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Nos Lecteurs ont la Parole

Quel avenir pour les médecins et la médecine au Liban ?

La crise qui frappe le Liban, aggravée par la pandémie de Covid-19, est sans précédent. Et pour cause : la dernière pandémie remonte à un siècle, et le Liban n’a jamais fait défaut sur sa dette souveraine.

Dire que nous sommes en territoire inexploré est un euphémisme. Quid de la situation des médecins et de la médecine ?

Les médecins sont généralement situés dans la classe moyenne à supérieure de la société. Un médecin a un mode de vie confortable et non précaire.

Avec la crise actuelle, un choc au statu quo s’est produit. D’une part, la dévaluation de la livre libanaise a (pour le moment) divisé les revenus du médecin par 5 ou 6. Et cette équation inclut un volume de patients qui n’a pas diminué. D’autre part, crise économique oblige, il y a moins de patients qui se présentent dans les cliniques. Les anciens honoraires ne sont plus à la portée de nombreux patients. Selon les statistiques actuelles, avant octobre 2019, on avançait le chiffre de 30 % de la population sous le seuil de pauvreté. Ce chiffre est maintenant d’environ 50 %, voire plus. Ainsi, doubler le nombre de pauvres signifie diviser le nombre de personnes capables de payer ou même de consulter. De ce fait, le pouvoir d’achat d’un médecin est maintenant entre 5 % et 15 % du pouvoir d’achat habituel.

Ajoutons la pandémie de Covid-19. C’est essentiel pour deux raisons. La première est qu’elle a aggravé la crise économique, mais le plus important est qu’elle a mis en danger la vie des médecins.

Historiquement, quand il y avait un danger accru pour la santé du médecin, sa compensation était augmentée pour que ce travail en vaille la peine. Les maladies infectieuses ont toujours été un risque que le médecin prend sciemment. L’histoire est pleine de médecins tués par les germes de leurs patients. Ce risque a été rendu acceptable par une rémunération accrue par rapport à d’autres métiers. La situation actuelle est aberrante parce que les médecins doivent toucher moins, effectuer un travail plus dangereux et fréquemment sans les protections adéquates.

Par conséquent, quels sont les scénarios possibles que les médecins choisiront ?

Ils peuvent choisir la retraite, à condition qu’ils aient suffisamment de liquidités. Ils peuvent s’orienter vers les boîtes de conseil pour éviter les contacts avec les patients. Si ces options ne sont pas accessibles, ils peuvent continuer à travailler à contrecœur.

Quitter pour pratiquer la médecine à l’étranger est une option à la portée de certains. Il s’agit d’une option plus difficile pour les médecins plus âgés.

Les deux premières options sont bénéfiques pour le marché du travail des médecins car elles réduisent l’offre face à la baisse de la demande. Cela aura un effet bénéfique sur les honoraires. Cependant, il est peu probable que 85 % des médecins partent. Par conséquent, le pouvoir d’achat moyen sera toujours inférieur aux années précédentes.

Parmi les médecins qui choisissent de rester (coincés) ici, il y aura deux catégories. Ceux qui travaillent dans les grands centres médicaux qui attireront les patients les plus riches, et « les autres ».

Les premiers peuvent envisager d’augmenter leurs honoraires. Cependant, la masse monétaire au Liban diminue. Cela signifie qu’avec l’augmentation des prix, nourriture, vêtements et hébergement, l’argent disponible entre les mains des gens diminue jour après jour. En d’autres termes, il n’y a pas assez d’argent pour soutenir des honoraires plus élevés. Aujourd’hui, il n’y a aucune possibilité de récupérer les pertes. Cela ne peut se produire que lorsque l’argent en circulation augmente en valeur. Cela dépend de l’afflux étranger d’argent, d’abord de l’aide internationale, puis des envois de fonds par des expatriés, puis de l’exportation une fois que l’industrie et l’agriculture seront productives. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’ajustement des honoraires sera possible.

De plus, on peut s’attendre à ce que tous les petits hôpitaux privés ferment ou souffrent considérablement. Il est alors fort probable que les nouveaux patients pauvres n’auront d’autre choix que les hôpitaux gouvernementaux qui sont actuellement en sous-effectif, sous-équipés et mal gérés. Ils devront embaucher les médecins « autres » pour fournir des soins médicaux gratuits ou bon marché. Cela créera un système de santé à deux vitesses avec les « riches » obtenant les meilleurs soins médicaux et les « pauvres » obtenant le strict minimum.

