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Économie - Focus

Un an de crise : le début de l’effondrement

Si la crise économique et financière que traverse le Liban s’est concrètement dévoilée il y a un an, cela fait des années qu’elle transparaît en raison des failles systémiques nationales, autant sur le plan financier que sur celui de la gouvernance. Première partie d’une série d’articles revenant sur l’accélération de cette double crise depuis un an.

Un an de crise : le début de l’effondrement

Les bureaux de Jammal Trust Bank, sanctionnée le 29 août 2019 par le Trésor américain pour avoir fourni des services financiers au conseil exécutif du Hezbollah et à la Fondation des martyrs, basée en Iran. Photo P.H.B.

C’est une réalité désormais bien difficile à occulter : le Liban continue de s’enfoncer inexorablement dans une crise économique et financière dont les effets sont à la fois amplifiés par les mesures de confinement adoptées par les autorités pour faire face au Covid-19 et par les conséquences de l’explosion tragique du port de Beyrouth qui a ravagé et endeuillé la capitale le 4 août. Les origines de cet effondrement remontent à des années, voire des décennies, trahies par les nombreux signes avant-coureurs des failles du système libanais, tant sur le plan financier que sur celui de la gouvernance. Toutefois, il y a un an, les premiers murs un tant soit peu porteurs commencent à s’écrouler sur des Libanais alors encore trop confiants vis-à-vis des autorités ainsi que du secteur bancaire du pays.

Fitch, S&P

C’est à partir du 23 août 2019 que plusieurs événements vont réellement marquer le coup d’envoi de la crise actuelle. Tard ce jour-là, Fitch et Standard & Poor’s, soit deux des trois principales agences de notation qui se partagent l’essentiel du marché mondial avec Moody’s, publient leurs évaluations respectives de la dette souveraine libanaise. À ce moment-là, le Liban a enchaîné au moins trois années moroses sur le plan économique, une tendance à laquelle l’année en cours ne dérogera pas (le PIB s’est contracté de 4 % à fin juin 2019, selon les chiffres de l’Administration centrale de la statistique publiés des mois plus tard). Si S&P maintient avec moult réserves et avertissements le pays dans la catégorie « B » (investissement spéculatif, soit solvabilité incertaine), Fitch expédie ses obligations un cran plus bas, dans la catégorie « C » (investissement ultraspéculatif, soit très proche de la faillite), emboîtant ainsi le pas à Moody’s qui avait senti venir le coup depuis janvier. Concrètement, cela veut dire que les investisseurs ne croient presque plus du tout en la capacité des dirigeants libanais à tenir leurs engagements de réformes pour sortir le pays du cercle vicieux dans lequel il se trouve. La dette est alors à près de 87 milliards de dollars, en progression constante ; le budget pour 2019 voté en juillet – donc avec plus de six mois de retard sur ce que requiert la Constitution – ne répond pas aux enjeux, notamment en matière d’assainissement des finances publiques ; et la classe politique ne se mobilise toujours pas pour concrétiser ses engagements en matière de réformes, pris plus d’un an plus tôt lors de la conférence de Paris d’avril 2018 (la CEDRE). Un constat alors dressé par les deux agences dans leurs évaluations respectives qui rappellent que le Liban aurait pu compter sur plus de 11 milliards de dollars de prêts et de dons réservés lors de ce rendez-vous encouragé par la présidence française et devant servir à réhabiliter les infrastructures défaillantes du pays.

JTB et le début des restrictions

Déjà affaiblies par la dégradation de la note du pays par Fitch et Moody’s – qui impacte la valeur des titres de dette libanaise dans lesquels elles sont nombreuses à avoir massivement investi ces dernières années –, les banques du pays et la Banque du Liban (BDL) vont devoir gérer un autre choc. Le 29 août, le Trésor américain sanctionne Jammal Trust Bank pour avoir fourni des services financiers au conseil exécutif du Hezbollah et à la Fondation des martyrs, basée en Iran. L’établissement qui opère au Liban depuis plusieurs décennies ne peut plus traiter avec ses banques correspondantes et la BDL se trouve contrainte de jouer les liquidateurs, comme en 2011 lors de la mise au ban de la Lebanese Canadian Bank (LCB), à qui l’administration américaine avait alors reproché à l’époque d’avoir blanchi de l’argent pour un groupe de trafiquants liés au parti chiite.

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Malgré les déclarations rassurantes de l’Association des banques du Liban et de la BDL concernant l’impact de cette affaire sur la stabilité financière du pays, le hasard du calendrier fait que c’est peu ou prou au même moment que les banques du pays commencent, chacune à son rythme, à restreindre l’accès des déposants libanais à leurs dépôts en devises. Les retraits en espèces à partir de comptes en dollars commencent à être plafonnés, les clients souhaitant convertir leurs livres en devises en se basant sur un taux officiel de 1 507,5 livres pour un dollar se voient refuser de telles transactions, au même titre que ceux désirant transférer de l’argent à l’étranger. Le phénomène prend de l’ampleur en septembre, entraînant la montée au créneau de plusieurs représentants du secteur privé ou encore la mobilisation de certaines filières, comme les distributeurs de carburant ou de blé, qui dénoncent cette situation, tandis que le taux dollar/livre commence à dangereusement s’éloigner de la parité fixe stabilisée par la BDL depuis 1997. En août déjà, les professionnels mentionnés plus haut faisaient état d’un taux de 1 550 livres pour un dollar sur le marché parallèle – au sein duquel la frontière entre les agents agréés et ceux du marché noir devient de plus en plus floue.

