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Société - Transparence

Le contrat d’approvisionnement des avions en kérosène serait renouvelé sans adjudication

Dans les milieux judiciaires, on fustige une prolongation de l’accord de gré à gré entre l’État et le consortium chargé du ravitaillement en carburant, en même temps qu’on relève plusieurs failles légales dans certaines de ses clauses.

Le contrat d’approvisionnement des avions en kérosène serait renouvelé sans adjudication

L’aéroport de Beyrouth. Photo d’archives

Les messages d’apaisement que se sont dépêchés de lancer jeudi le ministre des Transports et des Travaux publics, Michel Najjar, et le directeur de l’aéroport de Beyrouth, Fadi el-Hassan, lors d’une conférence de presse conjointe, après une information faisant état de fuites dangereuses de kérosène dans les installations de stockage, ont peut-être rassuré la population quant à l’absence d’un danger d’explosion à l’aéroport. Mais s’ils ont certifié qu’il n’y aura pas de seconde catastrophe – après celle du port le 4 août – qui menacerait la sécurité publique, ils ont toutefois occulté un problème de légalité et de transparence au niveau d’une prolongation envisagée du contrat conclu entre l’État et le consortium (Elf Med) chargé de l’approvisionnement des avions en carburant : sans aucune référence à une adjudication publique, le ministre des Transports et des Travaux publics a annoncé lors de son intervention que le contrat sera prorogé pour permettre à ce groupe de sociétés représenté par son président-directeur général, Maroun Chammas, de procéder aux réparations et au renouvellement des installations défectueuses.

M. Najjar qui, le jour même, avait eu le feu vert du chef de l’État Michel Aoun pour prendre toutes les mesures afin d’éviter la survenue d’un problème, a penché pour cette option au motif, a-t-il dit, que son ministère n’a pas de crédit pour effectuer lui-même les réparations. Le coût de celles-ci s’élève à 5 600 000 dollars (8 400 000 000 LL), selon une étude réalisée par une commission technique du consortium, tandis que les allocations fixes que ce dernier doit chaque année à l’État sont de 1 200 000 dollars (1 800 000 000 LL). Le ministre a donc évoqué un renouvellement du contrat pour une période de 4 ans et 8 mois (à partir de novembre 2021, date d’expiration du contrat actuel), le temps que le groupe d’entreprises récupère les montants qu’il aura versés pour les travaux.

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Or une source judiciaire indique à L’Orient-Le jour que dans son avis consultatif sollicité par M. Najjar et rendu mardi (soit l’avant-veille de la conférence de presse), la Cour des comptes avait évoqué l’illégalité d’une clause de ce contrat qui permet de retenir la part annuelle de l’État pour couvrir les frais engagés. L’instance judiciaire a basé son avis sur les principes de l’universalité des recettes et de la spécialité des dotations, ainsi que sur l’interdiction de contracter des dépenses en l’absence de disponibilité de crédit. Elle a ainsi jugé que « la partie exploitante ne peut retrancher les redevances dues à l’État », ajoutant qu’ « elle ne peut bénéficier d’une prolongation du contrat d’exploitation en proportion des dépenses pour les réparations effectuées ». Interrogé par L’OLJ, Maroun Chammas note à ce propos « une contradiction », faisant observer que c’est la Cour des comptes elle-même qui avait approuvé le cahier des charges à l’occasion de la conclusion du contrat initial. Lequel, précise-t-il, stipule que « lorsque l’État n’a pas les moyens de payer les travaux requis, il peut demander aux gestionnaires des installations d’effectuer les réparations, en contrepartie d’une prorogation du contrat, proportionnellement au montant des travaux exécutés ».