En ce qui concerne les grands centres médicaux, ils auront des prix élevés, hors de portée de la population générale. Cela créera éventuellement une nouvelle classe de médecins « riches ». Ce sont eux qui seront en mesure d’augmenter relativement leurs honoraires pour compenser la perte de valeur de la livre libanaise. Quant aux autres, ils feront partie d’une sous-classe de médecins, peu payés et peu performants. Ceux-ci ne seront pas en mesure d’augmenter leurs honoraires ou, même s’ils le tentent, ils ne verront plus assez de patients. Ce qui les poussera encore plus dans les bras du secteur public. Le seul avantage de travailler dans le secteur public serait la sécurité de l’emploi et la garantie d’un salaire misérable en fin de mois.

L’essentiel est que cela fera baisser la qualité des soins dans les deux secteurs. Les très rares privilégiés résisteront farouchement à l’admission de nouveaux médecins dans leur club exclusif. Cela signifie que les nouveaux médecins seront confrontés à de grandes difficultés dans la pratique privée et devront choisir entre le secteur public maigrement payé ou partir, puisque les portes des grands centres seront étroitement contrôlées.

Cela découragera les jeunes médecins à investir dans une sous-spécialité de pointe lorsqu’ils sont confrontés à de sombres perspectives d’emploi. À long terme, cela entraînera une diminution de l’expertise et une érosion de la qualité des soins.

C’est la réalité à laquelle les médecins au Liban vont faire face. Beaucoup de médecins, hautement et spécialement formés, n’accepteront pas cette réduction de leur pouvoir d’achat et de leur qualité de vie. Ceux-ci partiront en masse. D’autant plus que ceux-ci sont généralement plus jeunes et sont à un stade où ils ont des enfants en âge scolaire. Le dilemme est double car ils devront non seulement contempler la dégradation de leur qualité de vie, mais aussi les horizons bouchés pour leurs enfants en raison de la position précaire du pays à tous les niveaux : économique, politique et sécuritaire.

Pour ne rien arranger, la crise du Covid-19 réduira les possibilités d’emploi à temps partiel dans les pays du Golfe. Il n’est plus possible de faire un saut aux Émirats pendant cinq jours quand les régimes de quarantaine changent constamment. On ne sait pas combien de temps cela va durer, mais une hypothèse raisonnable est que ce sera la norme pour les six prochains mois. Ces médecins pourraient se voir offrir un poste à temps plein dans les pays du Golfe. Avec la situation actuelle au Liban, ce sera une offre qu’ils ne pourront pas refuser.

Bien que ces événements soient historiques, certains parallèles peuvent être tirés de la guerre civile au Liban. La qualité de vie des médecins au Liban va d’abord se dégrader, toucher le fond, puis lentement mais sûrement commencer à s’améliorer. La grande inconnue reste le calendrier. La tempête que traverse le pays pourrait durer de quelques mois à quelques années. Un délai raisonnable est de 2 à 5 ans. Est-il judicieux d’endurer ces années, qui sont les années les plus productives pour un nouveau médecin, avec la vague promesse de jours meilleurs dans cinq ans ? Le pays et sa nouvelle identité seront-ils acceptables pour ces médecins ? Ce sont des questions auxquelles personne ne peut encore répondre avec certitude.

La cerise sur le gâteau concerne la situation sécuritaire. Les mauvaises conditions socio-économiques peuvent souvent conduire à des éruptions violentes et des guerres destructrices. Ce n’est plus du domaine hypothétique. Le fait qu’il s’agisse même d’une petite possibilité est alarmant et accélérera l’exode des médecins.

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La crise qui frappe le Liban, aggravée par la pandémie de Covid-19, est sans précédent. Et pour cause : la dernière pandémie remonte à un siècle, et le Liban n’a jamais fait défaut sur sa dette souveraine.Dire que nous sommes en territoire inexploré est un euphémisme. Quid de la situation des médecins et de la médecine ?Les médecins sont généralement situés dans la classe...

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