Un compte-rendu daté du 17 septembre dernier et établi par la Commission spéciale d’investigation (CSI) a fuité hier dans les milieux bancaires et sur les réseaux sociaux. Le document est signé par le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, et serait authentique, selon deux sources travaillant dans le secteur bancaire (la CSI n’était pas joignable et la BDL n’a pas réagi). La CSI y indique que selon des informations remontées par 31 banques établies au Liban, pas moins de 52 252 530 dollars ont été transférés à l’étranger, au cours de la période allant du 17 octobre au 31 décembre 2019, depuis 228 comptes appartenant à des personnes politiquement exposées (PEP) – dont le nombre n’a pas été précisé.
Les banques avaient été appelées par la CSI – que la loi habilite à lever le secret bancaire dans certains cas strictement définis – à transmettre leurs données en janvier dernier, alors que le pays en était à son troisième mois de contestation depuis le soulèvement populaire du 17 octobre 2019. Un mouvement qui avait brusquement démarré en plein contexte de crise économique et financière.
Balayage étroit ?
La CSI précise dans son compte-rendu que la première réponse adressée par les banques tablait sur 160 441 534 dollars transférés sur cette période, un montant ajusté à 52 millions en raison de plusieurs facteurs, dont une erreur technique de référencement : le fait que les banques aient retenu des PEP étrangers ou encore qu’elles aient répertorié les mouvements d’argent vers le Liban dans leurs calculs. Le compte-rendu fait également état d’une demande d’information similaire adressée aux banques pour la période allant du 1er janvier au 15 juillet derniers, sans toutefois fournir de données.
Les Libanais subissent depuis un an d’importantes restrictions bancaires toujours non entérinées par le Parlement, qui ont surtout affecté les transferts à l’étranger et les retraits de devises, en plein contexte de crise de liquidités. Ce verrouillage n’a apparemment pas empêché des politiques libanais de faire sortir une partie de leur argent du pays, soit avec la bénédiction de leur banque, soit après avoir fait pression sur celle-ci, selon plusieurs témoignages concordants. « Le problème n’est pas tant que les banques aient accepté les transferts, le problème c’est qu’elles refusaient en même temps les demandes de déposants ordinaires », confie un banquier sous couvert d’anonymat.
Le fait que la Commission d’investigation ait effectivement identifié des transferts vers l’étranger effectués par des politiciens est une bonne nouvelle, le montant avancé reste cependant incroyablement modeste par rapport aux estimations globales effectuées au cours des derniers mois. En juillet, l’ancien directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani, avait par exemple estimé à près de six milliards de dollars les transferts divers effectués depuis octobre 2019 en infraction des restrictions bancaires.
Un décalage qu’une autre source proche du dossier explique par le balayage trop étroit demandé par la CSI. « À considérer que le document est authentique, l’institution ne semble s’être basée que sur les comptes en noms propres, en oubliant tous les moyens détournés (fiducies, prête-noms, transferts effectués via le compte d’un parent, d’un proche ou d’un associé, etc.) qui existent pour transférer de l’argent. Il faudrait plus de détails sur les consignes de recherche qui ont été données aux banques pour pouvoir tirer une quelconque conclusion définitive sur le chiffre avancé par la CSI », ajoute cette source.
Audit de la BDL
Hasard du calendrier, la fuite de ce document se télescope avec un autre petit événement. La BDL a en effet indiqué dans un communiqué hier avoir transmis au « représentant du gouvernement » les pièces et documents demandés par la société internationale Alvarez & Marsal, qui doit effectuer le volet juricomptable (forensic) de l’audit des comptes de la banque centrale.
Spécialiste de la restructuration, Alvarez & Marsal a été mandaté le 1er septembre pour participer à l’audit juricomptable qui doit en principe permettre de retracer l’historique des transactions qui ont impliqué la BDL. L’exécutif a également engagé les cabinets KPMG pour le volet comptable ainsi que le spécialiste des banques centrales Oliver Wyman.
Alvarez & Marsal avait rapidement transmis sa demande d’information à la BDL. Si une source proche du dossier avait anticipé une réponse de la BDL la semaine dernière, l’intéressée l’a finalement annoncée jeudi dernier à l’issue d’une réunion entre une délégation de l’auditeur alors en visite à Beyrouth et Riad Salamé.
L’audit de la BDL, dont les réserves de devises sont au plus bas et qui affiche une ardoise significative vis-à-vis du secteur bancaire libanais, fait partie des réformes les plus urgentes réclamées par les soutiens du pays – dont la France – et le Fonds monétaire international. Le fait qu’il débouche sur un résultat tangible est toutefois loin d’être acquis, la BDL pouvant en effet se réfugier derrière la loi de 1956 sur le secret bancaire pour refuser de fournir certains documents.
Le montant annoncé est ridicule, multipliez le par 100, et là on se rapprocherait de la réalité. Pour donner un ordre de grandeur, 50 millions c'est ce que le sous fifre lambda a pu ramasser, pour les gros bonnets ca se chiffre en milliards.
16 h 04, le 14 octobre 2020