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Grands mots vs gros mots

Guerres classiques, guerres économiques et financières, guerres idéologiques, nulle épreuve n’aura été épargnée ces dernières années à notre pays. Alors que la galère nationale prend eau de toutes parts et que se multiplient les pertes d’emplois et autres cataclysmes sociaux, c’est à la guerre des mots que l’on trouve encore moyen de s’adonner éperdument.


Les mots, ce n’est pas rien, pourtant. Il en est qui, sans la moindre équivoque, disent exactement ce qu’ils veulent dire, même s’ils tombent invariablement dans l’oreille d’un sourd. C’est d’un gros calibre qu’usait récemment, en plein Sénat, le ministre français des AE pour dire son irritation de l’inertie des autorités locales face au chantier des réformes. Encore plus claires, voire carrément menaçantes, sont les mises en garde répétées du secrétaire d’État américain. Et à l’heure où piétinent les négociations avec un Fonds monétaire international lui aussi excédé, et où le gouvernement libanais en appelle, en vain, à la générosité des monarchies pétrolières du Golfe, c’est la Ligue des États arabes qui, à son tour, sort de ses gonds : pensez donc, la Ligue, cette championne incontestée des formules creuses ou passe-partout, dont le secrétaire général vient de fustiger une classe politique libanaise plus préoccupée de ses intérêts que de ceux d’un pays en grand péril !


Pour parer à cette volée de bois vert multinationale, c’est à la langue de bois qu’a recours Hassane Diab : habité par un grave complexe de persécution, le Premier ministre ne cesse de se dire la victime d’une malveillante cabale visant à le couper des bienfaiteurs potentiels. Il n’est pas seul toutefois, au sein du pouvoir, à se couper lui-même des réalités, voire de toute logique. Éloquentes à cet égard sont certaines réactions au projet de neutralité du Liban avancé le 5 juillet par le patriarche maronite, et amplement explicité par la suite ; dans l’intervalle, le prélat s’entretenait en tête à tête avec le président de la République, qu’il avait adjuré de mettre fin au siège dont est l’objet la libre décision nationale.


Les deux bords, comme on sait, se sont accordés à souligner que l’entretien n’avait pas donné lieu à un désaccord mais à de simples divergences de vues : bravo pour ce petit chef-d’œuvre de casuistique, sans doute commandé par la gravité du moment, autant que par les astreintes protocolaires; mais il faudra bien, tout de même, que l’on nous explique la différence. Il y a plus fort cependant, et c’est l’assurance, prodiguée par les services du palais de Baabda, que la présidence est ouverte à toute initiative, pourvu seulement qu’elle bénéficie d’un consensus national. L’imprudente assertion que celle-ci ! Car c’est bien au nom de déclaration de Baabda que répond le vieil et solennel engagement contracté par toutes les parties libanaises, de mettre le pays à l’abri des tensions régionales, et qui a été foulé aux pieds par le Hezbollah. On vous le demande, dès lors, Monsieur le Président, qu’était donc devenu ce consensus national quand, à la frontière sud comme en Syrie, cette milice s’arrogeait la décision de paix ou de guerre, embarquant le pays tout entier dans l’aventure ? Où est-il de nos jours, ce consensus, quand vos alliés s’acharnent à traîner de force le Liban (et accessoirement votre bienheureux régime) pour l’arrimer au camp iranien et l’exposer ainsi aux sanctions américaines, alors qu’il est déjà à genoux ?


Plus dangereuse cependant que ce genre de faux-fuyants, car susceptible d’entraîner des raidissements confessionnels, est la campagne de protestations et même d’accusations, lancée sous forme d’envois de délégations, de communiqués, de prêches ou de messages sur le web, et visant, nommément ou non, le patriarche Raï. Campagne menée de bien mauvaise foi, c’est bien le cas de le dire, du moment que le chef de l’Église maronite a défini avec la plus grande précision les implications – mais aussi les limites, imposées par la cause palestinienne – du statut qu’il prône pour le Liban. Et qui est rigoureusement conforme à la nature, comme à la vocation de ce même Liban.


On retiendra pour la fin la belle envolée à laquelle se livrait jeudi l’ambassadeur de la République islamique, parti protester auprès du patriarche des bons sentiments que nourrit son pays envers notre peuple. Entre autres amabilités, le diplomate s’est défendu de toute ingérence de Téhéran dans nos affaires. C’est dommage pour le piquant de l’épisode, il n’est tout de même pas allé jusqu’à parler de… neutralité, face aux querelles entre Libanais.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

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