
De gauche à droite : les anciens Premiers ministres libanais Tammam Salam, Fouad Siniora, Nagib Mikati et Saad Hariri. Photo d’archives ANI
Comme si les obstacles à la formation du gouvernement n’étaient pas assez nombreux, le discours du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, mercredi soir, en a encore plus compliqué l’échéance, qui se retrouve de facto retardée de plusieurs semaines au moins. Alors que, suivant les informations obtenues hier, aucun délai pour les consultations parlementaires contraignantes n’a été fixé par le palais de Baabda, plusieurs sources concordantes s’accordent à dire que le pays est entré dans une ère d’immobilisme qui devrait durer jusqu’à l’élection présidentielle américaine ou du moins jusqu’à la mi-octobre, lorsqu’il y aura un peu plus de visibilité à ce sujet. Certains voient dans un éventuel changement de locataire à la Maison-Blanche une occasion de modification de la politique américaine envers l’Iran et ses alliés dans la région. Dans ce cadre, l’initiative française, lancée par le président Emmanuel Macron au lendemain de la tragédie du 4 août à Beyrouth, se trouve dans une impasse ou est du moins « mise en veilleuse », comme le note un observateur. Dans son discours de réponse à Emmanuel Macron mercredi, Hassan Nasrallah a, il est vrai, gardé la porte ouverte aux contacts avec les Français, mais il a également fait preuve d’intransigeance par rapport aux revendications du tandem Hezbollah-Amal, principalement son attachement au ministère des Finances et à la nomination de tous les ministres de la communauté chiite. Ce qui est contraire à l’initiative française qui visait à la formation d’un gouvernement de « mission » composé d’indépendants.
Des observateurs avertis pensent que par ce discours, Hassan Nasrallah semble affirmer qu’il tient à l’initiative française… mais à ses conditions. Selon eux, le secrétaire général du Hezbollah n’aurait pas intérêt à faciliter la tâche aux Français sans avoir des avantages en contrepartie, et avant de connaître l’issue de la présidentielle américaine. Certains parlent de nouvelles formules de gouvernement qui pourraient être mises sur le tapis, notamment celle évoquée récemment par l’ancien Premier ministre Nagib Mikati et qui était à la base préconisée par le tandem chiite : un cabinet formé de six ministres d’État affiliés aux six forces politiques principales, avec 14 ministres indépendants et spécialistes. Mais rien de concret pour l’instant.
Dans son discours, le secrétaire général du Hezbollah a donné au blocage dans la formation du gouvernement une dimension double, communautaire interne et politique régionale, en faisant assumer aux anciens chefs de gouvernement sunnites la responsabilité de l’échec du Premier ministre désigné Moustapha Adib. Les anciens Premiers ministres Saad Hariri, Najib Mikati, Fouad Siniora et Tammam Salam ont rétorqué hier, dénonçant ce qu’ils considèrent comme des « contre-vérités ». « Il est regrettable que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, se soit autant écarté de la vérité dans sa description des efforts du Premier ministre désigné Moustapha Adib pour former un cabinet de sauvetage et des raisons qui ont conduit à son échec », peut-on lire dans leur communiqué. « Le club des quatre anciens Premiers ministres, tel que l’a nommé Hassan Nasrallah, ne formait pas le gouvernement pour le compte de M. Adib et n’a imposé aucun nom ou portefeuille », affirment-ils. « Son rôle s’est borné à assurer une couverture transparente et claire à ce sur quoi se sont entendus les blocs parlementaires à la Résidence des Pins (lors de la visite d’Emmanuel Macron le 1er septembre dernier) », ajoutent les anciens PM.
Réunions prévues à Bkerké
Dans cet immobilisme ambiant et alors que le pays s’enfonce dans la crise économique et financière, une activité se profile du côté de Bkerké. Le patriarche maronite a convié aujourd’hui les députés démissionnaires à une rencontre au siège du patriarcat, et demain vendredi, un groupe plus élargi de députés maronites, selon les informations disponibles. L’idée de telles rencontres a émané, entre autres, du président de la Ligue maronite, l’ancien député Neemtallah Abi Nasr. « Il est normal que le patriarche veuille discuter avec les responsables maronites de l’état dans lequel se trouve le pays et du rôle de la communauté », indique-t-il à L’Orient-Le Jour, déclarant que les informations parues dans la presse sur l’intention du prélat de leur demander de démissionner ne sont pas vérifiées. « Il faut discuter de la place des chrétiens dans le pays, alors que les appels à changer le système se multiplient, poursuit-il. Pour moi, si l’on arrive à l’échec du Grand Liban, c’est toute l’idée de la coexistence entre communautés religieuses différentes, dans un pays indépendant et souverain, qui tombera avec lui. Et ce sera très grave non seulement pour le Liban, mais pour le monde. » La rencontre devrait ainsi s’articuler autour des différents sujets qui font polémique, dont notamment une éventuelle révision du système libanais, réclamée par des dignitaires chiites et à laquelle le patriarche avait réagi en affirmant qu’elle est envisageable à partir du moment où il n’y aura plus d’armes illégales au Liban. La neutralité et la mobilisation des différentes factions chrétiennes autour de ce principe devraient être également soulevées. M. Abi Nasr plaide pour que soit mis un terme aux ingérences et aux influences étrangères d’où qu’elles viennent, sans quoi la protection du pays est largement compromise.
Comment le Liban, pays soi-disant indépendant et souverain, peut-il accepter qu'un simple chef de parti (iranien en plus) dicte ses conditions en tout ? Quels justificatifs nos dirigeants peuvent-ils donner que le "Grand Liban" qui fête ses 100 ans est occupé par une milice financée et armée par l'Iran ? - Irène Saïd
17 h 39, le 01 octobre 2020