
Depuis bientôt un an, les banques libanaises ont imposé des restrictions bancaires illégales et informelles sur les comptes des déposants, empêchant ainsi ces derniers d’accéder librement à leurs économies. Joseph Eid/AFP
Cela va bientôt faire un an que les Libanais subissent de plein fouet les restrictions imposées par leurs banques. Des restrictions qui limitent plus spécifiquement l’accès à leurs dépôts en devises. Ces restrictions se sont amplifiées avec le temps sans que le Parlement n’intervienne pour les légaliser, laissant de nombreux déposants à la merci des choix discrétionnaires pris par leurs établissements bancaires. « Moralité, des clients se sont vu injustement refuser l’accès à leurs économies par leurs banques, tandis que d’autres ont pu les faire transférer en douce hors du pays », regrette Me Fouad Debs, avocat au sein de Debs et associés et qui fait partie de la vingtaine de membres actifs composant la Ligue des déposants. Née d’abord en tant que mouvement au sein de la contestation populaire contre la classe dirigeante qui a éclaté le 17 octobre 2019, et déclarée cette année au ministère de l’Intérieur et des Municipalités, la Ligue des déposants ambitionne de rassembler suffisamment de clients de banques lésés pour s’inviter à la table des négociations portant sur le redressement de l’économie libanaise et la répartition des pertes accumulées par l’État, les banques et la Banque du Liban (BDL).
Milliers de déposants lésés
L’association affirme avoir déjà été contactée par des milliers de clients de banques libanaises qu’elle assiste bénévolement – les clients ne prennent en charge que les frais de justice incompressibles – dans leurs démarches pour obtenir gain de cause dans des litiges concernant l’accès à leurs dépôts. « Nous assistons les déposants qui viennent nous voir, peu importe leur profil, du moment qu’ils sont de bonne foi. Ce qui se passe est terrible parce que les personnes les plus vulnérables, celles qui ont parfois économisé toute leur vie alors qu’il n’y a pas de système de retraite universel au Liban, sont frappées de plein fouet », ajoute Me Debs.
Courant juillet, le directeur général démissionnaire du ministère des Finances, Alain Bifani – qui a également claqué la porte de l’équipe libanaise négociant avec le Fonds monétaire international le déblocage d’une aide financière –, avait affirmé dans la presse internationale qu’entre 5,5 et 6 milliards de dollars avaient été envoyés « en contrebande » hors du pays par « des banquiers qui n’autorisent pas aux déposants de retirer 100 dollars ». Une situation rendue possible, selon plusieurs juristes contactés par L’Orient-Le Jour, par le fait que le Liban n’a toujours pas adopté de loi qui établisse de contrôle formel des capitaux.
« Avec beaucoup d’arrogance, une majorité de banques jouent sur ce vide juridique, qui fait que, d’une part, on ne peut pas légalement leur reprocher d’accéder aux demandes de leurs clients privilégiés, la loi libanaise garantissant la propriété privée ; et, d’autre part, il n’y a pas de manière simple de les obliger à accéder aux demandes de leurs clients plus modestes sans passer par un long procès », résume un autre avocat, sous le couvert de l’anonymat.
« Sans loi bien adaptée aux enjeux, il est infiniment plus compliqué pour un déposant de faire valoir ses droits en justice, surtout s’il est dans l’urgence. Les procédures sont longues : il faut compter plusieurs mois pour un jugement en référé qui permet qu’une solution, au moins provisoire, comme contraindre la banque à libérer les fonds demandés par le client, soit prise avant un jugement sur le fond de l’affaire, qui, lui, peut se faire attendre encore plus longtemps », poursuit-il. « Les banques ont, elles, tout le loisir de faire appel des décisions adoptées à leur encontre, ce qui leur permet de retarder encore plus l’échéance. Et ce même pour les demandeurs qui, résidant à l’étranger, ont parallèlement lancé une procédure devant une juridiction de leur pays d’accueil », rebondit un troisième juriste.
