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Moyen-Orient - Dossier César

« Au moins, on sait qu’il ne souffre plus sous la torture »

Des milliers de familles syriennes ont pu identifier leurs proches disparus dans les geôles du régime.

« Au moins, on sait qu’il ne souffre plus sous la torture »

Un membre de l’Organisation syrienne pour les victimes de la guerre lors d’une exposition à Genève en 2016 affiche des photos prises par le transfuge César documentant la torture de détenus par le régime Assad. Archives AFP

Abou Iyad espérait revoir son fils. Il a frappé à toutes les portes des branches sécuritaires de Damas pour recueillir la moindre information, précieuse mais aussi coûteuse, qui aurait pu le mener vers lui. Lorsqu’il apprend enfin, après trois mois, qu’il est emprisonné à l’hôpital militaire de la branche 601 à Mazzeh, le père de famille n’a pas les moyens de débourser les 1 500 dollars exigés par des officiers sans vergogne pour pouvoir le voir. Rongé par la tristesse et l’impuissance, Abou Iyad succombe à la maladie un an après l’arrestation de son fils. « Il avait l’habitude de rester debout jusqu’au petit matin, pour prier et implorer Allah de lui permettre de revoir Iyad. Au moins il est au paradis avec lui, j’en suis sûre maintenant », raconte Zeina*, sa fille. Résidant en zone du régime, elle a d’abord hésité à raconter son histoire par crainte de représailles. C’est elle qui a reconnu la photo de son frère parmi les 55 000 clichés diffusés par le célèbre photographe César. Dès 2011, son travail consistait à répertorier les détenus tués et il lui arrivait très souvent de photographier jusqu’à 50 corps par jour, jusqu’à sa défection en août 2013.

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Depuis l’annonce le 17 juin par les autorités américaines d’une première liste de noms et d’entités placés sous sanctions car affiliés au régime syrien, les photos de détenus torturés et assassinés sont réapparues sur la toile. Ces corps parfois dévêtus et brutalement mutilés sont ceux de prisonniers qui avaient été arrêtés dès 2011 pour leur participation aux manifestations contre Bachar el-Assad. Certaines photos avaient été publiées par des sites d’informations locaux en 2015 et par des organisations des droits de l’homme, mais de nombreuses familles ignoraient jusque-là leur existence.

Dossier funèbre

Des milliers de Syriens revivent aujourd’hui le traumatisme de la perte d’un proche. Si certains parviennent enfin à faire leur deuil, pour d’autres le choc est tel qu’il peut être fatal. Nader Abboud, un déplacé à Idleb, est décédé après un AVC en retrouvant la photo de son fils unique Youssef, visiblement mort sous la torture, disparu depuis 2013. La mère d’Abdelkader Kurdi, elle, a succombé à une crise cardiaque en reconnaissant son fils parmi les dizaines de milliers de clichés macabres. Zeina n’a toujours pas dit à sa mère qu’elle a retrouvé la photo d’Iyad. Et puis, elle n’est pas tout à fait sûre que ce soit lui, même si, avec son frère aîné, ils ont pleuré toutes les larmes de leur corps en voyant l’image. Les détenus sont tellement maigres et roués de coups que le doute subsiste. La jeune femme a aussi beaucoup hésité avant de se plonger dans ce dossier funèbre, poussée par le mari de sa tante qui a retrouvé la photo de son père. « Je voulais arrêter d’espérer son retour alors qu’il était sûrement mort », confie-t-elle. En juin 2012, Iyad, 31 ans et père d’une petite fille, n’est jamais revenu après une journée de travail comme les autres. Il n’a plus répondu aux appels de sa femme, terrifiée. Puis le téléphone s’est tu. Leur ville, Daraya, localité emblématique de la banlieue de Damas, est en ébullition. Puisqu’il est chauffeur dans l’une des branches sécuritaires de la région, sa famille s’imagine d’abord qu’il a été enlevé par des manifestants. Mais elle apprend vite qu’il se trouve aux mains des moukhabarat qui l’accusent d’avoir coopéré avec des protestataires. « Je ne sais pas s’il était anti ou prorégime Assad, mais je sais que c’était un homme bon qui n’aurait jamais fait de mal à un chat. Il n’a jamais parlé de ce qu’il voyait ou de ce qui se passait pendant ses heures de travail », raconte Zeina.

Vivre dans l’espoir

Abou Mazen a mis plus de trois heures avant de tomber sur la photo de son frère Abdelbasset, après huit ans de silence complet. « Je l’ai envoyé à mes autres frères réfugiés au Liban pour qu’ils confirment, et nous étions malheureusement unanimes », raconte-t-il. Le jeune homme de 26 ans a été enlevé le 31 décembre 2012 à Tartous en pleine rue avec son père, qui sera relâché six mois après. Abdelbasset est quant à lui envoyé vers la branche 215 d’un centre de détention à Kfar Soussé, dans la banlieue de Damas. « On vivait dans l’espoir parce qu’il arrive que des prisonniers réapparaissent après des années. On a fait appel à des avocats et des informateurs nous ont extorqué de l’argent mais nous n’avons jamais rien su de lui. Jusqu’à la semaine dernière », raconte Abou Mazen. Il a fallu prévenir les enfants du défunt, une fille de onze ans et un fils qui avait un an lorsque son père a disparu. « Nous avons enfin pu lui organiser de vraies condoléances. On se sent mieux émotionnellement car on sait qu’il ne souffre plus sous la torture », dit-il, alors que sa gorge se serre quand il décrit un corps tuméfié, visiblement achevé par une balle dans la poitrine.

Pour mémoire

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Selon des activistes antirégime, plus de 18 000 familles auraient déjà reconnu l’un de leurs proches disparu. La rediffusion de ces photos a provoqué de vifs débats sur les réseaux sociaux, certaines personnes estimant qu’il n’est pas nécessaire de remuer le couteau dans la plaie, alors que d’autres pensent qu’il faut absolument rappeler les atrocités du régime syrien et permettre aux familles de mettre un terme à leur angoisse. « Nous avons retrouvé notre cousin Khaled Hamdan, la semaine dernière. Sur la photo, on comprend qu’il a été étranglé. C’était un homme simple et respectable. Il avait 30 ans », raconte pour sa part Abou Zeid, originaire de Menagh, une ville près de Aazaz. Il continue de faire défiler les photos tous les jours. Il lui reste quatre autres membres de la famille à retrouver...

*Le prénom a été changé.

Abou Iyad espérait revoir son fils. Il a frappé à toutes les portes des branches sécuritaires de Damas pour recueillir la moindre information, précieuse mais aussi coûteuse, qui aurait pu le mener vers lui. Lorsqu’il apprend enfin, après trois mois, qu’il est emprisonné à l’hôpital militaire de la branche 601 à Mazzeh, le père de famille n’a pas les moyens de débourser les...

commentaires (2)

LA JUSTICE INTERNATIONALE DOIT S,EN SAISIR ET JUGER TOUS LES RESPONSABLES DU PLUS GRAND AU PLUS PETIT.

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 00, le 07 juillet 2020

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Commentaires (2)

  • LA JUSTICE INTERNATIONALE DOIT S,EN SAISIR ET JUGER TOUS LES RESPONSABLES DU PLUS GRAND AU PLUS PETIT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 00, le 07 juillet 2020

  • Le meilleur peuple au monde endurant les pires tortures.....la justice neammoins en europe commence a se faire et ces crimes atroces contre l humanite ne resteront pas impunis.......

    HABIBI FRANCAIS

    07 h 23, le 07 juillet 2020

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