
Deux députés libanais au palais de l'Unesco, lors d'une séance du Parlement, le 30 septembre 2020. Photo Nabil Ismail
Le président du Parlement libanais, Nabih Berry, a décidé mercredi soir de reporter au 20 octobre prochain la séance parlementaire qui avait débuté dans la matinée au palais de l'Unesco, le quorum pour la séance nocturne n'ayant pas été atteint faute d'accord politique sur le texte controversé de l'amnistie générale.
Placé dans le cadre d’un objectif de désengorgement des prisons alors que le Covid-19 se propage dans le milieu carcéral, mais survenant à un moment où les opérations jihadistes se sont multipliées, ce texte prévoyait la relaxe de près d’un millier d’islamistes sunnites et de plusieurs milliers de détenus chiites, auxquels s’ajoutent la cohorte de prévenus faisant l’objet de mandats d’arrêt dans le cadre d’affaires liées à la culture ou la vente de drogue.
"Je regrette la tournure que nous adoptons tous. Je ne m'acquitte pas et je n'acquitte aucun de vous. Tout le Parlement est responsable", a déclaré M. Berry au sujet des débats autour de la loi d’amnistie, avant de lever la séance. "Je ne dis pas que je souhaite que des détenus liés à telle ou telle personne sortent de prison et il n'est pas demandé de faire sortir des trafiquants de drogue, a-t-il ajouté. La prison de Roumieh qui peut accueillir 1.200 personnes en accueille 4.400". "Devons-nous abandonner les prisonniers à leur sort ? Cette proposition de loi n'est pas un texte sacré et elle peut être amendée comme n'importe quelle autre loi", a encore dit le président de la Chambre. "Nous devons réduire le nombre de détenus (en prison). Il n'est absolument pas demandé de libérer des dealers de drogue ou d'autres personnes condamnées pour terrorisme", a insisté M. Berry. Il a enfin annoncé que la prochaine séance aura lieu le 20 octobre prochain, avant qu'il ne lève la séance qui aurait dû s'étendre jusqu'à jeudi pour examiner les textes prévus à l'ordre du jour.
La commission parlementaire formée dans la journée pour trouver un consensus autour de ce texte controversé, qui s'était réunie avant la reprise de la séance parlementaire, était en faveur d'un report. Cette commission, composée des députés Elie Ferzli, vice-président du Parlement, Ali Hassan Khalil (Amal), Ibrahim Moussaoui (Hezbollah), Hadi Hobeiche (Futur), Alain Aoun (Courant patriotique libre), Bilal Abdallah (parti joumblattiste) et Jamil Sayyed, est appelé à poursuivre ses efforts pour trouver un terrain d'entente.
Dans la matinée, quelques dizaines de proches de détenus ont manifesté devant le palais de l'Unesco afin de réclamer l'adoption d'une loi d'amnistie générale. Une contre-manifestation rassemblant des vétérans de l'armée libanaise appelant les députés à rejeter la loi d'amnistie générale a également été organisée. Un autre sit-in de proches de détenus de la prison de Roumieh a eu lieu à Tripoli, au Liban-nord, coupant la route devant le sérail de la ville. Dans une vidéo tournée avant le début de la séance du Parlement qui circule sur les réseaux sociaux, des détenus incarcérés dans cette prison surpeuplée menacent de se suicider si une loi d'amnistie n'était pas votée.
