
À l’entrée principale de Khandak el-Ghamik, les allégeances au Hezbollah et au mouvement Amal. Photo João Sousa
En cette touffeur préestivale, Khandak el-Ghamik semble endormi. Ses ruelles étroites sont désertes. Ses commerces attendent la clientèle. Ses vieilles demeures aux façades dentelées, qui ont subi les outrages de la guerre et du temps, attendent qu’on veuille bien leur donner une seconde vie ou qu’on décide de les détruire si elles ne sont pas classées. Seul résonne le bruit des marteaux-piqueurs dans ce quartier beyrouthin aux nombreux chantiers. Un quartier pauvre, situé à l’intersection de la place Riad el-Solh, du centre-ville, de Monnot, de Basta et de Bachoura. Mais surtout un quartier mixte, majoritairement chiite, connu pour son allégeance à la « haraké » (mouvement Amal) de Nabih Berry et au Hezbollah mené par Hassan Nasrallah.
Khandak el-Ghamik, ou Khandak comme l’appellent affectueusement ses habitants, émerge d’un week-end mouvementé. Un week-end qui a vu la multiplication des mouvements de colère à travers le pays, en réaction à la chute inexorable de la livre libanaise et à l’incapacité du gouvernement d’y remédier. Des centaines de motards ont déferlé vendredi soir dans le centre-ville de Beyrouth, saccageant tout sur leur passage, défonçant les devantures, brûlant les commerces. Montré du doigt, après avoir été accusé à plusieurs reprises d’avoir lancé ses hommes contre la contestation populaire, le quartier réagit. Il entend bien redorer sa réputation et celle de ses jeunes « qualifiés à tort de voyous ».
À l’une des entrées de Khandak, des partisans du Hezbollah expliquent leur volonté de protéger le quartier d’éléments « infiltrés ». Photo João Sousa
En coordination avec les forces de l’ordre
Dimanche soir, ce quartier a carrément bouclé ses entrées. Des hommes en casquettes vertes ou jaunes, aux couleurs des deux partis chiites, se sont postés à ses entrées, derrière des barrières en fer, avec pour mot d’ordre d’interdire l’entrée aux non-habitants. Le tollé est immédiat. « Khandak et ses milices » sont accusés de pratiquer l’auto-sécurité, de privilégier l’État dans l’État et de faire régner la terreur par les armes en installant des barrages. Alors, ce lundi, partisans et miliciens se font discrets. Aux entrées du quartier, plus aucune barricade ni aucun milicien. Mais les hommes veillent, se disant « prêts à protéger leur quartier une nouvelle fois à l’annonce d’une prochaine manifestation » « pour éviter tout débordement et les fausses accusations de semer la discorde ». « Une mesure qu’ils appliquent en coordination avec les forces de l’ordre », promettent-ils, citant l’armée libanaise, les services de renseignements et les Forces de sécurité intérieure. Car ils assurent que « leur jeunesse n’y est pour rien » dans les récentes émeutes qui ont secoué le centre-ville de Beyrouth et d’autres régions. Et que la sécurité adoptée n’a pour objectif que « d’empêcher les infiltrés de se faire passer pour des habitants du quartier, comme ils l’ont déjà fait à plusieurs reprises ».
Dans les dédales de Khandak, avec pour guides des partisans du Hezbollah, le discours est partout le même. « Le déploiement de miliciens et de partisans du Hezbollah et d’Amal aux entrées du quartier avait pour seul objectif d’empêcher les motards venus d’autres quartiers de provoquer la discorde, souligne à L’Orient-Le Jour Ali Assaf, fils du moukhtar de Khandak el-Ghamik. Car ces motards venus d’ailleurs ont saccagé le centre-ville en se faisant passer pour des habitants de Khandak ». Et lorsqu’on évoque les dangers de l’auto-sécurité, ce partisan du Hezbollah rectifie. « Il ne s’agit pas d’auto-sécurité, mais d’une mesure provisoire de protection du quartier prise en coopération avec les forces de l’ordre. » M. Assaf ajoute que les partisans postés aux entrées ne sont pas armés, qu’ils portent des vêtements civils et ne réclament pas les papiers d’identité des passants. « Ils s’assurent juste qu’il s’agit bien d’habitants et non pas de personnes étrangères au quartier venues fomenter des troubles. D’où l’importance de leur rôle auprès des forces de l’ordre car ils connaissent bien chaque habitant, contrairement à elles. »
Dans les rues quasi désertes de Khandak el-Ghamik. Photo João Sousa
Redorer l’image du quartier
Habitants, sympathisants ou miliciens, qu’ils soient commerçants, chefs d’entreprise, ouvriers, garagistes ou autres, saluent tous « cette mesure » qui vise à empêcher la discorde. « Le 6 juin, nous avions déjà frôlé la catastrophe lorsque des motards venus d’ailleurs ont cherché à affronter les manifestants. Nous les en avons empêchés et travaillons depuis, main dans la main avec l’État et les habitants, pour ne pas porter préjudice à la population du quartier », raconte Bilal Abou Daoud, chauffeur de taxi, également partisan du parti de Dieu. « La jeunesse du quartier est par le fait même empêchée de commettre des dérives », renchérit Mohammad Tabbouche, vitrier et technicien en aluminium.
Dans cette action prise conjointement par les deux partis chiites, chacun voit aussi l’occasion de redorer l’image du quartier et regrette sa « mauvaise réputation » qu’il estime surfaite. « Nos jeunes ne sont ni des voyous ni des toxicomanes. Nous sommes des gens instruits. Notre quartier est plein de médecins, d’avocats, d’hommes d’affaires et de travailleurs. Nous vivons en bon voisinage avec le quartier chrétien de Monnot. Et de grandes entreprises ont même installé chez nous leurs quartiers généraux », insiste Ali Rammal, attiré par le rassemblement provoqué par la discussion. Car les habitants du quartier se disent « fatigués » de cette mauvaise réputation qui les poursuit. Au fil des ruelles ornées de portraits des leaders chiites, Khandak raconte surtout son chômage, sa misère, sa survie face à la crise financière, la disparition de ses habitations traditionnelles et la transformation progressive du quartier. Devant leur café aménagé dans une camionnette, lieu de rencontre de la jeunesse du quartier, Ali et Ahmad el-Hussein, proches du mouvement Amal, parlent, eux, « de coexistence et de diversité ». « L’objectif de la mesure conjointe est d’aider les gens à ne pas s’entre-tuer et d’instaurer la paix civile », estiment-ils.
Alors, si les barrières et les hommes ont bien disparu pour l’instant, ils sont fin prêts à être réinstallés, en un clin d’œil, dès la prochaine manifestation.
En cette touffeur préestivale, Khandak el-Ghamik semble endormi. Ses ruelles étroites sont désertes. Ses commerces attendent la clientèle. Ses vieilles demeures aux façades dentelées, qui ont subi les outrages de la guerre et du temps, attendent qu’on veuille bien leur donner une seconde vie ou qu’on décide de les détruire si elles ne sont pas classées. Seul résonne le bruit des...
commentaires (18)
Si je comprends bien c ´est les sœurs des St - cœur. Qui montaient les motocyclettes et vandalisaient le centre -ville. Honte sur vous mes sœurs ....!!!!!!!!
Robert Moumdjian
04 h 24, le 17 juin 2020