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Économie - Focus

Un an de crise : du défaut de paiement au blocage des négociations avec le FMI

Après un premier article sur le début de l’effondrement économique puis un second sur l’officialisation des restrictions bancaires et les signes avant-coureurs qui mèneront le pays sur la voie du défaut de paiement, dernier épisode de notre série revenant sur un an de crise au Liban. Focus sur l’accélération de la dégringolade de la livre libanaise, tandis que les négociations avec le FMI s’embourbent lamentablement.

Un an de crise : du défaut de paiement au blocage des négociations avec le FMI

Un local de banque à louer à Jounieh, dans le Kesrouan. Photo P.H.B.

Dans le creux de la vague depuis le mois d’août 2019, le Liban commence l’année 2020 avec autant d’incertitudes qu’il avait achevé la précédente.

Peu après la mi-décembre, la classe politique avait mis fin à trois mois de vide gouvernemental en donnant son feu vert à la formation d’un gouvernement présidé par Hassane Diab – un sunnite qui n’appartient pas au courant du Futur de Saad Hariri. Mais la marge de manœuvre de ce gouvernement, présenté comme un cabinet de technocrates et formé le 21 janvier, restera tributaire des influences de partis qui le soutiennent – Amal, le Courant patriotique libre et le Hezbollah, principalement. Une filiation qui est d’ailleurs dénoncée par les contestataires mobilisés depuis le 17 octobre 2019 et qui continuent d’investir la rue.

L’économie du pays est à terre, la dette continue de grimper, le retard dans le déblocage des avances du Trésor augmente le rationnement en électricité, le dollar tourne autour de 2 500 livres, des restrictions bancaires illégales sont toujours imposées aux déposants libanais, etc.

Restructuration de la dette

Dans ce contexte, plusieurs voix au sein de la société civile continuent de militer pour que le pays fasse défaut sur ses obligations d’État en devises (eurobonds) devant être soldées en 2020 afin d’épargner les réserves en dollars le temps de redresser le pays. L’État doit en effet honorer trois échéances en mars, avril et juin totalisant 4,6 milliards de dollars en comptant les intérêts.

Lire le premier article de la série

Un an de crise : le début de l’effondrement

Les banques et la Banque du Liban, qui possèdent plusieurs milliards de dollars d’eurobonds dans leurs portefeuilles, rejettent ce scénario, ainsi que plusieurs fonds d’investissements – dont le gestionnaire d’actifs britannique Ashmore – qui ont racheté en mars des titres aux banques libanaises. Parallèlement, le fonds d’investissement spéculatif, Greylock Capital Management, forme, lui, un groupe avec d’autres détenteurs d’eurobonds afin de négocier avec le Liban en cas de restructuration de la dette.

Le gouvernement va réagir entre février et mars. Il sollicite d’abord une assistance technique du Fonds monétaire international (FMI). Il recrute ensuite deux cabinets pour l’épauler dans le processus de restructuration de la dette, à savoir Lazard et Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP. Le 7 mars, le premier ministre Hassane Diab annonce enfin que le Liban a fait défaut sur le paiement de la série d’eurobonds arrivant à échéance le 9 du même mois, avant d’étendre cette décision à l’ensemble des émissions en cours le 23. La dette publique a alors dépassé les 92 milliards de dollars, dont 34,1 milliards de dollars en devises. Plus de 70 % de la dette totale est en outre détenue par la BDL et les banques, tandis que les réserves en devises de la Banque centrale ont fondu de 3 milliards de dollars depuis le début de la crise (à 35,7 milliards).

Lire le deuxième article de la série

Un an de crise : quand sonne le glas des droits des déposants libanais

C’est au moment où l’exécutif se met à élaborer un plan de redressement du pays, avec lequel il espère décrocher un bon accord avec ses créanciers, que le taux dollar/livre va commencer à devenir hors de contrôle. Fin mars, le pays vit confiné depuis deux semaines suite à une décision des autorités visant à lutter contre la propagation du coronavirus. Les banques, qui continuaient jusqu’ici de donner des dollars au compte-gouttes aux clients possédant des comptes en « dollars libanais » (dont l’accès a été restreint), arrêtent totalement d’en donner, tandis que les manifestations marquent un coup d’arrêt.

Dépréciation vertigineuse

Sur le marché secondaire, ce sont les agents illégaux qui donnent le « la », sans que les autorités ne bronchent réellement. L’accord du 21 janvier entre la BDL et le syndicat des agents de change n’a pas non plus permis de plafonner le taux à 2 000 livres pour un dollar, pas plus que la circulaire n° 546 du 6 mars. Une première vague d’arrestation d’agents agrées ou illégaux a lieu en février puis une seconde en mai – un responsable de la BDL est même arrêté avant d’être relâché – ont lieu sous l’impulsion du parquet financier, sans conséquences. Au final, de 2 900 livres pour un dollar à fin mars, le taux va connaître une ascension vertigineuse entre avril et août, pour flirter avec la barre des 10 000 livres, avant de redescendre vers une fourchette entre 7 000 et 8 000 livres ce mois-ci. Pour l’anecdote, le seuil de 3 000 livres symbolique, qui avait été atteint après la fin de la guerre civile, a été dépassé une première fois le 15 avril.

