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Voleurs d’horizon

«J’ai décidé d’envoyer ma femme et mon fils en Syrie. Là-bas tout est moins cher, tout est subventionné, pas comme chez vous », m’avait confié, avec un sourire de commisération, le brave gardien d’immeuble. Chez nous, la monnaie entamait déjà sa descente aux enfers et tout devenait de plus en plus inabordable. Je m’étais demandé comment faisait l’exsangue régime syrien en son pays exsangue pour pouvoir encore subventionner si avantageusement la farine, le fuel et les logements sociaux. La réponse est là, cruelle, quand on voit dans certains réseaux de solidarité un père de famille troquer un lit d’enfant contre deux unités de lait, ou des voitures s’aligner sur des kilomètres, attendant leur tour de récupérer à Jbeil une caisse de nourriture qui ne fera même pas la quinzaine. Des gens qui, hier encore, vivaient décemment, dignement, et qui se retrouvent en détresse aiguë dans l’indifférence totale des responsables de l’État. Comment peut-il être demandé au minuscule, au si fragile Liban, de contribuer aussi massivement à la remise à flot d’une Syrie qui fait dix-huit fois sa taille, quatre ou cinq fois son nombre d’habitants et qui peut l’engloutir de ses propres ressources ?

« Nous ne laisserons pas tomber nos frères syriens », a dit le chef du Hezbollah, tandis que plane sur les deux pays l’ombre de César qui a vu et montré l’insoutenable : le raffinement sadique du régime syrien et de ses suppôts. Certes, mais en retour, la Syrie a-t-elle jamais fait quoi que ce soit pour les Libanais, à part les extorquer, manipuler leurs dirigeants véreux, abuser de sa force pour ouvrir et fermer les frontières terrestres au gré de ses humeurs et se défausser de sa population indésirable sur son petit voisin ? Hassan Nasrallah a souligné par ailleurs, en substance, que les sanctions charriées par la loi portant le pseudonyme du courageux témoin occasionneront des souffrances aux deux peuples sans pour autant ébranler les pouvoirs en place. Nous voilà officiellement otages et boucliers humains pour la survie de figures et de systèmes politiques archaïques et désastreux, jumelés à la manière de deux pièces de domino appuyées l’une à l’autre et enfoncées dans nos propres chairs pour tenir. Ne connaîtrons-nous jamais de répit ? Est-il écrit que nous ne soyons venus au monde que pour servir les desseins et les ambitions d’une caste malhonnête et malfaisante dont les membres n’ont pour argument politique que la défense des droits de leurs communautés respectives ?

Ce qu’il nous reste à faire, nous le savons. Nos manifestations seront sans cesse infiltrées et dévoyées, mais nous continuerons. Nos gorges seront bientôt écorchées, mais nous crierons : qui ne dit mot consent. Leurs oreilles frémiront, mais nous ne tairons ni notre dégoût ni notre mépris. À leur « je pense donc je nuis », nous opposerons nos innombrables groupes de réflexions qui bourdonnent en tous sens, mais qui finiront par accoucher de stratégies viables et satisfaisantes pour tous, dès lors que l’État vache-à-traire n’aura plus de quoi financer les passe-droits. Par-dessus tout, et c’est un appel à tous les créatifs, continuer à produire, continuer à inventer, du fond de notre désarroi, envers et contre tout et tous, nourrir l’imagination, polir l’esprit au contact de l’autre, partager encore et encore les idées et tout ce qui se partage, faire en sorte, avec vigilance, que l’urgence matérielle ne détruise pas notre dimension intellectuelle, réapprendre doucement, comme des convalescents, à dépasser les clivages communautaires qui ont nourri les monstres qui nous gouvernent, prendre le temps de la gestation. Nous aurons un pays, digne de nos enfants autant que de ceux qui ont eu l’audace de le concevoir un siècle plus tôt. Et même si nous n’y œuvrons pas, la marche du monde s’en chargera.

«J’ai décidé d’envoyer ma femme et mon fils en Syrie. Là-bas tout est moins cher, tout est subventionné, pas comme chez vous », m’avait confié, avec un sourire de commisération, le brave gardien d’immeuble. Chez nous, la monnaie entamait déjà sa descente aux enfers et tout devenait de plus en plus inabordable. Je m’étais demandé comment faisait l’exsangue régime...

commentaires (7)

Quel beau texte chère Fifi!

Rula Rais

09 h 17, le 21 juin 2020

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • Quel beau texte chère Fifi!

    Rula Rais

    09 h 17, le 21 juin 2020

  • Les étrangers repartent, il ne reste qu'à faire partir une bonne partie des libanais, afin que les anti-occidentaux puissent mettre la main sur tout le territoire! Mais ils rêvent !

    Shou fi

    15 h 02, le 19 juin 2020

  • Deux modèles de gouvernance: 1- le Bonheur pour le plus grand nombre. 2- la Misère et ou la Destruction. Depuis que les valeurs humanistes et démocratiques se sont installées dans les sociétés modernes de L’OCDE avec une population de 1.3 milliard; la prédation systémique par les détenteurs du pouvoir est devenue impraticable et hors la loi. Avec la devise "le bonheur pour le plus grand nombre" Malheureusement dans les sociétés hors OCDE avec une population de 6 milliard vivant dans un model darwinistes, où l’instinct de prédation des détenteurs du pouvoir est toujours la norme. La misère et ou la destruction partielle ou totale est une constante. Statistiquement la norme mondiale semble être, la sélection naturelle du prédateur le plus puissant. C'est triste mais c'est ainsi.?

    DAMMOUS Hanna

    16 h 17, le 18 juin 2020

  • Cette révolution sera une réussite le jour où les motocyclistes et porteurs de bâtons qui sévissent sur ordre comprendront que ce ces libanais dans la rue réclament est d’abord le droit de ces derniers à vivre libres, libres de choisir leur leaders et de s’exprimer sans représailles, dans un pays qui assurera l’avenir de leurs enfants et la prise en charge de leurs aînés parce qu’ils en ont le droit le plus absolu et qu’ils n’auraient plus besoin d’aller sacrifier leur vie pour des causes absurdes pour assurer une rente mensuelle à leurs familles qui sera le prix de leur sang si peu mal évalué. L’état a failli. Les libanais affamés ont suivi les plus offrants pour assurer le pain quotidien. Ses derniers sont ils disposés à vivre éternellement dans la peur et l’obligation de mourrir pour que survivent les membres de leurs familles? C’est toute la question. Les réseaux sociaux devraient œuvrer dans pour ouvrir les yeux de ces gens là au lieu de les attaquer pour n’avoir d’autres choix que de mourrir pour permettre une vie douloureuse et médiocre à leurs survivants.

    Sissi zayyat

    11 h 43, le 18 juin 2020

  • Groupes de réflexion ou pas, nous sommes obligés de vivre selon le diktat d'un régime théocratique dont la "Weltanschauung" remonte au 7ème siècle....Bel avenir en perspective pour nos enfants et petits enfants!

    Georges MELKI

    10 h 02, le 18 juin 2020

  • oui ,une main dans celle du voisin et l'autre pour travailler à construire ce que d'autres détruisent afin de redonner courage et moyens aux enfants à venir; l'espoir en tete , la conviction dans les paroles et dans les actes, c'est le Liban ,si petit et si grand !!!!!!!J.P

    Petmezakis Jacqueline

    07 h 40, le 18 juin 2020

  • PLUTOT VOLEURS DE GENS ET DE MAISONS. ILS ONT DEVALISE TOUTES LES FAMILLES LIBANAISES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 59, le 18 juin 2020

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