On ne l’avait jamais totalement oubliée. Avec ses robes fourreaux noirs, sa coupe de cheveux lisse à la javanaise, sa voix rauque, ses intonations sophistiquées, ses yeux sombres et bridés de biche, ses jeux de main virevoltant sur scène devant le micro. Juliette Gréco fut non seulement la vestale et l’icône de Saint-Germain-des-Prés aux années Sartre et Beauvoir, mais aussi une vraie légende des chansons à textes de la variété française. C’est dans sa maison de Ramatuelle, dans le sud-est de la France, qu’elle s’en est allée mercredi à l’âge de 93 ans, sans crier gare. Élégante, comme il se doit, dans une souveraine discrétion…Juliette Gréco avait une beauté singulière et une personnalité taillée à la dimension des chansons qu’elle choisissait d’interpréter. Elle a créé un courant et une mode. Elle a donné, avec originalité et aplomb, chair et voix aux mots de Raymond Queneau, Jacques Prévert, Léo Ferré, Boris Vian, Jacques Brel, Guy Béart, Serge Gainsbourg. Autrement dit, la crème des poètes et des rois du verbe qui lui ont écrit des textes qui secouent et ont du punch. Surtout dans une après-guerre qui peinait à se retrouver.
Turbulente muse
Juliette Gréco a eu une enfance peu heureuse, ses parents étaient séparés et elle entretenait un rapport complexe et compliqué avec sa mère. Se sont ajoutées à cela les affres de la guerre, les frictions et les exactions commises par la Gestapo. Sa mère, résistante, et sa sœur aînée sont déportées en 1943 au camp de Ravënsbruck. Se retrouvant seule et sans ressources à Paris, ce sont des amies de sa mère mais aussi Alice Sapritch et Jean-Paul Sartre qui lui tendent la main.
Elle jette alors son dévolu sur le quartier de Saint-Germain-des-Prés dont elle deviendra l’une des actrices et muses les plus turbulentes. Et la plus en vue. C’était 1945 et l’effervescence intellectuelle du Quartier latin et de la Rive gauche étaient le centre du monde. Juliette Gréco sera aussi l’une des premières suffragettes de l’existentialisme et aura de nombreuses amours : le peintre Bernard Quentin, le musicien Miles Davis, le chanteur Sacha Distel, le producteur Darryl F. Zanuck. On lui prête même une liaison avec Albert Camus. Tout cela reste du vent, de l’ordre du bobo et des intermittences du cœur. Tout démarre sérieusement avec le cabaret Le Bœuf sur le toit en 1949.
Le public mord à l’hameçon et la presse aussi. Une étoile est née… Les succès s’enchaînent après l’accueil enthousiaste de Je hais les dimanches écrite par Charles Aznavour. Elle voyage alors énormément pour ses tours de chant : du Brésil aux États-Unis en passant par un Olympia où elle est portée aux nues.
Côté cinéma, Juliette Gréco a aussi la cote. Elle tourne sous la direction de Jean Renoir, John Huston,
Henry King, Richard Fleischer et bien entendu de Darryl F. Zannuck à qui elle reproche ses colères orageuses et sa passion possessive, elle que nul ne peut emprisonner, oiseau de toutes les libertés… Cet oiseau dont elle chantera, sans égal, toutes les séductions, jamais captives.
« Déshabillez-moi »
Elle chantera au palais de Chaillot avec Georges Brassens et interprétera sous les vivats et les hourras au théâtre de la Ville à Paris sa célébrissime chanson Déshabillez-moi… En cette période même libre et libertaire, il fallait avoir le courage et le culot de tant de charmante espièglerie...
Sans être un flop, ses Mémoires publiées en 1983, intitulés Jujube, piquèrent la curiosité des fans et des auditeurs lambda mais le vent change déjà de direction. Saint-Germain n’est plus ce qu’il était… Les années courent et Juliette Gréco, forte d’une monumentale carrière internationale, jouit déjà de la reconnaissance de tous. À son actif, au fil du temps, des distinctions (commandeur de la Légion d’honneur, commandeur des Arts et des Lettres), des récompenses (victoire d’honneur aux Victoires de la Musique) mais surtout infatigable et véritable voyageuse aux semelles de vent, d’innombrables tournées aux quatre coins du monde. L’applaudimètre n’a jamais baissé d’intensité, avec des salles toujours chauffées à blanc.Trois maris dont Michel Piccoli, une fille née de son union avec Philippe Lemaire, un bouquet de films triés sur le volet, une multitude de chansons signées par plusieurs générations de compositeurs pour une carrière sur scène de plus de soixante-dix ans ! Une vraie vie de roman, plus tumultueuse et mouvementée que la plus improbable des fictions. Juliette Gréco, de l’audace, du talent, du tempérament, de la séduction, un sens farouche de la liberté. Autant de traits qui ont médusé et fasciné François Mauriac, François Mitterrand, Jean-Paul Sartre et tant d’autres…
En lot de consolation et de condoléances, remettez sur votre platine Si tu t’imagines, La Javanaise, Il n’y a plus d’après, Paris canaille, J’arrive, Jolie môme, Les feuilles mortes et pour finir, avec un brin d’espièglerie, l’incontournable Déshabillez-moi …
Dans les archives de L'Orient Littéraire (2015-04-02) : Le livre de chevet de... Juliette Gréco
Le premier roman d'une jeune fille qui n'avait pas encore 19 ans... j'ai évidemment lu Bonjour tristesse de Françoise Sagan dès sa sortie, en 1954. Et je dois avouer que cela a été une révélation. Pas du tout pour ce parfum de scandale qui faisait son succès, les manipulations affectives et la jalousie d'une lycéenne de 17 ans qui provoquent la mort de la femme qu'aime son père. Cela semblait étonner beaucoup de gens, une telle intrigue, imaginée par une romancière à peine sortie de l'adolescence. Moi, ce qui m'a le plus étonnée, c'est cette élégante insolence qu'a eue Françoise Sagan dès son premier livre. Une insolence inhabituelle chez une fille de cet âge. J'ai été séduite par son raffinement, sa délicatesse, son humour.
Je ne l'ai pas rencontrée à ce moment-là. C'est elle qui a voulu me rencontrer, l'année suivante. Elle avait 20 ans, moi 28. Elle est arrivée chez moi avec, en guise de fleurs, un énorme tigre en peluche. Elle devait penser que j'étais plus tigre, ou tigresse, que fleur. Et nous sommes restées amies. Très proches amies. Une amitié forte et longue.
Le socle de cette amitié était bien Bonjour Tristesse. En lisant ce livre, je m'étais sentie moins seule, pour avoir trouvé quelqu'un qui ressemblait à cette insolence qui était la mienne.
Dans ses autres romans, même ceux qui étaient moins réussis que ce coup d'éclat – comme elle le dit si bien elle-même dans un livre où elle se relit et se critique, Derrière l'épaule – j'ai retrouvé son charme, et, toujours, ce génie des titres. Plus encore que le génie des titres, elle avait le génie de la vie, et plus je la connaissais, plus j'étais séduite.
Si je repense à Bonjour Tristesse et si je l'ouvre, c'est toujours une divine surprise. Un éblouissement. Avec la manière unique de Sagan, la légèreté dans la gravité.
commentaires (2)
ADIEU LES BEAUX JOURS. QUE SON AME REPOSE EN PAIX. SA VOIX CONTINUERA A BERCER TOUTES LES JEUNESSES ET CEUX QUI ONT VECU EN SON TEMPS.
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 14, le 25 septembre 2020