La vérité est qu’il est vain de demander des comptes à ceux qui dirigent ce pays. D’abord parce qu’ils ne le dirigent pas, occupés qu’ils sont à se disputer encore un dernier os à ronger sur la charogne de l’État. Ensuite parce qu’ils ne nous voient pas. Insidieusement, un arsenal pointé sur la tempe, le Liban, après s’être cru débarrassé de l’occupation syrienne, s’est retrouvé province iranienne. Une province utilitaire qui plus est, un territoire à l’identité déniée, une sorte d’extension nébuleuse déléguée aux exécutants de l’agenda de Téhéran à la frontière d’Israël. Ce territoire a pourtant un nom. Il a une histoire, une culture et même plusieurs, un indéniable rayonnement envers et contre tout. Mais à l’aune de cette « haute » politique dont il est l’otage, cela a désormais si peu d’importance qu’assurer les besoins de base de sa population en devient secondaire. Électricité, eau potable, infrastructures, éducation, santé, sécurité, tourisme, économie, développement, à quoi bon ? Ces bibelots ont pu servir à d’autres époques. La nôtre n’a besoin ni de confort ni de réconfort. Elle nous réduit à des vies minuscules pour la plus grande gloire de la Perse. Israël n’aurait pas mieux fait, à la différence qu’Israël est « l’ennemi », Dieu vous garde vos amis.
Ce qui fut un joyau déroulé sur les bords de la Méditerranée est désormais, par les soins des vassaux et autres hyènes qui en tiennent les rennes, un dépotoir à ciel ouvert sur une mer peuplée de cadavres de migrants, un réservoir d’armement, d’explosifs et de chair à canon, une désolante ruine qui n’a plus rien à perdre et contre laquelle tous les coups sont permis. Où ça, un peuple ? Où ça, des hôpitaux qui peinent, des écoles et des universités, naguère fleurons d’un système éducatif voué à l’excellence, qui mettent la clé sous la porte ? Où, une civilisation construite sur un sens de la dignité inséparable de la générosité, une liberté d’expression propice à des débats intelligents et productifs, une créativité débridée dans tous les domaines de l’art… Où ça le peuple de la fête et de la joie de vivre malgré tous les malheurs subis ? La résignation et l’accablement étaient ici tellement contre-nature que la chose la plus triste à observer, aujourd’hui, est un Libanais triste. Mais qui, parmi les claquemurés des hautes sphères, s’en aperçoit ? « Si le gouvernement n’est pas formé, nous allons sûrement en enfer » déclarait le président libanais il y a quelques jours. Preuve qu’il ne sait même pas où vivent ni ce que vivent déjà ses administrés. Cet aveu d’impuissance, après des années perdues à paralyser les institutions pour occuper ce fauteuil, était proprement pathétique.
Il est tout aussi vain d’attendre quelque compassion, quelque conscience de la chose publique de la part de prétendus responsables pour qui notre existence et nos aspirations importent si peu. Au regard du satisfecit qu’ils attendent de leurs maîtres pour garantir leur pérennité sur le tas de fumier qu’ils nous laissent, que valent les rêves d’une nation ? Ils ont réduit les nôtres à quelque chose de préhistorique : chercher à chaque lever du jour sa pitance, à chaque tombée du soir un abri. Entre les deux : l’angoisse et l’insécurité, principaux freins de toute évolution.
Et qu’on ne nous dise pas « vous les avez élus ». Que pouvaient les bulletins indépendants contre un système verrouillé, taillé sur mesure pour ne jamais se renouveler, un Parlement ayant même le pouvoir de proroger son propre mandat ? En attendant la sauce à laquelle nous serons accommodés, et la perspective de l’enfer qui nous fait sourire, n’oublions pas, n’oublions jamais le vivier de compétences que nous sommes, ni la force que nous avons toujours eue de rebondir quoi qu’il arrive ni l’entraide, cette courte-échelle qui permettra à chacun, sur les épaules de l’autre, de sortir du gouffre. Surtout, n’oublions pas de l’aimer, cette terre livrée aux charognards et que seul notre amour peut encore sauver.
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Bravo ! Mille mercis Fifi d'aimer tant ce Liban avec un positiviste inébranlable malgré l'importante misère et la Livre qui s'effondre de plus en plus … Pascal
Bayle Pascal
21 h 30, le 25 septembre 2020