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The legal agenda - Janvier 2018 - Avant fin 2019, les femmes seront majoritaires parmi les juges

Quid de la discrimination dans la répartition des postes judiciaires ?

Quid de la discrimination dans la répartition des postes judiciaires ?

Depuis le début des années 90, la part des femmes au sein de la justice a nettement augmenté. D’ici 2019, les prévisions indiquent que la parité hommes-femmes sera atteinte. Les femmes deviendront même majoritaires cette année-là.

Dans les années 90, certains responsables au sein du ministère de la Justice avaient pourtant fait part de leur préoccupation quant à la féminisation de la justice. Ils ont été jusqu’à prendre des mesures pour freiner cette évolution, la plus flagrante étant l’exclusion de toutes les candidates du concours d’entrée à l’Institut des études judiciaires en 1993-1994. Mais du fait de plusieurs facteurs, notamment le manque d’effectifs dans la magistrature et l’évolution des mœurs, la présence des femmes est devenue inéluctable même pour les responsables les plus récalcitrants, mettant ainsi fin aux efforts déployés par la hiérarchie judicaire pour inciter exclusivement les hommes à intégrer la justice.

Au-delà des chiffres, la véritable question est de savoir si les femmes exercent les fonctions judiciaires sur un même pied d’égalité que les hommes. N’y a-t-il pas, dans la pratique, une disparité ou une discrimination dans le partage des responsabilités selon les catégories de postes, au niveau de la spécialisation du poste ou de l’affectation géographique ? D’autres questions relatives à la mixité entre les deux sexes dans les instances judiciaires, ainsi qu’à l’impact de l’augmentation du nombre de femmes magistrats sur l’activité judiciaire en général, s’imposent. Elles feront toutefois l’objet d’études ultérieures.

L’évolution du nombre de femmes magistrats au Liban

Le nombre de femmes magistrats au sein de la justice judiciaire a atteint, le 10 octobre 2017 (date du dernier décret de nominations judiciaires) 248, contre 272 hommes. Le tableau no 1 montre que le pourcentage de femmes a augmenté de façon régulière en moins d’un quart de siècle, passant de 15 % à 47,5 %.

Il est prévu qu’une majorité féminine au sein de la justice sera atteinte en novembre 2019 du fait de la réunion de deux facteurs. Le premier est le nombre supérieur de femmes parmi les juges stagiaires actuellement inscrits à l’Institut des études judiciaires (48 femmes contre 25 hommes).

Le deuxième est le nombre supérieur d’hommes parmi les juges dont le départ à la retraite est prévu d’ici fin novembre 2019 (10 hommes contre seulement 2 femmes).

Ainsi, selon un simple calcul, les juges seront répartis à cette date comme suit : 294 femmes contre 287 hommes, à moins d’avoir des nominations directes et soudaines de juges recrutés hors de l’Institut.

La répartition entre sexes des postes judiciaires selon leurs catégories

Nous aborderons ici la question de la répartition entre sexes des postes judiciaires, à la lumière des décrets de nominations et permutations publiés successivement en 2004, 2010 et 2017, cette période ayant connu des transformations majeures quant à l’occupation par les femmes de certains postes judiciaires.

Les postes à haute responsabilité

En ce qui concerne ces postes, nous remarquons une nette prédominance des hommes. En effet, si certains postes restent jusqu’à présent réservés exclusivement aux hommes (comme les postes du président de la Cour de cassation, du procureur général près la Cour de cassation, du procureur général financier, du commissaire du gouvernement près la justice militaire et du premier juge d’instruction près la justice militaire), d’autres ont connu récemment une ouverture même si la présence des femmes y reste très faible. En effet, une femme sur six occupe l’un des postes suivants : les premiers présidents des Cours d’appel, les procureurs généraux près les Cours d’appels et les premiers juges d’instruction. De même, le taux de femmes occupant le poste de présidente de chambre à la Cour de cassation n’a pas dépassé les 1/10. Il convient de noter que c’est en 2010 que les postes à la présidence de la chambre à la Cour d’appel ont été ouverts aux femmes, ainsi que les postes de procureur général près la Cour d’appel et ceux de la présidence de chambre à la Cour de cassation. Il faudra attendre jusqu’en 2017 pour voir les femmes accéder au poste de premier juge d’instruction.

Les postes d’avocats généraux et de juges d’instruction

Ces postes se caractérisent par la capacité de leurs titulaires à prendre des décisions immédiatement applicables en matière de détention des personnes et de libertés individuelles. Ils revêtent donc à la fois une importance sur le plan politique ainsi que sur celui des droits fondamentaux.

Compte tenu de l’évolution historique de la répartition de ces postes entre les sexes, on relève d’abord le fait suivant : l’augmentation du taux d’occupation de ces postes par les femmes est survenue plus tardivement que celle des postes judiciaires moins sensibles.