Enrichissement illicite et dollar étudiant
Lors de la séance matinale, les députés ont voté plusieurs lois, dont le texte sur l'enrichissement illicite après avoir voté sur chaque point de ce texte et apporté plusieurs amendements, mais une certaine confusion sur la portée de la loi persiste. Ce texte fait de l'enrichissement illicite un crime de droit commun. Ceci permettrait de contourner l'obstacle de l'immunité. Le premier article de la loi, qui définit les responsables concernés par ce texte, ne fait pas explicitement mention des ministres ou des députés, mais des personnes "occupant des fonctions au sein des autorités constitutionnelles, à savoir toutes les fonctions dans les domaines législatif, judiciaire, exécutif, administratif, militaire, financier, sécuritaire ou consultatif". Sur Twitter, le député Ibrahim Kanaan (Courant patriotique libre) a précisé que le texte voté "ne fait pas d'exception pour les ministres, les députés ou les fonctionnaires" et a confirmé que l'enrichissement illicite est considéré comme un crime de droit commun pouvant être traité par la justice ordinaire et auquel l'immunité ne s'applique pas. Il a accompagné son message du mot-clé "Pas d'immunité pour quiconque". Une version confirmée par le chef du CPL, Gebran Bassil, qui a salué "une réalisation du bloc du 'Liban fort' dans le cadre de la reddition des comptes de tous les responsables publics". "C'est au tour des lois sur la levée du secret bancaire et patrimonial, la restitution des fonds volés et du tribunal pour les crimes financiers. Cela vaut la peine de nous unir, rue et Parlement", a-t-il ajouté. Néanmoins, signe de la confusion qui persiste au sujet de l'immunité, le président de la Chambre s'est engagé lors des débats sur le texte à œuvrer pour la levée de l'immunité de "tous les responsables". "Je suis prêt à tenir une séance, le plus tôt possible, pour modifier la Constitution et lever l'immunité de tous", a-t-il affirmé.
La Chambre a également adopté le texte de loi instituant le "dollar étudiant", réclamé depuis plusieurs semaines par les associations représentatives des parents des étudiants à l'étranger sur fond de restrictions bancaires illégales instituées au Liban depuis plusieurs mois. Le texte de loi, déposé par plusieurs députés du Hezbollah, prévoit d’obliger les banques à autoriser le transfert d’un montant annuel de 10 000 dollars sur la base d’un taux de 1 515 livres libanaises pour un dollar à tout étudiant inscrit à l’étranger pour l’année 2020-2021.
Le Parlement a également adopté une proposition de loi consacrée à la protection des quartiers sinistrés par l'explosion du port du 4 août dernier. Ce texte comprend notamment le gel pendant deux ans des ventes de bâtiments se trouvant dans ces régions, l'ouverture d'un crédit de 1.500 milliards de livres libanaises pour l'indemnisation des familles et de sociétés, la couverture santé des familles des victimes et des blessés ainsi que la protection des bâtiments historiques.
Les députés ont également voté un amendement consacrant le droit de toute personne détenue à avoir droit à un avocat lors des enquêtes préliminaires. Nabih Berry a déclaré qu'il s'agit de l'un des points "les plus importants" inscrits à l'ordre du jour. Les députés ont également approuvé un amendement sur le texte d'une convention signée par le Liban avec la Banque mondiale pour des projets de construction de routes, le texte d'une convention mixte autour de la gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, ainsi qu'un protocole sur une convention de partenariat entre le Liban et l'Union européenne. Les députés ont aussi adopté la révision du code de l’eau.
La proposition de loi à caractère de double urgence sur l'ouverture d'un crédit de 300 milliards de LL dans le budget 2020 au profit des écoles privées et publiques a, elle, été renvoyée, tout comme le texte sur la formation à distance dans l'enseignement universitaire qui, lui, a été renvoyé à la commission de l’Éducation.
Etaient également inscrits à l'ordre du jour de la séance prévue aujourd'hui et qui devait se poursuivre jeudi, un texte de loi sur la levée du secret bancaire, une proposition de loi revêtue du caractère de double urgence sur la création d'une caisse temporaire d'allocation chômage, ainsi qu'une proposition de loi à caractère de double urgence sur le paiement des crédits en livres libanaises.
L'Assemblée se réunit au palais de l'Unesco, dans le sud de Beyrouth, en raison de la pandémie de coronavirus (ce bâtiment permettant une meilleure distanciation sociale entre les députés), et des importants dégâts au siège du Parlement, dans le centre-ville, sévèrement endommagé par la double explosion du port.
Prenez votre temps. Entre le covid et les suicides,le probleme de la surpopulation carcerale sera resolu
23 h 30, le 30 septembre 2020