Fin avril, alors que la chute de la monnaie nationale ne fait que commencer, le chef du gouvernement critique ouvertement le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, qu’il accuse d’être responsable du phénomène, ce que ce dernier nie, rejetant la responsabilité sur les autorités. Les deux hommes s’interpelleront à plusieurs reprises sur ce sujet jusqu’à la démission du gouvernement en août.

Dans la ligne de mire du chef de l’exécutif, plusieurs circulaires publiées à partir d’avril, qui posent sans l’affirmer les bases d’un nouveau régime de change. La BDL commence par autoriser les détenteurs de petits comptes de retirer plus de livres qu’ils ne possèdent (circulaire n° 148) selon un taux de change défini par une unité qu’elle forme avec les changeurs (n° 149). Elle autorise par la suite les retraits en livres à ce taux intermédiaire – supérieur à la parité officielle, mais inférieur au taux du marché noir – valant depuis l’ensemble des comptes en dollars (n° 151). Ces dispositifs sont encore actifs aujourd’hui et la BDL modifie elle-même le taux applicable.

C’est aussi en avril que la BDL finit par réglementer les comptes d’argent « frais », qui ne sont soumis à aucune restriction, contrairement aux comptes en « dollars libanais » (n° 150), et oblige une nouvelle fois les sociétés de transfert d’argent à décaisser en livres les sommes envoyées en devises, mais au taux du marché, soit 3 800 livres à fin avril (n° 151). Il s’agit du troisième revirement depuis janvier 2019, avant un nouveau changement de cap en août. Entre-temps, la BDL a systématiquement racheté aux sociétés les dollars envoyés vers le Liban à un taux proche de celui des agents de change. Ces devises ont notamment contribué à financer ses mécanismes de subvention de certaines importations stratégiques (blé, carburant, médicaments notamment) ou plus tard de denrées alimentaires de base (circulaire n° 557 en mai puis n° 564 en juillet).

Ces paramètres vont donner encore plus de poids au marché noir, où de nombreux Libanais se ruent pour assurer leurs besoins en dollars, alors qu’ils sont sujets aux restrictions bancaires. Ces dernières ne semblent cependant pas avoir empêché certains privilégiés de transférer leur argent hors du pays, comme le relaient de nombreuses voix pendant cette période.

Répartition des pertes

En plus de doper l’inflation (voir par ailleurs) tout en faisant planer le spectre de la pénurie – les importateurs limitant de plus en plus leurs commandes –, la dépréciation de la livre va également placer les personnes qui ont de l’argent à l’étranger, ou des réserves d’espèces, dans une position de force et encourager ceux qui ont de l’argent à privilégier les investissements refuge, dont l’immobilier. L’étau va un peu plus se resserrer sur le citoyen lambda à partir du moment où la BDL et les autorités vont laisser au syndicat des agents de change le soin de limiter la vente de dollars à certaines catégories de transactions (paiement de scolarité à l’étranger, remboursement d’un prêt en dollar, etc.) entre juin et juillet. Une aberration supplémentaire sur le plan réglementaire qui continue d’achever la confiance vis-à-vis du secteur bancaire du pays.

La seule contribution de la BDL sera de développer une application baptisée « Sayrafa » qui sera distribuée dès juin aux changeurs agréés pour leur permettre de connaître les mises à jour du taux (3 850 livres pour un dollar à l’achat et 3 900 à la vente, un niveau inchangé depuis juin). Toujours en roue libre, une partie des banques continuent de tordre la réglementation pour tenter d’alléger leur bilan, rouge vif. Il faut attendre juillet pour qu’elles commencent à publier leurs résultats de 2019, tandis que certaines d’entre elles ont déjà fermé une partie de leurs agences et réduit leurs effectifs.

Pendant que l’économie libanaise continue de sombrer, le gouvernement, la classe politique, l’Association des banques du Liban (ABL) et la BDL paralysent les négociations lancées en mai avec le FMI pour décrocher une assistance financière afin d’entamer le redressement du pays et négocier avec ses créanciers. Au centre du désaccord : l’estimation des pertes cumulées par le pays par l’État, la BDL et les banques, que le plan de redressement de l’exécutif estime à 69 milliards de dollars – un montant approuvé par le FMI – ; et les pistes envisagées pour combler ce trou, qui passent notamment par une restructuration de la dette (livres et devises), ainsi que par un bail-in (échange entre une partie des dépôts dus par une banque et des actions dans le capital de cette même banque).