Il faut signaler que les postes de juges d’instruction étaient, dans le décret de nominations de 2004, entièrement réservés aux hommes. Cependant, le nombre de femmes occupant ces postes a connu une nette évolution dans le décret de nominations de 2017. Leur pourcentage est ainsi passé de 9,5 % en 2010 pour atteindre 32,5 % en 2017.

Et alors que la répartition entre sexes des postes au sein du ministère public a connu un certain progrès à partir de 2003/2004, le taux d’occupation de ces postes par les femmes a connu un réel bond en 2017. Ainsi, nous constatons que le pourcentage d’avocates générales est passé de 0 % en 1993, à environ 15 % entre 2003 et 2017, pour ensuite doubler avec le décret de nominations de 2017, atteignant 32 %.

La présidence des chambres

Ces postes présentent un intérêt particulier pour les juges ayant atteint un certain grade. Leur occupation constitue donc une étape significative dans leur avancement professionnel. Bien que le degré d’attrait pour ces postes varie selon leur nature ou leur situation géographique, nous constatons une augmentation régulière du nombre de femmes les occupant, comme le montre le tableau no 2. Si la présence masculine continue de prédominer à la présidence des chambres de Cours d’appel, les femmes, quant à elles, sont devenues, depuis 2004, majoritaires à la présidence des Conseils prud’homaux et, à partir de 2017, à la présidence des tribunaux de première instance. Cependant, malgré le renforcement de la présence féminine à ces postes, on constate après vérification que l’augmentation la plus importante touche les postes qui traitent essentiellement des affaires civiles, ce qui est le cas de toutes les chambres de première instance, prud’homales et pour une partie des chambres de la Cour d’appel. C’est ce que nous exposerons en détails ci-après.

Les juges uniques et les juges fonciers

Ces postes attirent les juges durant leurs premières années de fonction. Ils préfèrent généralement ces positions à celles de membres au sein des chambres de première instance, ou de conseillers à la Cour d’appel. A la lumière de l’évolution de la répartition de ces postes entre les sexes, nous remarquons que les femmes ont acquis, avec le décret de nominations de 2017, la majorité des postes de juges uniques (58 %) et que leur pourcentage parmi les juges fonciers équivaut au pourcentage de femmes dans la magistrature tel que ressortant du décret de 2017, soit 47 %.

Les postes les moins attrayants pour les juges

Pour parachever cette vue d’ensemble, il reste à examiner la répartition des postes considérés en général comme les moins attrayants pour les juges. Il s’agit des postes de conseillers aux Cours d’appel et à la Cour de cassation, ainsi que les postes de membres des chambres de première instance. Le tableau no 2 montre une majorité écrasante pour les femmes membres des chambres de première instance (71 %), ainsi qu’une nette majorité de conseillers aux Cours d’appel (52 %). Quant au pourcentage global d’occupation de ces postes par les femmes, il atteint 55,5 %.

D’après le tableau no 2, nous pouvons avancer plusieurs conclusions. Durant la dernière décennie, la présence des femmes à divers postes a connu une évolution remarquable, constatée notamment dans le décret de nominations de 2017, qui leur a permis d’investir notamment des postes au sein du ministère public et de la justice d’instruction. Malgré ces progrès, la discrimination à l’égard des femmes demeure claire dans la répartition de certains postes. C’est ce qui transparaît dans l’attribution des postes à haute responsabilité, ou des postes considérés plus sensibles (ministère public et justice d’instruction) dans lesquels le pourcentage de femmes demeure moindre à des degrés différents, par rapport à leur pourcentage global au sein de la justice. Inversement, la part des femmes augmente considérablement dans les postes les moins attrayants, tels que les postes de conseillers et membres de chambres des différents degrés de juridictions.

D’ailleurs, les femmes ont tendance à être majoritaires dans tous les autres postes considérés « non sensibles » et « de moindre importance ». C’est le cas pour les postes de juges uniques et de président(e)s des chambres de première instance et des conseils prud’homaux.

La répartition entre les sexes dans les postes judiciaires selon la spécialisation

En comparant l’évolution du nombre de femmes à travers les différentes nominations de 2004, 2010 et 2017, nous pouvons constater ce qui suit : Durant toutes ces années, les femmes étaient plus présentes aux postes civils qu’aux postes pénaux. En effet, dans le décret de nominations de 2004, le pourcentage de femmes occupant des postes à caractère pénal ou mixte a atteint 12,5 %, tandis que ce pourcentage avait plus que triplé dans le domaine civil, pour atteindre 44,5 %. Il en est de même en 2010, même si la différence entre ces deux pourcentages est passée du triple au double, le pourcentage de femmes occupant chacun de ces deux domaines ayant atteint respectivement les 24,5 % et 55 %. En 2017, et suite au renforcement de la présence féminine aux postes de juges d’instruction et au ministère public, le pourcentage de femmes occupant des postes à caractère pénal a atteint 37 %, contre 62,5% dans le domaine civil.