Conflit d’intérêts
Dans sa même note consultative, la Cour des comptes a dénoncé le fait que c’est le consortium qui a étudié et fixé le coût des réparations, parce qu’étant lui-même la partie chargée de l’exécution des travaux, il se trouve confronté à un conflit d’intérêts. Il aurait donc fallu un appel d’offres pour choisir la proposition la moins chère, commente la source judiciaire interrogée. À cela, M. Chammas répond que lorsque l’étude avait été faite il y a plus d’un an, il n’était nullement question que les sociétés qu’il représente effectuent ces réparations, soulignant que le ministère des Travaux publics et des Transports lui avait alors simplement demandé de faire établir une évaluation des frais des travaux requis. La Cour des comptes a par ailleurs rappelé dans sa décision que, selon la loi, un contrat d’exploitation des biens privés de l’État ne peut dépasser une période de 4 ans non renouvelable. Or le contrat lié aux installations pétrolières de l’aéroport (conclu en 2016) a été renouvelé une première fois cette année. « A l’instar d’autres contrats publics d’exploitation, notre contrat a été prolongé de 8 mois, en raison de la pandémie du Covid-19 », rétorque M. Chammas. Quid de la nouvelle prorogation qui s’étendrait jusqu’en juillet 2026, alors qu’il faut plutôt établir un cahier de charges et organiser une adjudication publique contrôlée par la Cour des comptes ? « Ce n’est pas à moi de dicter à l’État ce qu’il peut et ne peut pas entreprendre », répond l’homme d’affaires. L’OLJ a tenté sans succès de joindre M. Najjar pour lui demander pourquoi ni un appel d’offres pour les travaux de réparation, ni un autre pour un nouveau contrat d’exploitation n’ont été organisés.

Projet de crédit
Il reste que jeudi soir, le ministre des Finances Ghazi Wazni a affirmé avoir transmis à la présidence du conseil un projet de décret pour le transfert au ministère des Travaux publics d’un crédit permettant la réalisation des réparations. Au cas où le crédit est débloqué, l’État n’aura plus de raison de prolonger le contrat avec Elf Med, puisque le montant nécessaire pour traiter avec une autre entreprise sera assuré. Mais la question est de savoir s’il lancera un appel d’offres, sachant qu’une telle procédure nécessite du temps, tandis que le respect des critères internationaux de sécurité de la navigation aérienne ne peut attendre. Si toutefois une adjudication n’est pas organisée, objecte la source judiciaire précitée, cela signifierait la consécration du monopole du consortium exploitant.

Entre-temps, le procureur général financier Ali Ibrahim a inspecté samedi les installations et infrastructures pétrolières de l’aéroport, suite à la demande du procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, d’effectuer une enquête. À l’issue de sa tournée, M. Ibrahim a décidé de charger le groupe Elf Med d’« entamer immédiatement et sans délai » les travaux de réhabilitation, quitte à « conclure par la suite un arrangement financier qui préserverait les droits de la société à l’égard de l’État ».

Les messages d’apaisement que se sont dépêchés de lancer jeudi le ministre des Transports et des Travaux publics, Michel Najjar, et le directeur de l’aéroport de Beyrouth, Fadi el-Hassan, lors d’une conférence de presse conjointe, après une information faisant état de fuites dangereuses de kérosène dans les installations de stockage, ont peut-être rassuré la population quant à...

commentaires (2)

Cinq semaines et non seulement cinq jours ont passé, sans que l'on sache à quoi avait abouti l'enquête administrative ! C'était seulement pour calmer la population. Le point crucial de l'enquête est de connaître qui a effectivement empêché Diab, et non seulement qui l'a contacté la veille de sa visite du hangar numéro 12 au Port, visite qui aurait évité à coup sûr l'incroyable explosion du 4 Août 2020, et ses conséquences graves et interminables sur plusieurs années.

Esber

17 h 40, le 07 septembre 2020

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Commentaires (2)

  • Cinq semaines et non seulement cinq jours ont passé, sans que l'on sache à quoi avait abouti l'enquête administrative ! C'était seulement pour calmer la population. Le point crucial de l'enquête est de connaître qui a effectivement empêché Diab, et non seulement qui l'a contacté la veille de sa visite du hangar numéro 12 au Port, visite qui aurait évité à coup sûr l'incroyable explosion du 4 Août 2020, et ses conséquences graves et interminables sur plusieurs années.

    Esber

    17 h 40, le 07 septembre 2020

  • ET LA CORRUPTION CONTINUE 3ALA 3AYNAK YIA TAJER...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 19, le 07 septembre 2020

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