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Un pari de re-naissance

Il a tenu parole, il est revenu et reviendra une nouvelle fois en décembre. De pèlerinage chez la diva du terroir Feyrouz en florilège de couleurs libanaises déployées dans les airs par la Patrouille de France, il a multiplié les marques d’attachement symboliques à cet État que proclamait, il y a un siècle, le général Gouraud : singulier bébé centenaire, qualifié de grand à sa naissance, mais qui a mal vieilli et s’épuise aujourd’hui à remonter le temps pour retrouver ne serait-ce que l’âge de raison…

Pour précieux que soit son acharnement à nous aider, Emmanuel Macron n’est pas un faiseur de miracles ; il doit parer au plus pressé, avec ce qu’il a de disponible sous la main. Jouant au funambule entre ingérence et exigence, il ne pouvait humainement répondre à toutes les attentes des citoyens qui, hier encore, manifestaient leur rejet d’un establishment politique aussi incompétent que corrompu : les plus déçus allant jusqu’à reprocher au président français d’avoir concédé au pouvoir local un bol d’oxygène inespéré. Il reste que le bâton n’est pas loin, avec la menace, tantôt claire et tantôt feutrée, de sanctions contre les pillards et fossoyeurs de la République. À mourir de honte, quoi, si seulement ces dirigeants indignes étaient capables de ressentir l’insulte…


C’est dire combien est cruciale la mission qui échoit au néophyte Moustapha Adib, invité à former au plus vite un gouvernement puis à faire ses preuves sans tarder. Mais c’est aussi une lumière crue (et fort cruelle !) qui vient d’être jetée sur la façon dont naissent et disparaissent les gouvernements au Liban. Inconnu au bataillon, parachuté du dernier quart d’heure à la présidence du Conseil, Adib n’est pas, pour autant, le clone parfait de son prédécesseur, Hassane Diab ; c’est d’ailleurs ce qu’il a voulu souligner en se hasardant à quêter un bain de foule dans les quartiers ravagés par la monstrueuse explosion du port de Beyrouth, quitte à se faire copieusement chahuter par les habitants.


À la différence de Diab, l’ancien ambassadeur du Liban à Berlin aurait apparemment bénéficié, au départ, des faveurs de la France, laquelle s’en défend, bien sûr. Désigné à une confortable majorité par un Parlement prompt à suivre la consigne, il avait été préalablement adopté par le club, pourtant très fermé, des anciens chefs de gouvernement sunnites, qui avait écrasé de son ostracisme l’infortuné Diab. Lequel club a raté une rare occasion de frapper un grand coup en proposant un homme de la trempe de Nawaf Salam, sans doute jugé par trop à cheval sur les principes de justice, de transparence, de démocratie et de souveraineté : pire, un homme capable de faire beaucoup trop d’ombre autour de lui…


Pour autant, on n’a pas fini de se demander par quelle suicidaire reconversion les ripoux de la république pourraient, même forcés, se muer en vertueux réformateurs. Encore plus problématique s’annonce la recherche d’un nouveau système politique libanais, entreprise qu’Emmanuel Macron tient pour celle de la dernière chance. C’est vrai qu’en l’espace de quelques heures à peine, Michel Aoun, Nabih Berry et Hassan Nasrallah ont gracieusement fait part de leurs avis sur la question; reste à nous expliquer toutefois par quelle vue de l’esprit un dialogue aussi décisif, aux conclusions appelées à engager les générations futures, pourra être seulement envisagé aussi longtemps que les armes illégales ne sont pas laissées au vestiaire.

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À tout prendre, ces cent ans écoulés n’étaient pas de solitude, même si la malédiction lancée par d’aucuns sur notre pays n’est pas sans évoquer l’immortel chef-d’œuvre de Gabriel Garcia Marquez. Bien au contraire, c’est d’intimité nationale, familiale, qu’aura surtout manqué le Liban. Beaucoup trop d’intrus, rivaux ou objectivement complices, se sont cavalièrement invités chez nous, s’y sont même constitué des chasses gardées, des réserves humaines d’inconditionnels se parant naïvement du statut de protégés.


Ce que scelle en réalité ce centenaire célébré dans l’anxiété et non dans la liesse, c’est plutôt cent ans d’inexactitude, d’absence de rectitude, dans la concrétisation et la préservation du pacte national. C’est cent ans d’incertitude, entretenue du dehors et cultivée du dedans, quant à l’identité, la vocation, la mission de la terre du Cèdre.


C’est cent ans d’incomplétude.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Il a tenu parole, il est revenu et reviendra une nouvelle fois en décembre. De pèlerinage chez la diva du terroir Feyrouz en florilège de couleurs libanaises déployées dans les airs par la Patrouille de France, il a multiplié les marques d’attachement symboliques à cet État que proclamait, il y a un siècle, le général Gouraud : singulier bébé centenaire, qualifié de grand à...