Ces pourcentages confirment que la répartition inégale des postes entre les sexes devient plus visible dès lors que l’on prend en compte la spécialisation (pénale ou civile) et la teneur des fonctions occupées, comparées à l’inégalité qui ressort de la seule prise en compte des responsabilités (président de chambre, conseiller, etc.) à assumer. Cela est probablement dû au caractère sensible des fonctions pénales, qui sont de ce fait largement plus politisées.

La répartition entre les sexes selon le critère géographique

Les femmes magistrats sont-elles réparties de manière proportionnelle dans tous les tribunaux du Liban, ou bien sont-elles plus présentes dans certaines régions plutôt que dans d’autres ? L’étude des modalités de cette répartition fournit une indication sur la mentalité des personnes chargées d’organiser les nominations et permutations judiciaires ainsi que sur leur perception du degré d’acceptation des femmes dans certaines localités. Les chiffres sont également susceptibles de nous fournir des éclaircissements, quoique dans une moindre mesure, sur le souhait des femmes magistrats de travailler dans les grandes villes plutôt que dans les régions, sachant que les juges n’ont pas le dernier mot quant au choix de leur lieu d’affectation.

À cet effet, nous avons considéré la répartition entre les sexes des juges travaillant dans les divers tribunaux en trois étapes. Premièrement, la répartition entre les sexes des juges selon les gouvernorats (mohafazat). Dans un deuxième temps, nous avons considéré le pourcentage de répartition selon les sexes après avoir opéré une distinction entre deux ensembles de gouvernorats: Beyrouth et le Mont-Liban, les autres gouvernorats. Ces regroupements régionaux s’expliquent par l’hypothèse selon laquelle l’environnement social, l’importance de la fonction et ses défis sont similaires au sein des deux ensembles (régions) entre lesquels nous avons distribué les gouvernorats.

Dans un troisième temps, nous avons considéré les pourcentages de répartition entre les sexes après avoir opéré une distinction entre les tribunaux situés au centre de chacun des gouvernorats (situés à Tripoli, Zahlé, Saïda), et les autres tribunaux périphériques (dans ces gouvernorats). Cette distinction entre tribunaux du centre et tribunaux de la périphérie est fondée sur l’hypothèse selon laquelle les localités situées en dehors des centres des gouvernorats considérés pouvaient paraître comme présentant certaines particularités susceptibles d’avoir un impact direct sur le travail des femmes qui y sont affectées.

Les données du tableau no 4 mettent en relief plusieurs points. Tout d’abord, le fait que le nombre de femmes a progressivement augmenté dans toutes les instances judiciaires et les tribunaux répartis sur l’ensemble du territoire libanais, reflétant par là-même l’augmentation globale du nombre de femmes parmi les juges.

Ensuite, le fait qu’il existe une disparité entre les pourcentages de femmes affectées dans les différents gouvernorats. Alors que les femmes ont été affectées à la majorité des postes judicaires à Beyrouth et au Mont-Liban suite au décret de nominations de 2017, leur pourcentage global dans le reste des gouvernorats ne dépasse pas les 36 %. Le pourcentage le plus élevé de femmes se trouve au Mont-Liban et atteint 56,5 %, alors que le pourcentage le plus bas est constaté à Nabatiyeh (17 %). Cependant, il est à noter que cette disparité se réduit dans certains gouvernorats, comme dans la Békaa, où le pourcentage des femmes atteint les 42 %, et dans le Nord, avec un pourcentage de 40 %, soit respectivement une différence de cinq et de sept points par rapport au pourcentage total de femmes au sein de la magistrature.

Le dernier point à relever est la disparité dans le pourcentage des femmes affectées aux différents tribunaux qui s’accentue lorsque l’on compare la situation dans les tribunaux situés au centre des gouvernorats à celle des tribunaux situés en périphérie. Ainsi, hormis les tribunaux du Mont-Liban, le pourcentage de femmes occupant des fonctions en dehors des centres des gouvernorats chute à 22,5 % du total des juges qui y sont affectés. En effet, même au sein de la Cour d’appel de la Békaa, où le pourcentage de femmes magistrats occupant des fonctions dans le centre du gouvernorat atteint 46,5 % du total de juges qui y sont affectés, ce pourcentage diminue jusqu’à 25 % dans le reste des tribunaux relevant de ce gouvernorat, dont les tribunaux de Baalbeck-Hermel.


Depuis le début des années 90, la part des femmes au sein de la justice a nettement augmenté. D’ici 2019, les prévisions indiquent que la parité hommes-femmes sera atteinte. Les femmes deviendront même majoritaires cette année-là. Dans les années 90, certains responsables au sein du ministère de la Justice avaient pourtant fait part de leur préoccupation quant à la féminisation de...

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