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Culture - Hommage

Mythologies chez Thérèse Aouad Basbous

Mythologies chez Thérèse Aouad Basbous

À Rachana, la pierre détient la mémoire des hommes. Photo DR

Une haute statue plate, ouvrage de la main de Michel Basbous, annonce l’arrivée à Rachana, royaume du grand sculpteur et de Thérèse Aouad, l’écrivaine, son épouse. C’est « Orphée », et cette figure du poète portant sa lyre paraît toujours nous dire : « Bienvenue dans l’espace de vie ! » Rachana est en effet un lieu du Liban-Nord, transfiguré par son défunt époux en un espace « métaphysique », par la présence de statues le plus souvent abstraites, porteuses de sens, accueillant les multiples textes de Thérèse (écriture, poèmes, théâtre).

Mais, on a peine à le croire, Thérèse est allée rejoindre Michel, Orphée a retrouvé Eurydice. Se retournant vers lui, elle a glissé il y a quelques jours elle aussi dans l’éternité.

Nous ne pourrons donc plus aller frapper à sa porte, elle ne sortira plus de sa maisonnette confondue au paysage, fondue aux statues, où elle aimait recevoir ses amis, ses admirateurs, ceux de Michel. Nous ne la verrons plus, cheveux poétiquement colorés de teintes solaires, robes cousues de fibres de rêve. Thérèse, le grand écrivain que l’on sait, dans un « haiku » japonais qu’elle m’adressait en juin dernier, offrait un exemple des métamorphoses mythologiques qu’elle affectionnait : « Je suis la Femme/Saisonnière/Mon sang coule dans les rivières/Et mon Amour colore la mer. » Adonis coule sanguinolent, en effet, dans ce poème, depuis la grotte d’Afka jusqu’au littoral, et Thérèse s’y fait divinité renaissante.

Me remerciant pour une photo que nous avions été prendre de la statue d’Orphée sculptée par son époux, elle ajoutait : « Oh quelle merveille, et ce bleu, clin d’œil aux yeux de Michel Basbous. Cette lumière de Rachana qui me projette toujours vers celle de l’Acropole. »

Il est déjà difficile de parler de Thérèse isolément, parce que née dans une famille baignant depuis toujours dans la culture et les lettres. C’était la nièce du premier vrai romancier moderne libanais de langue arabe, Tawfic Aouad, la cousine de Samia Toutounji, autre poète connu, tous deux tragiquement disparus par la criminalité d’hommes manieurs d’obus et de bombes.

Thérèse n’était pas uniquement un écrivain bilingue, trilingue elle publiait autant en français qu’en arabe et qu’en libanais parlé. Elle a marqué, comme disait L’Orient-Le Jour , une transition décisive, faisant jouer la première pièce connue de langage parlé, le surprenant monologue de la (Bobine) « Bakarat ». En une soirée mémorable en montagne, un monologue dans notre idiolecte local, se trouvait soudain transfiguré par la diction et la présence exceptionnelle de Nidal Achkar. Les gens tout autour de nous pleuraient d’émotion, et les acteurs de la troupe belge entouraient et embrassaient affectueusement l’actrice qui y avait donné son âme.

Une grande dame d’écriture s’en est allée, à notre grande peine, une semaine après un géant des lettres libanaises et universelles, Stétié. Le destin a frappé deux fois. Quelques-uns de nos aînés s’en vont.

De Thérèse, je retiendrai entre autres qualités immenses : la fidélité dans l’amitié, la persévérance dans ses travaux et un attachement indéfectible à un conjoint disparu. Puis, dans l’art d’écrire, son amour des langues et des moyens divers d’expression, son recours aux mythologies méditerranéennes et sa démonstration permanente du merveilleux résidant dans la vie même. Une dame qui a donné un apport majeur à son pays, au monde de la culture, de l’art scénique et de la littérature, s’en va.

Chère Thérèse, je relis la manière dont tu définissais spontanément ta manière d’écrire, dans un message de l’été 2019 : « Je n’ai jamais aimé diluer ou raconter. J’aime évoquer le maximum d’émotion en peu de mots, que le mot garde toute sa charge suggestive. Comme je suis tombée sur un livre de “haïkus” japonais, fascinée, sans vouloir copier ni m’astreindre à des règles, gardant mon style et ma personnalité d’écriture, j’ai tenté trois courtes lignes disant le maximum de vision ou d’émotion. J’en écris depuis plus de deux ou trois ans, en arabe et en français, encouragée par ceux qui me lisent et aiment cela, le trouvant correspondre à mon écriture. Lis-tu bien l’arabe ? Je ne traduis pas. Je suis mes saisons d’écriture en suivant la charge de la langue et l’instant du flux émotionnel. Je n’aime pas disséquer ni expliquer. Évoquer est l’essentiel. À bientôt. Thérèse. »

Eurydice ! Il ne nous reste plus qu’un choix à nous, devenus tous Orphée de ces deux disparus : visiter de temps à autre Rachana, afin d’y retrouver, à ciel ouvert, Thérèse et Michel confondus, comme est parallèle le bassin d’eau transparent sans ride, reflétant dans l’espace de leur maison le ciel et la mer.

Une haute statue plate, ouvrage de la main de Michel Basbous, annonce l’arrivée à Rachana, royaume du grand sculpteur et de Thérèse Aouad, l’écrivaine, son épouse. C’est « Orphée », et cette figure du poète portant sa lyre paraît toujours nous dire : « Bienvenue dans l’espace de vie ! » Rachana est en effet un lieu du Liban-Nord, transfiguré par son...

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