À quelques jours du centenaire de la proclamation du Grand Liban (1er septembre 1920), comment évaluer la campagne que mène en ce moment le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, en faveur de la « neutralité active » du Liban ? S’inscrit-elle dans le prolongement de la proclamation constitutive de 1920 ? Ce qui ne fait pas de doute, c’est qu’aux yeux du patriarcat, la bataille pour une « neutralité positive » est livrée comme un combat pour l’existence même du Liban et de sa vocation historique, telle qu’elle s’est manifestée en 1920, quand le patriarche maronite Élias Hoayek a manifesté la volonté de vivre en commun et d’indépendance de cette partie de l’Empire ottoman, affirmant que son identité profonde était « libanaise », et que les identités confessionnelles n’étaient que les composantes de son tissu social.
Dans un mémorandum récent, le patriarche Raï a en outre montré qu’à l’exception de l’hostilité à l’État d’Israël, tout écart d’une ligne médiane qui alignerait le Liban sur une cause extrinsèque (la cause panarabe en 1958, la cause de la résistance palestinienne après 1967 ou la cause de la révolution islamique en Iran, en 1979) déstabilise le pays et pose un défi à son unité.
« Il se peut que la neutralité du Liban, comme un régime constitutionnel, n’était pas présente à l’esprit des fondateurs de l’État du Grand Liban, reconnaît le mémorandum. Cependant, elle était présente comme politique de défense et de relations étrangères que cette nouvelle et petite entité politique devrait suivre afin d’affirmer son existence, et de préserver son indépendance, son unité et son identité. Lors de la rédaction de la Constitution libanaise en 1926, le haut-commissaire français Henri de Jouvenel a demandé à son gouvernement de lui envoyer une copie de la Constitution suisse, du fait qu’il l’a trouvée adéquate pour la Constitution de la société libanaise. »
« Cette tendance, poursuit le mémorandum, a été confirmée en 1943, quand le gouvernement de l’indépendance a déclaré que le Liban s’engageait pour la neutralité entre l’Orient et l’Occident, et a confirmé cela en 1945 lors de la rédaction de la Charte de la ligue des pays arabes, qui a stipulé que les décisions de la ligue ne seraient pas contraignantes, même celles prises à l’unanimité. » Les travaux préparatoires ainsi que les interventions dans le contexte du développement de cette charte ont insisté sur le fait que « le Liban est un État de soutien, non de confrontation ». Cela visait à faire du pays « un facteur de solidarité entre les Arabes, non un facteur de division et de conflits interarabes, ou de défection par rapport à la solidarité arabe pour l’intérêt des stratégies qui serviraient des régimes étrangers et non l’intérêt arabe commun ». C’est donc bien un retour à cette « neutralité » fondatrice que prône la campagne actuelle du patriarche maronite, conclut le mémorandum.
Pleine adhésion
Le président du Comité national pour le dialogue, Mohammad Sammak, proche du mufti de la République et de l’ancien Premier ministre Saad Hariri, adhère pleinement à cette vision. Pour M. Sammak, le patriarche cherche « à accomplir la mission historique » qui a présidé à la création du Grand Liban, celle « du vivre ensemble ». Pour M. Sammak, « le patriarche Hoayek a planté un cèdre dans cette terre d’Orient, que des mains cherchent à déraciner. Ce cèdre aurait pu devenir toute une cédraie, si on avait su le cultiver. Mais malgré tout, cette mission est sacrée et il est nécessaire de préserver la formule qui a présidé à la naissance du Liban ». Et d’ajouter que le mufti de la République est « en parfaite symbiose avec le patriarche maronite dans sa défense de la neutralité du Liban » et le lui a exprimé au téléphone à plus d’une reprise, appréciant en particulier les deux thèmes de la neutralité et de l’attachement à la Constitution, dont il estime que s’écarte en ce moment le chef de l’État.
Ce point de vue est partagé par une très large majorité du courant sunnite modéré, majoritaire au Liban, et auquel adhère l’ancien Premier ministre Saad Hariri. Pour Mohammad Nokkari, ancien secrétaire général de Dar el-Fatwa, « ce point de vue est celui de 99 % des musulmans libanais ». Il s’agit certes d’une école politique fondée par Rafic Hariri, mais c’est aussi, d’une certaine manière, l’école politique du pape Jean-Paul II, qui a fait de la convivialité la vocation historique spirituelle du Liban, sa contribution originale – et presque unique – à « la civilisation de l’amour », en affirmant qu’il est « plus qu’un pays, un message de pluralisme et de liberté pour l’Orient et l’Occident ».