Soutenues par une partie des parlementaires, les banques et la BDL souhaitent que l’État mette une partie de ses actifs sur la table pour éponger l’ardoise. En parallèle, le plan du gouvernement misait sur l’entrée sur le marché libanais de cinq banques étrangères, ce qui constituerait une entrée de capital frais dans le pays. La BDL a, elle, créé en juillet une commission chargée de restructurer le secteur financier et composée principalement de personnalités liées aux secteurs concernés.

L’incapacité des différentes parties à trouver un terrain d’entente va finalement lasser le FMI, qui va suspendre les négociations au bout de 17 réunions tenues entre le 13 mai et le 10 juillet. Deux négociateurs, côté libanais, vont également claquer la porte en raison de ces tensions. Renvoyant les banques et la BDL dans les cordes, le FMI va même déroger à sa réserve habituelle en se prononçant à plusieurs reprises en faveur de l’approche du gouvernement pour redresser le pays. Elle répète, dans le même temps, qu’elle ne lâchera pas le moindre dollar tant qu’aucune réforme sérieuse ne sera préalablement lancée, citant notamment l’adoption d’une loi de contrôle des capitaux.

Une exigence que l’organisation rappellera peu après la terrible double explosion survenue au port de Beyrouth le 4 août, ravageant une partie de la capitale. La semaine dernière, un compte rendu de l’ABL ayant fuité dans la presse a révélé que le FMI avait une nouvelle fois invoqué cette exigence pour refuser une demande du Liban visant à débloquer immédiatement 800 millions de dollars, ce montant correspondant à sa quote-part au sein de l’organisation.

La circulaire de la BDL pour rapatrier des fonds prévue cette semaine

Dans une interview accordée lundi au site Arabnews.fr, le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, a annoncé la publication prochaine d’une circulaire ayant pour but de « responsabiliser les déposants » qui ont transféré leur argent à l’étranger et « les inciter à ramener (des liquidités) au pays sans leur confisquer leur argent ». Selon une source proche de la BDL, cette circulaire devrait être finalisée dans « les deux jours ». La source ne précise toutefois pas quel pourrait être ce mécanisme et quelles personnes pourraient être concernées. Lors de son interview, Riad Salamé a espéré que ce mécanisme, qui semble s’apparenter à une nouvelle ingénierie financière, permettra de résoudre la crise de liquidité du secteur.

Depuis près d’un an, les banques ont imposé des mesures de restriction sur les retraits et les transferts en devises à l’étranger, rendant presque impossible l’envoi de fonds et détruisant la confiance dans le secteur. Toutefois, plusieurs voix ont révélé que de riches déposants, affiliés à l’élite politique et/ou bancaire, semblent avoir réussi à le faire.

Le président du Parlement, Nabih Berry, avait déclaré en février que « cinq directeurs de banque avaient transféré leurs fonds personnels à l’étranger » pour un montant cumulé s’élevant à « 2,3 milliards de dollars ». Un chiffre similaire à celui évoqué début février par le gouverneur (2,6 milliards de dollars) qui a lancé une enquête. Le directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani, qui a présenté sa démission en juin dernier, a affirmé en juillet au Financial Times qu’entre 5,5 et 6 milliards de dollars ont été envoyés « en contrebande » hors du pays depuis le mois d’octobre.

Dans le creux de la vague depuis le mois d’août 2019, le Liban commence l’année 2020 avec autant d’incertitudes qu’il avait achevé la précédente. Peu après la mi-décembre, la classe politique avait mis fin à trois mois de vide gouvernemental en donnant son feu vert à la formation d’un gouvernement présidé par Hassane Diab – un sunnite qui n’appartient pas au courant du...

commentaires (2)

Et la Justice?? Elle attend quoi pour enquêter sur ces milliards partis en contrebande?? Elle ne le fera pas car malheureusement la Justice ne travaille pas pour l'État et donc pour le peuple (cette administration est payée sur nos deniers). La Justice est à la botte des mafieux et leur obéit. Sinon pourquoi tout est encore au point mort depuis un an déjà...??!!

Sybille S. Hneine

15 h 41, le 27 août 2020

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Commentaires (2)

  • Et la Justice?? Elle attend quoi pour enquêter sur ces milliards partis en contrebande?? Elle ne le fera pas car malheureusement la Justice ne travaille pas pour l'État et donc pour le peuple (cette administration est payée sur nos deniers). La Justice est à la botte des mafieux et leur obéit. Sinon pourquoi tout est encore au point mort depuis un an déjà...??!!

    Sybille S. Hneine

    15 h 41, le 27 août 2020

  • ? Mais quel naif croirait encore aux promesses de salame ou autre responsable ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 35, le 27 août 2020

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