C’est dans un climat de crise interne sans précédent que le Liban a entamé hier les négociations techniques sur le tracé des frontières maritimes à Naqoura. Non seulement le pays est dépourvu de gouvernement en pleine fonction, mais de plus, face à l’affaiblissement de toutes les institutions étatiques, les incidents sécuritaires se multiplient, du Nord à la Békaa et même au centre. Les Libanais auraient pu, à la limite, ne pas y attacher trop d’importance, tant ils sont assommés par le poids de la crise sociale et économique. Mais de nombreuses déclarations, ces dernières semaines, sont venues alimenter la crainte d’affrontements plus graves sur fond d’affaiblissement dramatique de l’État.
Cela avait commencé lors de la visite du ministre français des Affaires étrangères en juillet, lorsque Jean Yves Le Drian avait déclaré à ses interlocuteurs libanais que la situation est grave, à tous les niveaux. Ensuite, après la tragique explosion du port le 4 août, Emmanuel Macron avait lui-même déclaré que l’alternative à l’initiative française et à la formation rapide d’un « gouvernement de mission », c’est le retour de la guerre civile. Le président français l’a d’ailleurs répété lors de la conférence de presse qu’il a consacrée à la situation libanaise le 27 septembre. L’idée a été reprise par le chef du courant du Futur Saad Hariri, lors de son entretien télévisé jeudi dernier. Et enfin, lundi soir, dans un entretien télévisé, le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, a laissé entendre que le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, se sentait assez fort pour combattre le Hezbollah. L’idée aurait pu rester vague, sans connotation militaire, dans le sens du projet politique d’isoler le Hezbollah et de l’affaiblir pour réduire son influence sur les institutions publiques libanaises, si les Forces libanaises n’avaient pas, ces derniers temps, fait étalage de leur force. Elles ont en effet organisé un défilé impressionnant à Gemmayzé pour la commémoration de l’assassinat de l’ancien président Bachir Gemayel, le 14 septembre. Puis il y a eu, le soir-même, de violents accrochages entre des partisans FL et CPL devant le siège du parti aouniste à Mirna Chalouhi. Le CPL avait alors dénoncé une provocation alors que le chef des FL avait déclaré qu’il s’agissait d’un incident sans conséquence, de ceux qui peuvent éclater entre des frères.
Mais dans les milieux du CPL, on a tendance à y voir un avertissement sur le fait qu’en cas d’affaiblissement dramatique de l’État, les FL sont en mesure de reprendre le contrôle des « régions Est » (selon la terminologie adoptée pendant les années de guerre civile). Simultanément à la déclaration de Joumblatt, certains médias sont allés encore plus loin en donnant des détails sur une réorganisation militaire des Forces libanaises en prélude à la fameuse guerre civile qui attendrait le Liban si l’État et ses institutions continuent leur processus de chute libre.
En même temps, des incidents sécuritaires se sont multipliés, dans plusieurs régions, à Khaldé, à Tarik Jdidé et à Baalbeck-Hermel. Plus grave encore, la bataille en bonne et due forme qui s’est déroulée dans le nord du pays, opposant l’armée libanaise à des cellules de Daech. À ce sujet, il faut préciser que cette bataille, qui a commencé dans la foulée de la tuerie de Kaftoun, a duré plusieurs jours, des soldats et officiers de l’armée y sont tombés, mais elle a finalement abouti au démantèlement d’une cellule importante de Daech. Alors qu’habituellement les cellules de Daech, ou de ses semblables, sont composées d’au maximum 5 personnes, pour pouvoir être mobiles et se fondre plus facilement dans l’environnement populaire, celle-ci était formée de 32 personnes. Elle possédait des armes sophistiquées et disposait d’un plan de déstabilisation du pays à volets multiples, qui consistait à attaquer des lieux saints chrétiens et chiites, pour préparer le terrain à une discorde entre eux. Ensuite, des attaques contre des positions de l’armée étaient prévues pour paralyser cette dernière et l’empêcher de s’interposer entre les chiites et les chrétiens. Le chef de la cellule a été tué lors des affrontements mais un de ses adjoints est actuellement entre les mains de l’armée. Selon ses révélations, la cellule avait même planifié de lancer une attaque spectaculaire lors de la visite d’une personnalité importante au Liban, mais pour des raisons logistiques, cette idée a été abandonnée.
Tous ces éléments mis bout à bout incitent certains à penser que le Liban serait à la veille de développements encore plus dramatiques que ceux qu’il a déjà vécus.
Mais des sources sécuritaires bien informées affirment qu’il n’y a pas de véritable risque, actuellement, d’éclatement d’une nouvelle guerre civile au Liban. Selon ces sources, un tel projet exige, pour prendre forme, une décision internationale et un financement. Or, jusqu’à présent, rien n’indique qu’une telle décision internationale existe. Au contraire, l’initiative française montre qu’il y a une volonté internationale d’aider le Liban et d’empêcher son effondrement total. De même, il n’y a pas de financement extérieur pour alimenter une guerre civile au Liban. Daech et quelques groupes ont certes des moyens financiers, mais ce sont les leurs propres. Ces organisations ne bénéficient pas du soutien d’un État extérieur pour leur projet de déstabilisation du Liban. De plus, le fait que l’armée et les FSI (en particulier leurs services de renseignements), aient mené la bataille contre la cellule de Daech jusqu’à son démantèlement total, montre que la déstabilisation du pays reste une ligne rouge.
Toujours selon les mêmes sources, les rapports de forces internes, dans le pays, sont en outre différents de ceux qui existaient en 1975, lors du déclenchement de la guerre civile. L’armée et les FSI continuent de bénéficier d’une couverture globale, même si en raison de l’effondrement de la livre par rapport au dollar américain, les salaires de leurs membres ont été dramatiquement réduits. Mais cela n’influe pas sur leur motivation ni sur leur détermination. L’armée libanaise d’aujourd’hui ne se divisera pas en brigades confessionnelles comme ce fut le cas dans le passé. Elle reste la garante de l’unité du pays. Enfin, le Hezbollah, avec l’expérience qu’il a acquise, est certainement une force avec laquelle il faut compter. Pour toutes ces raisons, il n’y a pas de risque d’une nouvelle guerre civile, estiment les sources sécuritaires précitées. Par contre, cela ne signifie pas que toutes les parties peuvent se livrer à leur activité favorite, la division et les insultes. Elles doivent donc assumer leurs responsabilités non seulement par rapport aux Libanais mais aussi par rapport à leur patrie. Plus elles sont divisées et plus les brèches sécuritaires peuvent se multiplier.
C’est dans un climat de crise interne sans précédent que le Liban a entamé hier les négociations techniques sur le tracé des frontières maritimes à Naqoura. Non seulement le pays est dépourvu de gouvernement en pleine fonction, mais de plus, face à l’affaiblissement de toutes les institutions étatiques, les incidents sécuritaires se multiplient, du Nord à la Békaa et même au...
commentaires (6)
La guerre civile est voulue et encouragée par les américanosionistes dont le seul but est d'anéantir le Liban afin de pomper les richesses qui nous restent .
Chucri Abboud
13 h 17, le 15 octobre 2020