Face à la multiplication des litiges, l’Association des banques du Liban (ABL) s’est contentée de mettre un numéro de téléphone et une adresse e-mail en service pour recueillir les réclamations, pour lesquelles elle assure intervenir auprès des banques concernées, parfois avec succès.
En attendant, de nombreux déposants tentent quand même leur chance devant les juridictions du pays. La dernière affaire en date, rapportée par une source proche du dossier, tranche avec les précédentes. Des poursuites ont été engagées par l’avocat général près du parquet financier, Jean Tannous, une première. La procédure vise la Byblos Bank et le président de son conseil d’administration au motif que la banque n’a pas accepté qu’une cliente rembourse son prêt contracté en dollars en reversant l’équivalent des mensualités dues en livres libanaises au taux officiel, lui appliquant le taux de 3 900 livres imposé par la BDL pour certains types de transactions. Selon la source, la banque aurait alors ponctionné le compte du garant du prêt. Contactée, Bank Byblos n’a pas encore officiellement communiqué sur le sujet. À noter que différentes banques sont visées par des procédures lancées par des déposants, parmi lesquelles BLOM Bank, Bank Audi, SGBL, BankMed...
Actuellement, certaines banques tentent d’étouffer dans l’œuf les litiges en proposant aux déposants l’option du chèque bancaire, qui n’est toutefois encaissable qu’au Liban. « Les banques se dégagent de leur responsabilités en émettant des chèques bancaires tirés sur la BDL, alors que, financièrement, la valeur du chèque bancaire sur le marché ne représente pas le montant du dépôt et que la remise du chèque bancaire au déposant ne vaut pas extinction de la créance puisque seul l’encaissement éteint la créance », précise l’avocat aux barreaux de Beyrouth et de Paris, Jad Kobeissi.
Des restrictions de plus en plus dures
L’affaire visant Byblos Bank « n’est ni la première ni la dernière affaire de ce type. Le pire, c’est que cette situation perdure depuis environ un an sans que les autorités ne bougent le petit doigt », s’agace un des avocats interrogés. Il évoque à titre d’exemple la récente intervention du président de la commission des Finances et du Budget, le député Ibrahim Kanaan, qui « a fait mine de découvrir » que l’absence de réglementation posait problème. L’élu a en effet affirmé, le 13 juillet, que le Parlement n’était « pas prêt à augmenter les restrictions imposées aux déposants sans un plan clair préparé par les banques et l’État », rappelle l’avocat anonyme précité. « Les restrictions sont déjà monstrueuses pour le commun des déposants. Mais le Parlement ne semble pas avoir de problèmes de conscience à perdre encore plus de temps en débattant d’une question dont l’ensemble des contours et des enjeux ont déjà été identifiés », accuse-t-il encore.
Apparues depuis août dernier, au moment où la BDL puis le secteur bancaire ont commencé à limiter la quantité de dollars injectés sur le marché, ces mesures ont d’abord pris la forme de limitations sur les plafonds de retraits en devises – variables d’un établissement à un autre – pour graduellement monter en intensité au fil des mois qui ont suivi. Il a fallu attendre le mois de novembre suivant pour que l’ABL – à qui la loi n’accorde aucune compétence en la matière – légitime l’existence de ces restrictions, alors qualifiées de « temporaires ». L’association s’apprêtait, à ce moment-là, à ordonner la réouverture des agences du pays, dans le sillage des événements liés à la contestation populaire du 17 octobre. Peu encline à admettre que le secteur traverse une crise de liquidités qui couvait depuis fin 2017, elle se réfugiait en outre en partie derrière ces événements pour justifier la mise en place de ces mesures.
Les transferts vers l’étranger sont alors limités aux dépenses « urgentes » que le déposant devra justifier ; les plafonds de facilités bancaires accordées aux entreprises sont limités voire supprimés tout comme ceux déjà imposés pour les retraits de dollars en espèces, que ce soit au guichet ou via les distributeurs automatiques de billets, qui seront encore plus réduits au fil des mois. Pour faire passer la pilule, l’ABL inaugure, en novembre, le concept de « fonds frais », montants en devises déposés sur des comptes spéciaux institués pour l’occasion et soumis à aucune restriction, par opposition aux comptes en « dollars libanais », soit les dépôts sur lesquels les banques ont adopté le plus de restrictions, parce qu’elles n’ont pas ou plus les liquidités nécessaires pour les couvrir. Cette mesure ne sera légitimée que le 9 avril 2020, via une circulaire de la BDL (n° 150).
