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The legal agenda - Janvier 2018

La justice, parent pauvre budgétaire de l’État ?

La justice, parent pauvre budgétaire de l’État ?

Graphe 1 : Distribution des dépenses judiciaires par branche judiciaire dans le projet de budget de 2017

Toutes les écoles de pensée en économie, des plus libérales aux plus interventionnistes, se rejoignent sur le fait que l’État est tenu de garantir le droit d’accès à la justice pour tous. Or ce droit n’est véritablement garanti que lorsque le service public de la justice est menu de moyens suffisants. Qu’en est-il de la situation au Liban ? Quel est le budget alloué à la justice dans ce pays ? Quelle part de la dépense publique représente-t-il, et cette part est-elle satisfaisante au vu des normes internationales ?

Cet article propose de passer en revue et d’analyser les dépenses consacrées à la justice dans ses différentes branches au Liban et leur évolution durant la période d’après-guerre, tout en les comparants aux budgets de la justice dans certains pays européens et arabes.

Il convient de rappeler que le Liban est resté douze ans sans budget, de l’année 2006 jusqu’à l’adoption du budget 2017 en octobre dernier, dans le cadre de pratiques politiques dont l’inconstitutionnalité flagrante ne sera pas abordée dans ce texte.

Les dépenses allouées aux organes judiciaires au Liban

Il faut d’abord préciser qu’il existe huit catégories de juridictions au Liban, dont les budgets proviennent de sources différentes. Les juridictions administrative (Conseil d’État) et judiciaire, ainsi que les juridictions civile et pénale spécialisées, puisent leur budget du ministère de la Justice. La juridiction financière (Cour des comptes) puise son budget de la Présidence du Conseil des ministres. La juridiction militaire puise son budget du ministère de la Défense nationale. Pour sa part, le Conseil constitutionnel bénéficie d’un budget qui lui est propre. La juridiction politique (la Haute-Cour pour juger les présidents et les ministres de la République), quant à elle, n’a pas de budget tant qu’elle n’est pas mise en œuvre.

Les juridictions confessionnelles, elles, se répartissent en deux catégories : d’une part, les tribunaux de la charia sunnites et jaafarites et les tribunaux druzes sont considérés comme faisant partie de l’administration publique de l’État et toutes leurs dépenses sont couvertes par le budget de la Présidence du Conseil des ministres ; d’autre part, les tribunaux ecclésiastiques qui bénéficient de contributions provenant du budget du ministère de la Justice. À toutes ces juridictions s’ajoute le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) créé suite à l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. La résolution internationale de l’ONU instituant ce tribunal a attribué à l’État libanais la responsabilité d’assurer 49 % du budget du tribunal, les 51 % restants devant être assurés par des contributions versées par d’autres pays. Par conséquent, une disposition spéciale propre au TSL fut ajoutée aux projets de budget des années qui s’étendent entre 2008 et 2011, via le ministère de la Justice. Depuis 2012, le financement du TSL a été écarté des projets de budget pour être assuré par d’autres institutions (la Haute commission de secours, la Banque du Liban…).

En analysant les chiffres des dépenses budgétaires allouées aux différentes juridictions (1997-2017), nous relevons tout d’abord que les salaires pèsent considérablement sur les budgets des juridictions judiciaire et administrative. En effet, concernant les tribunaux judiciaires en 2017, 90,25 % des dépenses opérationnelles de la juridiction judiciaire ont été allouées aux salaires. Il en va de même pour la juridiction administrative (Conseil d’État).

Par ailleurs, l’analyse de la nature des dépenses judiciaires montre une nette prédominance des dépenses opérationnelles, soit près de 98 % du total des dépenses judiciaires (budget de 2017), et une faible dépense consacrée à l’investissement. Ces chiffres dénotent l’absence quasi-totale de tout plan de réforme structurelle au sein du système judiciaire, sur les deux plans matériel et humain, et une faible dépense associée aux programmes et projets à moyen et long terme visant à développer les compétences humaines et le travail des tribunaux.

Enfin, si l’on exclut les dépenses du TSL, on remarque que la proportion des dépenses judiciaires par rapport à l’ensemble des dépenses publiques a atteint son niveau le plus élevé durant les deux dernières décennies en 1997, où elle atteint 0,64 %. Alors que cette proportion atteint son niveau le plus bas durant les années 2012 et 2017, où elle est tombée à 0,47%. Si nous faisons abstraction des juridictions à caractère exceptionnel ou confessionnel, qui dérogent au principe du juge naturel, on remarque que la part des dépenses restantes diminue pour atteindre 0,382 % de la totalité des dépenses publiques selon le budget de 2017. Par ailleurs, la part des dépenses des juridictions judiciaires et administratives ne dépasse pas 0,346% de la totalité des dépenses publiques pour la même année.

Comparaisons internationales et régionales

En analysant les chiffres de plus près, on note que la moyenne des dépenses européennes pour le «budget des systèmes judiciaires» est supérieure à l’intégralité des pourcentages des dépenses allouées à la justice au Liban entre 1997 et 2017.

En effet, au Liban, selon le projet de budget de 2012, la part des dépenses judiciaires par rapport aux dépenses publiques a atteint 0,47%, abstraction faite du TSL. Pour la même année, en Europe, le pourcentage s’élève pour atteindre en moyenne 2,2 % avec un maximum de 5,7 % en Irlande du Nord et un minimum de 0,6 % au Luxembourg. Cela signifie que la plus petite part consacrée à la justice, dans un petit pays européen comme le Luxembourg (dont la population est inférieure à celle de Beyrouth sans ses banlieues) demeure supérieure à ce qui est consacré aux dépenses judiciaires au Liban. Il faut également noter que le budget des systèmes judiciaires est de 0,9% en «Israël» et à Chypre et de 1,2 % en Turquie et en Azerbaïdjan. En ce qui concerne les dépenses pour l’année 2014, le tableau no 1 montre les parts allouées au budget des systèmes judiciaires par rapport aux dépenses publiques dans les pays de l’Union européenne, selon les chiffres publiés dans le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) en 2016.

Au niveau des pays arabes, les pourcentages sont également plus élevés qu’au Liban. En 2014, la part des dépenses du ministère de la Justice en Jordanie, par exemple, représentait 0,707 % des dépenses publiques effectives. En Tunisie, cette part atteint 1,42 % en 2014 et 1,68 % en 2016.

En conclusion, il convient de noter que la progression des dépenses allouées aux organes judiciaires et au ministère de la Justice ainsi que la tranche qu’elles représentent par rapport à l’ensemble des dépenses publiques ne signifient pas nécessairement que les pays qui consacrent une part plus importante de leurs dépenses à la justice soient forcément ceux qui disposent des meilleurs dispositifs judiciaires. Ces pourcentages montrent en effet la part des dépenses allouées au système judiciaire et l’importance accordée à la justice par les États dans leur budget, mais ne reflètent pas l’efficacité de ces dépenses, cette dernière supposant l’existence d’autres outils de mesure non abordés ici.

En prenant en compte cette limite, il reste que, budgétairement parlant, la justice, et notamment celles parmi ses institutions qui sont accessibles à tous sans discriminations, n’est pas une préoccupation centrale pour l’État libanais d’après-guerre.

Toutes les écoles de pensée en économie, des plus libérales aux plus interventionnistes, se rejoignent sur le fait que l’État est tenu de garantir le droit d’accès à la justice pour tous. Or ce droit n’est véritablement garanti que lorsque le service public de la justice est menu de moyens suffisants. Qu’en est-il de la situation au Liban ? Quel est le budget alloué à la justice...
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