Premières subventions

La BDL réagit début octobre en mettant en place un mécanisme permettant aux filières stratégiques – carburant, blé et médicaments – de continuer à acheter auprès d’elle une partie des dollars nécessaires pour payer leurs fournisseurs au taux officiel. Mais en coulisses, les banquiers les plus sincères commencent à lâcher le morceau : le Liban, qui importe une importante partie de ses besoins, a perdu trop d’argent et traverse une crise de liquidité majeure. Les causes, multiples, trouvent leur source dans l’accumulation des déficits (commercial, budgétaire, etc.) par le pays, sa dépendance aux entrées de capitaux issus de la diaspora, l’exposition des banques et de la BDL à la dette publique et l’inertie des dirigeants face aux réformes identifiées qui doivent être lancées et face au problème de la corruption et du gaspillage dont la facture s’élève à plusieurs milliards de dollars (5 milliards par an pour la corruption, selon une estimation de l’ancien ministère d’État pour le Développement administratif en 2018).

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Acculée, la BDL continue de puiser dans ses réserves en devises pour maintenir le bateau à flot. Elles s’élevaient à 38,5 milliards de dollars à fin septembre 2019, en baisse de 11,5 % en glissement annuel. Le secteur bancaire perd lui plus de dépôts qu’il n’en gagne depuis quelque temps. Dans son audit de l’année 2019, Bank Audi a révélé que 15,4 milliards de dollars de dépôts avaient été retirés de l’ensemble des banques du pays sur cet exercice, dont 11,4 milliards uniquement durant le dernier trimestre. Face à cette situation, le secteur bancaire a de plus en plus de mal à honorer l’ensemble de ses engagements et essaye désormais par tous les moyens de retarder une échéance qui semble, dès la mi-octobre, devenue inéluctable. Un constat qui se vérifiera dans les mois qui suivront.

Prochain épisode : Le contrôle des capitaux informel et restrictions bancaires illégales



C’est une réalité désormais bien difficile à occulter : le Liban continue de s’enfoncer inexorablement dans une crise économique et financière dont les effets sont à la fois amplifiés par les mesures de confinement adoptées par les autorités pour faire face au Covid-19 et par les conséquences de l’explosion tragique du port de Beyrouth qui a ravagé et endeuillé la capitale...

commentaires (4)

Oui depuis 2017 on entendait déjà de grandes banques pointer du doigt le Liban ... puis est venue l’élection du président après plusieurs mois de vide donc pas de stratégie économique du gouv, seulement celle d les banque centrale qui elle essayait un tant soit peu de limiter les dégâts jusqu’au jour où salameh a demander a de ce qui reste de l’état d’accélérer et d’en finir avec le vide mais personne n’écoutait c’était « le soit moi, soit personne » ne qui prevalait ... nous voilà maintenant !!! Dans la pire crise que le Liban ai jamais connu ...

Bery tus

21 h 40, le 24 août 2020

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Commentaires (4)

  • Oui depuis 2017 on entendait déjà de grandes banques pointer du doigt le Liban ... puis est venue l’élection du président après plusieurs mois de vide donc pas de stratégie économique du gouv, seulement celle d les banque centrale qui elle essayait un tant soit peu de limiter les dégâts jusqu’au jour où salameh a demander a de ce qui reste de l’état d’accélérer et d’en finir avec le vide mais personne n’écoutait c’était « le soit moi, soit personne » ne qui prevalait ... nous voilà maintenant !!! Dans la pire crise que le Liban ai jamais connu ...

    Bery tus

    21 h 40, le 24 août 2020

  • L'audit de la BDL. Espérons que ça ne passera pas à la trappe... sinon c'est qu'il y avait trop de lièvres à lever.

    Sybille S. Hneine

    12 h 25, le 24 août 2020

  • Vous vous trompez. regardez ce que les banques etrangeres ont fait au Liban. des 2015, BNP, HSBC, Standard, Citi, etc. se sont ttes retirees du Liban plus ou moins en meme tps. elles avaient vue venir.

    Hasbani Nadim

    11 h 29, le 24 août 2020

  • ET ON EST ENCORE AU POINT ZERO. AUCUNE AVANCEE. AU CONTRAIRE ON VA DE CHARYBDE EN SCYLLA. LES MEMES ABRUTIS CORROMPUS, VOLEURS, N,ENFOUTISTES ET INCOMPETENTS SONT AU GOUVERNAIL. DEGAGEZ-LES EUX ET LES MILICES SINON DE BONGRE ALORS DE MALGRE POUR SAUVER LE PAYS ET SON PEUPLE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 49, le 24 août 2020

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