Clou dans le cercueil
Les derniers clous dans le cercueil des droits des déposants ont été plantés dans le sillage du confinement lié au Covid-19, mi-mars. D’abord en mars, quand les banques ont tout simplement arrêté de donner des dollars en espèces à leurs clients et que la BDL a commencé à publier des circulaires permettant de retirer des « dollars libanais » à un taux supérieur à celui du marché, sous certaines conditions (circulaires n° 148 et n° 151, notamment). Puis, au fil des mois qui ont suivi, lorsque les autorités ont peu à peu permis aux agents de change agréés de carrément limiter l’accès aux devises – pour ceux qui n’ont que des livres libanaises à échanger et qui ne veulent pas payer le prix fort du marché noir pour acheter des dollars – à certains cas de figure très limités.
« Cette délégation de pouvoir est un des signes qui trahissent l’absence totale de volonté politique de formaliser le contrôle des capitaux », considère le premier avocat précité. La situation est encore plus compliquée, pour les déposants, depuis avril, date depuis laquelle les sociétés de transfert d’argent doivent convertir en livres à un taux inférieur à celui du marché noir les montants en devises qui sont transférés à leurs clients au Liban. Cette décision pourrait toutefois être remise en question sous peu, selon des sources proches de la filière, qui soulignent néanmoins que la mesure devrait être accompagnée d’une hausse des frais de transfert.
Pour ne rien arranger, la mise en place de restrictions bancaires – qui constituent en outre autant d’entorses non seulement au régime d’économie libérale consacré par la Constitution et la loi mais aussi à l’égalité des citoyens face à la loi – s’est faite sans que le législateur ne bouge le petit doigt. Malgré quelques timides tentatives – à l’image du projet de loi présenté par le député de Zahlé, Michel Daher, en novembre dernier –, les parlementaires n’ont jamais sérieusement milité pour l’adoption d’un texte organisant le contrôle des capitaux.
L’exécutif a, lui, préparé un projet de loi. Mais il a finalement été retiré par le ministre des Finances, Ghazi Wazni, membre du mouvement Amal du président du Parlement Nabih Berry, qui a clairement affirmé son opposition à l’adoption d’un tel texte, pourtant réclamé par le Fonds monétaire international, avec qui le Liban négocie depuis mai le déblocage d’une assistance financière. Les intentions du gouvernement concernant ce dossier ne sont pour l’instant pas claires. Enfin, la BDL, qui est autorisée par le Code de la monnaie et du crédit à entériner temporairement ces mesures quand elles ont été prises et pendant un laps de temps limité devant justement permettre aux députés de réagir, n’a pas non plus pris l’initiative.
Pour le second avocat précité, l’adoption d’une loi formalisant le contrôle des capitaux effraie la classe politique « parce qu’elle supprimera de facto une partie de ce qui reste du secret bancaire dans le pays et qui n’est plus opposable qu’aux autorités du pays, compte tenu des différents textes que le Liban a adopté en matière d’échanges d’informations fiscales ou de lutte contre le blanchiment d’argent et de financement du terrorisme ».
Oui... depuis un an... pas de justice et pas de répit pour les épargnants. Les banques, la BDL continuent de prendre et retenir notre argent qui fût pourtant "frais"... Ce sont des "magiciens". Imaginez!! Nous leur avons confiés des $ US et ils les ont transformés en livres libanaises. Wow. Pauvres de nous!! Pire pour ceux qui n'avaient déjà pas grand-chose. C'est... au moins affligeant. La Justice est à ce point complice de cette mafia politico-religieuse????
17 h 17, le 27 juillet 2020