ne sont pas de simples chiffres que l’on énumère à la télévision. » Cependant, à sa sortie il y a quelques jours, Beirut 6 :07 a fait l’objet de critiques virulentes sur les réseaux sociaux, certains accusant MBC, Shahid et les réalisateurs d’être « inhumains » et « insensibles » au drame des Libanais et de vouloir « réaliser des profits sur le dos des Libanais qui souffrent ». « Certains ont déclaré qu’il était trop tôt pour faire ce genre de film. Mais la triste réalité est que l’on a déjà commencé à oublier le 4 août, et ceci quelques semaines après le drame, répond Mazen Fayad. Les Libanais essaient d’aller de l’avant, de tourner la page. Nous sommes toujours fiers d’être résilients. Mais aujourd’hui, nous ne devons plus l’être. Nous ne pouvons pas reprendre le train de nos vies comme si de rien n’était. Nous voulons raconter nos histoires, aujourd’hui et demain. Personne ne peut dire que c’est trop tôt. J’ai perdu deux amis dans cette explosion. Pourquoi ne puis-je pas en parler maintenant ? C’est notre responsabilité en tant que réalisateurs. Notre résistance. Vous seriez surpris de savoir que les familles des pompiers nous ont remerciés. “Heureusement que quelqu’un parle de nous’’, nous ont-ils dit. » Et d’ajouter : « Dans Beirut 6 :07, nous avons voulu faire la lumière sur nos souffrances aux yeux de la communauté internationale. Oui, il se peut que les choses aient été mal comprises, que les gens aient pensé que le but des films était commercial. Mais en fait, les réalisateurs n’ont pas été rémunérés, et MBC a financé le projet entièrement. Si je ne blâme pas ceux qui critiquent et nous accusent d’exploitation, car nous sommes habitués à toujours être exploités au Liban, il faut également souligner le fait que ces films ont redonné un souffle à l’industrie cinématographique libanaise, qui souffre depuis octobre 2019, et à ceux qui vivent de cette industrie. »


« Beirut 6 :07 », 15 courts-métrages sur la double explosion du port confiés à 15 réalisateurs différents. Photos DR


Plus qu’un hommage, une thérapie

Parmi les films déjà mis en ligne, le court-métrage de Karim Rahbani, intitulé Trobil, mot qui signifie le bâton de dynamite utilisé par les pêcheurs. Il relate l’histoire d’Ahmad Sawan, qui a été retrouvé dans sa voiture flottant sur les décombres quelques jours après la double explosion, incarné par l’acteur Fadi Abi Samra. « Quand Karim Rahbani m’a proposé ce rôle, j’ai senti que le projet était un témoignage important de ce drame, confie-t-il à L’Orient-Le Jour. Le sujet est extrêmement humain, et Karim est même entré en contact avec les parents de la victime pour mieux s’investir. » Pour être au plus près de la réalité, les scènes ont été tournées entre Mar Mikhaël et le port, au cœur d’un paysage en pleine désolation. « C’était difficile, mais cela m’a aidé à mieux me plonger dans le personnage et le récit », ajoute l’acteur qui défend le projet. « Quelques mois après le 11 septembre, note-t-il, il y a eu de nombreux documentaires et fictions. Ces films sont en quelque sorte un hommage aux victimes. Deux mois après, nous parlons nous aussi d’histoires bien réelles et racontons des instants du quotidien de gens normaux qui vivaient à Beyrouth, comme nous. Au final, cet événement constitue un tournant dans l’histoire de notre pays ; il a changé le visage d’une ville. Nous savons qu’il restera dans nos mémoires et nous en reparlerons encore longtemps. C’est aussi une thérapie. »

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Des thérapies, les Libanais en auront bien besoin, et le cinéma pourrait aussi jouer ce rôle. « Nous revenons toujours, dans nos films, vers des drames et des sujets douloureux comme la guerre civile par exemple, souligne Mazen Fayad. La vérité, c’est qu’au Liban, nous n’arrivons jamais à clore un moment de notre histoire. Nos plaies restent béantes. »

La double explosion au port de Beyrouth, le 4 août, a marqué au fer rouge les Libanais qui ne sont pas près d’oublier cette catastrophe à l’ampleur inédite. S’il est naturel que cet événement inspire les artistes dans les années à venir, personne ne s’attendait à voir naître une série de films sur le sujet, deux mois à peine après la catastrophe. C’est pourtant le projet...

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