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Société - Témoignage

Un propriétaire d’entrepôts dénonce le manque de responsabilité de certains et la négligence de l’État

Mourad Aoun déplore également un manque de moyens efficaces pour circonscrire l’incendie de jeudi.


Un propriétaire d’entrepôts dénonce le manque de responsabilité de certains et la négligence de l’État

« Nous ne partons pas, nous n’arrêtons pas, nous n’abandonnons pas », clame Mourad Aoun. Photo DR

Le gigantesque incendie qui s’est déclaré au port de Beyrouth jeudi a suscité de multiples supputations sur son origine de la part de la population, toujours ébranlée par la double explosion du 4 août survenue sur le même site. Sans attendre les premiers résultats de l’enquête enclenchée par la police militaire et diligentée par le parquet de cassation sur instruction de la ministre sortante de la Justice Marie-Claude Najm, d’aucuns n’ont pas voulu croire à une coïncidence, suspectant une opération de sabotage ou criminelle, voire une volonté de supprimer des éléments de preuve liés à la double déflagration du début du mois dernier. Mais d’autres ont simplement mis en cause des travaux de réparation effectués au moyen d’une disqueuse.

Mourad Aoun, propriétaire de deux entrepôts, touchés par l’incendie de jeudi dans la zone franche, et gérant d’une société de transport international et de logistique spécialisée dans le e-commerce, fait partie de ceux qui attribuent la catastrophe à la négligence. Il raconte ainsi que le cataclysme du 4 août avait détruit tous les entrepôts appartenant à une quinzaine de sociétés, dont la sienne (Net). Certaines marchandises emmagasinées n’avaient pas alors été endommagées. C’est lors de travaux de réparation lancés jeudi dans l’un de ces entrepôts, avant qu’en soient retirées les marchandises, que celles-ci ont pris feu, provoquant le sinistre.

L'éditorial de Issa Goraieb

Les alliances meurtrières

M. Aoun, qui loue au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) 80 % de l’espace de ses entrepôts pour l’emmagasinage de produits (sucre, riz…) destinés à des aides humanitaires, avait refusé il y a dix jours de poursuivre les réparations qu’il venait à peine d’entamer suite au premier désastre. « Lorsque j’ai observé comment opéraient les ouvriers à qui j’avais demandé d’enlever les structures métalliques (poteaux, toitures…), je les ai exhortés à arrêter immédiatement leurs travaux. » C’est que le découpage des métaux se fait au chalumeau coupeur, au moyen d’oxygène. Le contact de ce gaz avec le métal provoque une réaction chimique, laquelle se traduit par un jet de feu qui consume le métal. Lors du processus, des étincelles s’échappent, risquant de provoquer un incendie. Percevant d’emblée le danger, le dirigeant de la société Net avait ainsi préféré retarder le tronçonnage des structures métalliques de son hangar, le temps que le service des douanes l’autorise à évacuer les marchandises.

Absence de moyens efficaces

Probablement pressé de reconstruire, le propriétaire d’un autre entrepôt n’a, lui, pas souhaité attendre, dit-il. « La faute est d’avoir voulu entreprendre des réparations sans vider le hangar », martèle le chef d’entreprise, dénonçant « un manque de vigilance, ainsi qu’un manque d’éthique et de responsabilité vis-à-vis d’autrui et de la collectivité ».

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Lors du découpage de la toiture, des étincelles seraient ainsi tombées sur des marchandises qui ont pris feu. À la faveur du vent, les flammes se sont étendues à un entrepôt de pneus tout proche des hangars et appartenant à M. Aoun. Celui-ci déplore l’absence de moyens efficaces mis en place pour circonscrire le feu. « Il aurait fallu prévoir au moins un véhicule de pompiers », s’insurge-t-il, racontant qu’il y a 35 ans, alors qu’il se trouvait dans un camp scout à Chypre, les autorités de ce pays avaient pris leurs précautions en envoyant un véhicule de pompiers à la troupe dont il faisait partie parce qu’elle avait simplement envisagé d’allumer un feu de camp. L’homme d’affaires critique par ailleurs la lenteur administrative, affirmant que les marchandises n’avaient pu être retirées en raison d’un retard dans les formalités de dédouanement. Lequel était dû à l’interdiction d’accéder aux produits en raison des enquêtes menées sur place. Les propriétaires des marchandises avaient bien demandé au service des douanes l’autorisation de les entreposer sous son contrôle dans des locaux situés en ville, mais leur requête avait été rejetée au motif que la loi interdit l’instauration d’une zone franche à l’extérieur du port. Plus particulièrement, M. Aoun n’avait pu obtenir l’autorisation des douanes et du ministère de l’Économie de retirer les produits alimentaires appartenant au CICR, au motif qu’ils pouvaient avoir été affectés par l’explosion des produits chimiques. Il lui avait donc été demandé d’attendre les résultats des tests effectués en laboratoire pour s’assurer de la sécurité de ces aliments.

« Les échantillons ont été envoyés douze jours avant ce funeste jeudi sans que je n’obtienne un résultat », déplore-t-il. « Si je l’avais eu, les marchandises auraient été épargnées. Lors du désastre du 4 août, elles l’avaient été à 90 %, mais à présent, elles sont pulvérisées », se désole-t-il, ajoutant toutefois sur un ton optimiste : « Même si nous avons subi coup sur coup, nous allons nous reprendre et reconstruire à partir de zéro. La vie continue ! » Sa détermination, Mourad Aoun l’avait déjà affichée après la double explosion du 4 août. « Nous ne partons pas, nous n’arrêtons pas, nous n’abandonnons pas », avait-il imprimé sur une banderole hissée sur la carcasse d’un de ses entrepôts ravagés. Jeudi, sa profession de foi tenait encore fièrement debout sur le panneau, narguant les nouvelles flammes qui ravageaient les lieux.


Le gigantesque incendie qui s’est déclaré au port de Beyrouth jeudi a suscité de multiples supputations sur son origine de la part de la population, toujours ébranlée par la double explosion du 4 août survenue sur le même site. Sans attendre les premiers résultats de l’enquête enclenchée par la police militaire et diligentée par le parquet de cassation sur instruction de...

commentaires (2)

Une description hallucinante de l'incurie associée à l'immense stupidité de toute l'administration de notre malheureux pays...Tous ses "responsables" ont un urgent besoin de soins psychologiques pour soigner l'arrogance et l'orgueil mal placés ! Irène Saïd

Irene Said

07 h 46, le 12 septembre 2020

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Commentaires (2)

  • Une description hallucinante de l'incurie associée à l'immense stupidité de toute l'administration de notre malheureux pays...Tous ses "responsables" ont un urgent besoin de soins psychologiques pour soigner l'arrogance et l'orgueil mal placés ! Irène Saïd

    Irene Said

    07 h 46, le 12 septembre 2020

  • Cette lenteur administrative est inadmissible et rageante. Activez ces formalites, laissez les gens retirer leur marchandise. Pneus et huiles industrielles ont besoin de controle sanitaire? Le syndicat d'importateur de produits alimentaires supplie le service des douanes d’activer les formalites. Cessez de parler d’enquete. Les “preuves” ont ete effacees le 1er jour. Cessez de supplicier, d’appauvrir et d’accabler ce peuple. Cessez de faire comme si vous nous massacriez pour notre bien. Controle sanitaire!! Des controles qui prennent 40jours! Negligence! Khala negligence. Respectez le b.a ba des normes de securite et au moins laissez nous recuperer ce qui est recuperable

    Patrick

    04 h 52, le 12 septembre 2020

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