« Quand j’ai intégré le campus des sciences sociales de l’USJ à Huvelin il y a quelques années, j’ai été frappée de constater qu’au moment des élections estudiantines, les partis politiques ramenaient toujours le sujet à des questions confessionnelles : au lieu d’avoir des débats et des discussions politiques, on voyait des clans religieux s’affronter. Et chaque année, c’est le même scénario. Dès que je suis entrée en 2e année de droit, je me suis rendu compte de la nécessité de faire naître un mouvement indépendant qui représenterait de nouvelles valeurs et idées politiques. C’est ainsi que j’ai cofondé Taleb, la plateforme électorale du club laïc de l’USJ. Pour lutter contre la bipolarisation 8 Mars/14 Mars, nous avons proposé une liste électorale présentant nos propres idées : la laïcité, la démocratie participative et la justice sociale.
Pour changer les choses, il faut un mouvement politisé ; il ne suffit pas d’être contre les partis politiques traditionnels, ni être indépendant par défaut. Il faut en revanche promouvoir des idées nouvelles. Le problème, c’est que les jeunes n’ont pas assez leur place dans la politique du pays. Même quand ils sont affiliés aux partis traditionnels, on ne leur accorde pas la liberté d’apporter des idées nouvelles : ils se limitent à être les porte-voix de leur “zaïm”. Les jeunes ne peuvent pas ainsi exprimer leurs opinions, ce qui est également le cas au sein de l’Université libanaise, où il n’y a pas eu d’élections estudiantines depuis une dizaine d’années, du fait de l’absence d’accord entre les partis politiques traditionnels sur une procédure électorale à leur avantage.
À l’USJ, pendant les élections, c’est toujours pareil : après les résultats, les bouteilles d’eau volent d’un camp à l’autre, les étudiants se bagarrent, les disputes éclatent et la police, parfois même l’armée, se trouve forcée d’intervenir. Je me souviens qu’un jour, il y avait une conférence organisée par l’amicale de notre faculté, au cours de laquelle j’avais partagé une opinion durant le débat. Ensuite, un conflit a éclaté à l’extérieur et un membre d’un parti du 14 Mars est venu me voir et s’est senti tellement offusqué par mes idées qu’il s’est mis à me hurler dessus et à me menacer, juste parce que nous ne partagions pas les mêmes opinions. Une année, les élections ont même été annulées à cause de ces problèmes liés au confessionnalisme. Depuis, les étudiants de Huvelin n’ont plus le droit d’être présents dans le campus pendant les élections. C’est quelque chose qui m’attriste. Je pense que nous n’arriverons pas à construire un meilleur Liban avec ces partis politiques traditionnels confessionnels. Il est temps que les jeunes se politisent et qu’ils réalisent que ce que font les 14 et 8 Mars n’est pas de la politique.
Par ailleurs, il y a toujours des gens qui ont une vision fausse de la laïcité : ils la confondent avec l’athéisme, par exemple. Il y a une incompréhension : les gens pensent qu’être pro-laïcité, c’est être contre les religions, alors que c’est simplement le désir de séparer la religion de l’État, tout en préservant leurs droits de citoyen, leurs droits civiques. C’est pour cela que je me bats pour des idées de justice sociale et de démocratie participative, que j’associe à la laïcité. En effet, la laïcité pourrait nous permettre d’atteindre une certaine justice sociale en rompant la chaîne du clientélisme, elle-même basée sur le confessionnalisme. Par ailleurs, pour atteindre la justice sociale, il faut également redynamiser les classes moyennes et développer une économie productive reposant sur les secteurs primaire et secondaire. Ainsi, on pourra lutter contre l’oligarchie constituée de 2 % de la population libanaise qui domine les 98 % restants.
Heureusement, depuis la révolution du 17 octobre, les perceptions ont commencé à changer. Et avec la crise actuelle, je pense qu’une grande partie des gens ont compris que c’est le confessionnalisme qui nous a amenés à cette situation. Les partis politiques traditionnels utilisent le confessionnalisme pour rester au pouvoir, en séparant les gens selon l’adage “diviser pour mieux régner”. Mais je suis convaincue que justice sociale et laïcité sont deux concepts qui peuvent changer les choses. À mon échelle, je vois beaucoup de jeunes autrefois partisans de partis traditionnels changer leur vision des choses après les débats et les conférences. Je connais au moins une dizaine de personnes qui étaient contre nos idées et qui ont fini par quitter leur parti. Je crois que ce qui plaît aux jeunes dans la laïcité, c’est l’égalité qu’elle génère et les droits qu’elle procure, tout en protégeant les minorités et en leur assurant une liberté d’action.
À l’USJ, il y a maintenant trois tendances : 8 Mars, 14 Mars et indépendants. Pour continuer à promouvoir nos idées, il ne suffit pas de faire campagne sur les campus et fonder des clubs, il ne suffit pas de donner des conférences. Ce qui est important, c’est de créer des mouvements étudiants indépendants et laïcs et de les pousser à collaborer entre les universités. Il faut coopérer et travailler à une vision plus globale qui dépasse notre seul environnement. La mobilisation est très importante : pendant la thaoura, alors qu’elle paraissait s’être éteinte, elle a été ravivée par des milliers d’étudiants de nombreuses universités qui ont manifesté ensemble sur la place des Martyrs, venant de toutes les universités du Liban. C’est ainsi que, petit à petit, on va changer les choses et les conceptions au niveau national. Car nous aussi, nous voulons être présents en politique, parce que c’est notre pays aussi bien que le leur. »
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commentaires (6)
Les élections venues les libanais vendus qu ils sont à 80 % éliront de nouveaux les mêmes dinausaures au pouvoir à coup de 50$ la voix; les avions privés chercheront l argent de la suisse pour remettre en fonction les joumblat les gemayel les Berri et l’ im(bassile) et cetera فالج لا تعالج
Robert Moumdjian
20 h 01, le 26 juillet 2020