Après l’assassinat de Rafic Hariri, le courant du Futur adoptera pour slogan « Liban d’abord », une formule qui peut s’interpréter comme une priorité accordée, sur le plan interne, à l’unité nationale et, sur le plan externe, au non-alignement. Un non-alignement que cheikh Mohammad Nokkari attribue « à l’amère leçon de la guerre civile, qui nous a fait revenir à notre libanité ».
Libanité et neutralité
C’est de cette « libanité », qui équivaut à la « neutralité » dans la bouche de Mohammad Nokkari, que la communauté chiite, prise en otage par le Hezbollah, s’est, selon lui, écartée après la mort du cheikh Mohammad Mehdi Chamseddine, ancien président du Conseil supérieur chiite. Ce dernier avait expressément plaidé en faveur d’une intégration totale de la communauté chiite dans le paysage national libanais, plutôt que dans l’allégeance à l’idéologie religieuse iranienne, comme c’est le cas aujourd’hui. Il va de soi, et le Hezbollah l’a indirectement affirmé à plusieurs reprises par la bouche de ses députés ou du cheikh Naïm Kassem, son numéro deux, que la campagne du patriarche maronite en faveur de la neutralité du Liban est perçue comme dirigé contre ses principes politiques et son action. Ce ressentiment est d’autant plus profond que le Hezbollah, tel que l’assurent les exégètes de ce parti, est « plus qu’un parti, un projet de société, et même un projet d’État islamique ».
Cette discordance chiffonne en particulier la nonciature apostolique, qui semble avoir été prise de court par la campagne patriarcale, qui s’est faite sans concertation préalable avec le Vatican et a exprimé un ras-le-bol général parmi les évêques maronites et une bonne partie de la société. Le nonce, Mgr Joseph Spiteri, aurait souhaité que cette campagne soit faite « non au nom des chrétiens, mais au nom de tous les Libanais », assure un historien qui souhaite garder l’anonymat. Le nonce peut se féliciter cependant que la demande émane de deux grandes composantes chrétienne et sunnite de la société libanaise.
« Une campagne maladroitement lancée »
Pour un essayiste comme le Pr Antoine Courban, « la campagne en faveur de la neutralité, juste et méritoire en soi, a été maladroitement lancée ; elle a besoin d’un projet cohérent afin de pouvoir s’intégrer éventuellement dans une stratégie internationale ».
Pour l’historienne Carla Eddé, vice-recteure de l’USJ aux Affaires internationales, une lecture attentive de l’histoire montre que le Liban n’a jamais vraiment été neutre dans ses choix géopolitiques. Toutefois, en comparant la période historique de 1920 et celle d’aujourd’hui, on ne peut pas s’empêcher, dit-elle, de constater que « les règles du jeu étaient alors plus claires et il y avait moins d’acteurs ». Aujourd’hui, ajoute-t-elle, « les frontières entre les conflits sont beaucoup plus poreuses », ainsi que les frontières « entre ingérence et protection ». Cela dit, affirme Carla Eddé, « l’histoire n’est pas un déterminisme, et si l’on n’a jamais été neutre, ça ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit de l’être aujourd’hui ».
« Ce sur quoi il ne faut pas transiger, conclut-elle, c’est le pluralisme, le respect de la diversité des opinions et le maintien du Liban. »
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Le jour où le Liban émettrait son envie d’une confédération, vous pouvez être sûr que le premier qui s’opposera au projet sera HN. Parce que sans les recettes récoltées des autres libanais pour nourrir ses partisans, les éclairer et les soigner, ils se rendront vite compte que le financier de leur vie aussi misérable soit elle n’était autre que ces libanais qui payaient l’eau l’électricité, impôts et autres infrastructures dont ils bénéficient sans avoir à mettre la main dans la poche. Et on ne tue pas la poule aux œufs d’or. Ce que HN veut, c’est le beurre, l’argent du beurre et la crémière. Cependant il ne sait pas que si par malheur il arrive à prendre le pouvoir officiellement, le pays sera déserté d’abord par les chrétiens puis par tous les investisseurs, élites libanaises et grosses fortunes et il se retrouvera à continuer à faire la guerre pour pouvoir exploiter le gisement de l’or gris ou noir qui se transformera en rouge car Israël ne le laissera pas un mètre carré à exploiter. Son bouclier parti, HN devrait affronter Israël qui se donnerait à cœur joie pour faire de ce pays son terrain de jeux favori et inversera les jeux de rôles. HN privé de son bouclier de jadis, devrait affronter son ennemie de toujours seul avec ses partisans qui serviront de martyrs pour sa gloire imaginaire car cela ressemblera à la cause palestinienne en pire.
Sissi zayyat
12 h 04, le 28 août 2020