« Et maintenant on va où ? » Ce titre d’un film de la réalisatrice libanaise Nadine Labaki résume bien la situation politique aujourd'hui au Liban après la récusation -quoique attendue - du Premier ministre désigné, Moustapha Adib, depuis Baabda, samedi. D’autant que cette décision semble tenir du véritable saut dans l’inconnu. Voire même d'une autoroute vers « l'enfer », pour reprendre la réponse du président Michel Aoun à une question d'une journaliste, en début de semaine, sur les conséquences d'un échec, par M. Adib, au niveau de la formation d'un nouveau gouvernement.
Avec le retrait de Moustapha Adib, annoncé samedi à Baabda, que reste-t-il de l’initiative française en faveur du Liban ? Dénonçant, dans des termes particulièrement forts, une « trahison collective de la part des partis libanais », l’entourage du président Macron a toutefois assuré que cette initiative -principalement axée sur la mise en place d’un gouvernement « de mission » - est toujours d'actualité. Emmanuel Macron se prononcera à ce sujet lors d’une conférence de presse dimanche à 19 heures (heure de Beyrouth). L'on devrait alors y voir plus clair.
La décision de M. Adib, 26 jours après sa désignation, de jeter l’éponge n’est pas une surprise : à l’issue de son entretien avec le président Aoun, le 17 septembre, il était déjà sur le point de faire cette annonce. C'est sous la pression, probablement française, qu'il y avait, alors, renoncé. Près d’une dizaine de jours plus tard, et alors que les points de crispations se multipliaient, Moustapha Adib, fort de l’appui d’Emmanuel Macron, et attaché à l’initiative française en faveur du Liban, a finalement décidé de se récuser, plutôt que de céder aux desiderata du tandem Amal-Hezbollah. Le tandem chiite, qui s’était engagé, lors de la rencontre élargie des chefs de file politiques avec M. Macron, le 1er septembre, à faciliter la formation d’un nouveau cabinet, n’a en effet pas tenu ses promesses. Loin de là. Il a sciemment compliqué la tâche de Moustapha Adib, pour des raisons liées tant à l’habituelle politique politicienne qu’à « des calculs extérieurs », comme l’avait déclaré vendredi à L’Orient-Le Jour le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt.
C’est ce qui ressort des propos tenus par le Premier ministre désigné lors de l'annonce de sa récusation. « Lorsque le processus a atteint ses étapes finales, il s’est avéré que l’accord sur la base duquel j’avais accepté cette mission ne tenait plus », a-t-il lancé. Il décochait ainsi ses flèches en direction du tandem chiite qui, en opposition à l’initiative française, insistait pour nommer le ministre des Finances, mais aussi tous les ministres chiites au sein du futur cabinet. Pour sa part, Moustapha Adib se montrait déterminé à user de son droit constitutionnel de choisir les membres de son équipe. Ce différend, le leader du courant du Futur, Saad Hariri, a tenté de le régler en faisant une concession et en acceptant que la communauté chiite conserve le portefeuille des Finances, pour ce gouvernement, à condition que le chef du gouvernement désigné nomme le ministre. La balle n'a pas été saisie par les deux formations chiites majoritaires, qui ont continué de faire monter les enchères, poussant M. Adib à rendre son tablier.
Mutisme et attentisme
Avec le départ de M. Adib, c’est une nouvelle phase, particulièrement floue, qui débute en attendant d’y voir un peu plus clair. Cela est notamment le cas de la présidence de la République où l’on assure attendre les réactions des protagonistes au retrait de M. Adib, avant de décider de la prochaine étape. Samedi, le président s'est contenté de dire qu'il avait accepté la démission de Moustapha Adib et qu'il prendrait "les mesures nécessaires prévues par la Constitution".
Le même attentisme se fait sentir du côté de Aïn el-Tiné où l’on fait assumer à Moustapha Adib la responsabilité de l’impasse actuelle, dans la mesure où il a insisté à se récuser en dépit des efforts menés par le président de la Chambre, Nabih Berry, en coordination avec le chef du PSP, Walid Joumblatt, croit savoir une source berryste. Désormais, les milieux berrystes renvoient la balle de la prochaine phase aussi bien à Baabda qu’aux quatre anciens Premiers ministres sunnites. « Quel que soit le sort de l’initiative française, le chef de l’Etat devrait convoquer aux consultations parlementaires contraignantes afin de nommer un nouveau chef de gouvernement », indique la source berryste, tout en confiant que les regards sont braqués sur les quatre ex-chefs du gouvernement. Les milieux de Aïn el-Tiné laissent ainsi entendre que le chef du législatif serait favorable à toute personnalité que nommeraient Saad Hariri, Fouad Siniora, Nagib Mikati et Tammam Salam, dans la mesure où elle bénéficierait de la couverture sunnite requise pour mettre en place une nouvelle équipe.
Mais les anciens Premiers ministres semblent ne pas vouloir se prononcer sur ce sujet, du moins dans un proche avenir. « Le problème ne porte pas sur la personne du chef du gouvernement », explique à L’OLJ Fouad Siniora. « Le problème fondamental réside dans le fait qu’une partie bien définie n’en finit pas de commettre des atteintes à la Constitution et d’exécuter les agendas extérieurs ». Une allusion claire aux formations chiites, M. Siniora laissant entendre que ce tandem applique l’agenda de Téhéran pour retarder la mise sur pied du cabinet en attendant les résultats de la présidentielle américaine, début novembre. Soulignant que le débat ne devrait pas être articulé autour du prochain candidat à la présidence du Conseil, Fouad Siniora assure, en outre, qu’« il n’est pas question d’un retour de Saad Hariri au Sérail, du moins pour le moment ».
Autant de commentaires qui, venant des deux camps, laissent à penser que le Liban est de retour à la case zéro, alors qu'il n'en a plus du tout le luxe. Suite à l'annonce de M. Adib, comme un symbole des affres qui attendent le Liban -empêtré dans une grave crise économique dont il ne pourra sortir sans une aide extérieure, laquelle est conditionnée au lancement de réformes, et donc à la formation d'un nouveau cabinet-, la livre libanaise perdait immédiatement du terrain face au dollar.
commentaires (18)
La même question depuis les 70’s: bel nesbeh la boukra chou?
Gros Gnon
20 h 48, le 27 septembre 2020