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Culture - Exposition virtuelle

Les corps-à-corps d’Akram Zaatari

La galerie Thomas Dane londonienne rassemble les œuvres de trois artistes réalisées pendant le confinement en avril 2020 au sein d’une première exposition virtuelle, « SCREEN TIME »*. Le Britannique Michael Landy, le Mexicain Abraham Cruzvillegas et le Libanais Akram Zaatari y interrogent l’isolement de l’artiste et ses nouveaux rapports au monde...

Les corps-à-corps d’Akram Zaatari

Wrestlers05, 2020. Acrylique sur papier, 21x27,7cm ©️ Akram Zaatari - Avec l’autorisation de l’artiste, de la galerie Sfeir Semler et la Thomas Dane Gallery

Au courant du mois d’avril 2020, alors que le monde entier était mis sous cloche pour cause de la pandémie du Covid-19, L’Orient-Le Jour invitait huit artistes libanais à partager dans ses colonnes une image de leur intimité en ces temps de confinement. Parmi eux, Akram Zaatari avait choisi d’envoyer la photo d’une illustration sur papier Canson millimétré représentant une scène de lutte turque, ébauche d’une série sur laquelle il planchait depuis son appartement beyrouthin. Parallèlement, depuis Londres, le galeriste François Chantala, partenaire de Thomas Dane, s’enquiert à propos de trois artistes de la galerie : le Libanais Akram Zaatari, le Britannique Michael Landy et le Mexicain Abraham Cruzvillegas qui, chacun de son côté, interrogeaient à travers leur œuvre une certaine idée de la solitude ainsi que la reconfiguration de nos rapports avec le monde extérieur tel qu’il est aujourd’hui. « Très vite, j’ai décelé un dénominateur commun entre ces trois artistes. Chacun d’entre eux avait, d’une certaine manière, opéré un retour vers des accents autobiographiques en ayant recours à des illustrations sur papier, soit ce qui leur était tombé sous la main. C’était un geste instinctif », souligne Chantala qui, aussitôt, décide de mettre en relation trois œuvres dérivées de trois endroits du monde et de les réunir ensuite au sein de l’exposition virtuelle « SCREEN TIME », une première pour la Thomas Dane Gallery.

Family Ruin 28, 2020, signée et titrée au verso. Aquarelle sur papier 35.6 x 50.8 cm. 14 1/8 x 20 in. © Michael Landy. Avec l’autorisation de l’artiste et la Thomas Dane Gallery. Photo Ben Westoby

Une même matrice

L’initiateur de ce projet en raconte la genèse de la sorte : « L’idée de départ n’était pas forcément de monter une exposition en ligne. Cela dit, la nature des œuvres qui semblaient avoir une même matrice – qui est la notion d’isolement de l’artiste – et l’impossibilité de les rassembler physiquement dans ce contexte logistique et humain nous ont naturellement conduits vers une exposition en ligne. » C’est donc en faisant défiler les images sur le site de la galerie Thomas Dane que le visiteur peut déambuler entre les œuvres de « SCREEN TIME », dont émane, en dépit des différents sujets et médiums, une même sensation d’intimité et d’ouverture vers un espace-temps fantasmé par chacun des trois artistes. Confiné en Bourgogne, Abraham Cruzvillegas, qui avait exercé en tant que caricaturiste politique, démarre d’un trait calligraphique libre et éthéré pour faire fleurir, au creux de son papier, des silhouettes de primates, macaques, singes, gorilles qui ramènent l’artiste à ses sculptures et son amour de la calligraphie. À travers sa série Primate Change Denial aux accents d’écriture automatique, Cruzvillegas crée une sorte de communauté familière dont le langage éminemment solidaire et social s’érige au milieu du chaos ambiant comme des rêves éveillés. De son côté, avec Family Ruins, Michael Landy laisse libre cours à ses aquarelles pour le conduire sur les sentiers oubliés de l’Irlande, son pays natal, dont il réinvente les paysages d’où émanent des maisons délaissées comme autant de corps à l’abandon. Sur les pas des peintres du courant académique datant des XVIIIe et XIXe siècles, Landy se laisse donc fasciner par les ruines d’une vie simple auxquelles, par ses verts chatoyants, il redonne une certaine ampleur.

Wrestlers07, 2020. Acrylique sur papier, 21x27,7cm ©️ Akram Zaatari - Avec l’autorisation de l’artiste, de la galerie Sfeir Semler et la Thomas Dane Gallery

Les lutteurs de Zaatari

Enfin, Akram Zaatari propose une série de douze acryliques sur du papier Canson millimétré, « douze, simplement parce que c’est ce que contenait le paquet que j’avais chez moi », dit-il, et dont chacune représente une scène de lutte turque. Dans le cadre de ces matches qu’accueille principalement la ville d’Erdine depuis le XIVe siècle, les lutteurs, appelés pehlivans (« héros », en perse), sont nus, la peau enduite d’huile, et seulement vêtus d’une culotte en peau de vache huilée (la kispet) qui, une fois déchirée, disqualifie le combattant. Couchés sur les carreaux de leurs canevas, les corps-à-corps des lutteurs de Zaatari sont des représentations de fragments de vidéos glanées çà et là sur YouTube. Seulement, une fois passés sous les éclaboussures à l’acrylique de l’artiste, ces bals de corps semblables à des fresques, ces peaux qui se frôlent se superposent et s’entrelacent jusqu’à presque devenir une, évoquent justement et à rebrousse-poil cette époque qui nous assigne à la distance, la solitude et l’impossibilité de se rapprocher de l’autre. Ces illustrations-là sont des appels à l’étreinte, quand bien même ce n’est pas le propos de cette discipline ou de ces images. Par-delà cette notion-là, Akram Zaatari renoue surtout avec ses travaux aux côtés de Hachem el-Madani ou encore sa série Bodybuilders (2011), dans la mesure où les accolades des lutteurs installent indéniablement une ambiance homo-érotique, pourtant jamais formulée dans le cadre de ces matches, interrogeant ainsi, et une fois de plus, les soupentes de la masculinité à travers des produits sociaux ritualisés.

*« SCREEN TIME », exposition virtuelle organisée par la galerie Thomas Dane, à l’adresse suivante : https://onlineexhibition.thomasdanegallery.com/screen-time/

Au courant du mois d’avril 2020, alors que le monde entier était mis sous cloche pour cause de la pandémie du Covid-19, L’Orient-Le Jour invitait huit artistes libanais à partager dans ses colonnes une image de leur intimité en ces temps de confinement. Parmi eux, Akram Zaatari avait choisi d’envoyer la photo d’une illustration sur papier Canson millimétré représentant une scène...

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